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Éric Roy, joueur sans couronne
Aujourd’hui salué pour ses résultats incroyables avec le Stade brestois, Éric Roy a connu une solide carrière de joueur entre 1988 et 2004. Sans jamais être récompensé. Et même parfois en jouant d’une sacrée malchance.

Ce 13 mai 2024 est une date symbolique, mais si importante dans la vie d’Éric Roy. Ce soir-là, aux Trophées UNFP, le coach du Stade brestois remporte un sacre, celui de meilleur entraîneur de Ligue 1. Le premier trophée de sa vie chez les pros. Comme une revanche sur un passé de joueur où, question récompenses, il n’a jamais vraiment été verni.
Les moins de 20 ans ne le savent peut-être pas, mais, oui, l’entraîneur qui a emmené le SB29 défier le Barça et qui va bientôt affronter le Real Madrid a été joueur. Seize ans de carrière, sept clubs différents, trois pays. Avec un début et une fin chez lui, à Nice. Après avoir débuté avec le Cavigal de la cité azuréenne, celui qui jouait encore attaquant et milieu offensif à 18 ans est repéré par le Gym lors d’un tournoi local où Roy et ses potes battent l’OGCN aux tirs au but. Le fils de Serge Roy, ancien international (1 sélection dans les années 1960), débute en pro à 21 ans, en 1988. Ses coéquipiers de l’époque ? Daniel Bravo, Tony Kurbos, Jules Bocandé ou René Marsiglia. Et il va très vite connaître ce qu’il qualifiera plus tard de plus forte émotion de sa carrière.
La folie du Ray, puis les caisses vides à Nice et Toulon
1990 : sixième la saison précédente, le Gym ne confirme pas et se retrouve 18e au soir de la dernière journée. Direction le barrage face à Strasbourg, qui veut retrouver l’élite. L’aller à la Meinau est un cauchemar. 3-0 après 48 minutes, avec un doublé d’un certain Youri Djorkaeff. 3-1 finalement grâce à Robby Langers, mais les troupes de Carlos Bianchi, coach niçois de l’époque, sont en grand danger de relégation. Le retour est mythique. Éric Roy est titulaire en défense centrale (accompagné de Marko Elsner, père de Luka) contrairement à la première manche en Alsace. 4-0 à la mi-temps, avec un exceptionnel quadruplé du mythique Robby Langers. Mustapha El Haddaoui (sur une offrande de Langers) et Jules Bocandé font monter l’addition à 6-0. L’inoubliable stade du Ray est incandescent et ne peut pas accueillir un supporter de plus (près de 20 000 personnes recensées ce soir-là).
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Une soirée inoubliable, donc. Mais pour faire décoller sa carrière, Roy va devoir patienter. D’abord parce que la saison suivante, en 1990-1991, Nice termine en milieu de tableau… mais va descendre. « Nice avait été le premier club rétrogradé par la DNCG, racontait-il à Ouest-France. Tous les gros salaires étaient partis. » Pour jouer en D1, il faut partir. Mais pas trop loin. Direction le Sporting Club de Toulon. Les galères derrière lui ? Pas vraiment. « Je fais une très bonne saison, continuait Roy. Mais on avait des problèmes de salaire. On n’était pas payés. À deux ou trois mois de la fin de saison, je suis libre. Bernard Lacombe me suivait et en a profité pour me récupérer libre à Lyon. Je me suis retrouvé dans un club où, enfin, je ne pensais qu’au football. Jusque-là, c’était plus des réunions pour savoir si on serait payés, s’il fallait jouer ou ne pas jouer. »
Stabilité et injustice à l’Olympique lyonnais
Pas encore le grand Lyon, mais les prémices. Et ça joue au foot. Une première saison correcte, avant une montée en puissance en 1994-1995, toujours sous les ordres de Jean Tigana. Un mélange d’anciens et de joueurs formés chez les Gones : Manuel Amoros, Bruno Ngotty, Franck Gava, Bruno Genesio, Ludovic Giuly, Florian Maurice, Florent Laville… « J’ai découvert un club stable, structuré, organisé, avec des ambitions, reconnaissait Éric Roy dans Le Progrès. Je ne pouvais rêver mieux. Le vivier de l’OL m’a impressionné. » Lyon finit second, derrière l’injouable FC Nantes (1 défaite en 38 journées). Une place de dauphin qui permet aux Gones de jouer la Coupe de l’UEFA la saison suivante, marquée par un exploit face à la Lazio en 16es de finale (2-1 ; 2-0). « À l’aller et au retour, il avait été très performant », note Guy Stéphan, actuel adjoint de Didier Deschamps en équipe de France, et coach de l’OL à l’époque. Éric, c’était la régularité et la sérénité. Un bon milieu de terrain, généreux dans l’effort. Son grand gabarit, avec un abattage. Un numéro 6, oui, mais qui ne s’empêchait pas de se projeter. » « Je n’ai jamais joué dans une équipe aussi brillante, admet Roy. Lyon, c’est là où j’ai pratiqué le meilleur football. »
Éric n’était pas avenant avec tout le monde. Si tu ne l’approchais pas, il pouvait paraître faire la gueule parfois. Il fallait gagner sa confiance.
Mais aussi là qu’il connaît la plus grosse déception de sa carrière. 6 avril 1996 : Metz et Lyon ont rendez-vous au Parc des Princes pour la finale de la Coupe de la Ligue, deuxième édition. Éric Roy est titulaire. L’histoire veut que Jean-Michel Aulas, évidemment président de l’OL, menace de démissionner en cas de défaite. Le match est tendu. Direction la prolongation. Juste avant les tirs au but, Éric Roy marque et donne le premier trophée majeur de l’ère Aulas. Mais le but libérateur est refusé. « Il aurait dû être accepté », recadre Guy Stéphan. La raison du coup de sifflet de Marc Batta ? Un supposé pied haut sur Sylvain Kastendeuch. « Batta…, peste encore Pascal Olmeta, capitaine lyonnais ce soir-là. Je lui en veux encore ! Le pied n’était pas si haut que ça… Le match était fini, il refuse… Dommage, car c’est Éric qui nous aurait apporté cette victoire. » « On lui a volé ce but, confirme Stéphane Roche, autre camarade à l’époque. C’était inimaginable comme décision. » Malgré un tir au but réussi de Roy, l’OL s’incline face au Metz du jeune Robert Pirès. « C’était un chef d’orchestre, dépeint Stéphane Roche. Il était là pour équilibrer. Il était bon techniquement, toujours dans l’esprit collectif du jeu. » Pascal Olmeta l’a adoré. « C’était un porteur d’eau, comme Bernard Pardo, Marcel Dib ou Didier Deschamps. On savait qu’ils faisaient le travail, ils ne rechignaient pas. Mais Éric n’était pas avenant avec tout le monde. Si tu ne l’approchais pas, il pouvait paraître faire la gueule parfois. Il fallait gagner sa confiance. Mais on faisait tellement de conneries dans le vestiaire… Je pense que je lui en ai fait… »
Un Thiago Motta à l’OM
Trois ans à l’OL, avant de changer d’Olympique. Marseille remonte en première division après les déboires de la première moitié des années 1990. Roy rejoint les Phocéens. Reynald Pedros le côtoie six mois sur le Vieux-Port. « C’était un beau joueur dans la gestuelle, élégant, grand, élancé, efficace. Pour moi, c’était plus du style d’un Thiago Motta, qui essayait sans arrêt de donner des premiers bons ballons de relance. Et il ne se la racontait pas, n’en faisait pas trop. Je le trouvais très discipliné. Je le respectais beaucoup de par sa posture, sa position, son message. »
Éric Roy : « Quand on est joueur, on ne ressort pas indemne d’une aventure avec Marseille » ➡️ https://t.co/YCSBBwYj5v pic.twitter.com/WchwXuLIsg
— Le Télégramme Brest (@TLGBrest) February 17, 2024
Pour Roy, à l’image de son parcours lyonnais, les résultats sportifs vont monter crescendo. Son premier match marseillais est au Vélodrome face à… l’OL. Et Roy ouvre le score peu après la demi-heure (3-1). Un bizutage idyllique qui ne va pas durer. « L’année de la remontée, ça a été très difficile pour tout le monde, explique Olivier Échouafni, coéquipier au milieu de terrain en Provence. La pression autour était très importante, avec des moyens réduits. » Mais l’OM se sauve plutôt aisément. Et est un peu trop en roue libre sur la fin… 38e et dernière journée. Déplacement à Gerland. Score final : Lyon 8-0 Marseille. « C’était terrible, rigole aujourd’hui Échouafni. À chaque fois que l’OL attaquait, il marquait. 7-0 à la mi-temps… Il n’y avait plus d’enjeu, on avait un peu explosé. On avait été sanctionnés : on n’avait pas été payés le dernier mois de la saison. » Reste qu’Éric Roy fait vite l’unanimité : « Un numéro 6, une sentinelle, décrit Échouafni. Un placement, une intelligence, une relance, avec un très bon jeu de tête. Éric, c’était la rigueur, le professionnalisme. C’était un exemple. Les plus jeunes, on avait tendance à s’identifier, moi le premier. »
1998-1999, émotions (très) contrastées
Soulagés du maintien, l’OM et Roy se stabilisent et performent la saison suivante avec une 4e place en D1. Mais c’est surtout l’opus 1998-1999 qui va être le plus intense émotionnellement de la carrière de l’actuel entraîneur brestois. « Il fait certainement une de ses meilleures saisons », avoue Échouafni. Ça débute par le fameux OM-Montpellier (5-4) d’août 1998. Roy est celui qui égalise à 4-4 à cinq minutes de la fin. « Le Vélodrome est plein, et 10 000 personnes s’en vont à la pause, racontait Roy dans Ouest-France. Comme on connaissait le contexte marseillais, on s’est regardés dans le vestiaire, on se demandait comment on allait réussir à sortir du stade. Il n’y a que Rolland (Courbis) qui y croyait. »

C’est la saison du centenaire de l’OM, avec le fameux maillot doré, le sponsor Ericsson… Marseille est au contact pour le titre, alternant la place de leader avec les Girondins de Bordeaux, et s’offre un parcours européen, en Coupe de l’UEFA. « C’est ce que j’appellerais un “équilibreur d’équipe”, constate Jocelyn Gourvennec, partenaire marseillais cette fameuse saison. Il était toujours là pour compenser, avec une très bonne lecture de jeu et une qualité de relance. Moi qui jouais en 10, l’avoir derrière était une assurance. Au milieu, il était calme, concentré, mais pouvait être dur et mettre la semelle. Il était très fiable. » Malheureusement, Éric Roy se blesse en avril et rate le sprint final. Avec la défaite en finale de C3 face à Parme (0-3) et le titre de champion de France envolé à la dernière minute de l’ultime journée (et le but de Pascal Feindouno au Parc des Princes). « Psychologiquement, ça a été dur à vivre », expliquait Roy.
C’est ce que j’appellerais un “équilibreur d’équipe”. Il était toujours là pour compenser, avec une très bonne lecture de jeu et une qualité de relance.
Il a 32 ans, et le rêve de titre est passé. La fin d’aventure marseillaise est même terrible. « Un cauchemar, dit Gourvennec. On avait été mis lui et moi sur la liste noire de Rolland (Courbis). On a vécu tout juillet et tout août en étant à l’écart. Ça avait été difficile à vivre. On s’était serré les coudes. » Roy tente alors sa première expérience à l’étranger. Direction l’Angleterre et Sunderland. Avec une magnifique 7e place, et une percée face à Chelsea qui a marqué les supporters des Black Cats (victoire 4-1 à l’époque).
« Sur le terrain, c’était notre coach. Je buvais ses paroles »
Moins en verve sportivement par la suite, Roy revient en France et signe avec l’ESTAC d’Alain Perrin en fin de mercato d’hiver 2001. Un renfort précieux. « Il avait une grosse expérience, se souvient Nicolas Goussé, attaquant troyen. Mais il est resté très humble. Dans son rôle de milieu récupérateur, il jouait beaucoup sur l’anticipation, il lisait très bien le jeu. » Goussé, comme tous ceux qui ont été interrogés, a aussi été marqué par « son hygiène de vie. Un grand professionnalisme ». Mehdi Méniri, autre coéquipier dans l’Aube, ne dit pas mieux : « Il a mis une certaine discipline auprès des joueurs. Avec lui, pas de fioriture, c’était le foot avant tout. Sur le terrain, c’était notre coach. Il positionnait tout le monde. On l’écoutait, c’était le grand frère. Je buvais ses paroles. »
Dans son attitude de joueur et son attitude d’entraîneur, il n’a pas beaucoup changé. Il est très calme. En interview, je le trouve toujours positif. Je le percevais aussi comme ça à l’époque.
Six mois à Troyes, puis une courte expérience en Espagne, au Rayo Vallecano. Le temps de découvrir la Liga, de provoquer un penalty face au Barça sur une faute de… Luis Enrique. Puis de dire oui à une dernière pige chez lui, à l’OGC Nice, alors qu’il se retrouve quelques mois sans club et que la retraite semblait proche à 35 ans. C’est le temps où son Gym remonte en D1. « On était dans une situation assez spéciale, se rappelle Gernot Rohr, son entraîneur. On n’avait pas d’argent. J’ai demandé à Éric de venir avec nous. On était leader, alors que tout le monde nous voyait descendre, avec une équipe de bric et de broc. Mémorable. Et Éric a joué un grand rôle. » Le Nice de Rohr et de Roy s’écroule pour terminer dixième. La saison suivante, en 2003-2004, Roy prend sa retraite amèrement avant la fin de l’exercice, très déçu : « À mon âge, on ne s’entraîne pas à fond pour cinq minutes de jeu. » « Je le sentais bien en futur directeur sportif, pas forcément entraîneur », avoue Rohr.
Roy fera finalement les deux. Mais, aujourd’hui, c’est bien sur le banc, casquette vissée sur la tête, qu’il semble le plus épanoui. « Ça ne m’étonne pas que ce courant passe avec ses joueurs, son staff, le public, remarque Pascal Olmeta. Peut-être que demain ne sera plus pareil, mais il a aujourd’hui prouvé. Et ça reflète l’homme. » « S’il avait une âme d’entraîneur, peut-être pas, confie Reynald Pedros. Mais dans son attitude de joueur et son attitude d’entraîneur, il n’a pas beaucoup changé. Il est très calme. En interview, je le trouve toujours positif. Je le percevais aussi comme ça à l’époque. » Olivier Échouafni voit en 2025 une forme de récompense de tout ce qu’il a pu emmagasiner : « En plus d’être un garçon intelligent, il s’intéressait toujours à ce que pouvait mettre en place l’entraîneur, le comment du pourquoi, avec une certaine réflexion, conclut-il. Aujourd’hui, je suis vraiment très heureux pour lui. Chacun a sa perception du joueur qu’il a été, du dirigeant et du coach, mais il a bataillé. Il mérite ce qui lui arrive. » Et ça, à plus d’un titre.
→ Dans la série « Quand j’étais joueur » : redécouvrez la carrière de Pascal Gastien.
Par Timothé Crépin
Tous propos recueillis par TC, sauf ceux d’Éric Roy.