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Président Kavelachvili : comme c’est Caucase
Dans un contexte marqué par les manifestations des pro-européens contre le gouvernement en place, la Géorgie s’apprête à désigner son nouveau président : l’ancien footballeur Mikhaïl Kavelachvili. Pro-russe notoire, cet attaquant passé par Manchester City a aujourd’hui choisi de marquer contre son camp.
Faut-il avoir joué à Manchester City pour devenir président de son pays ? La question va finir par se poser. Sept ans après l’élection de George Weah à la tête du Liberia, c’est un autre ancien attaquant citizen, Mikhaïl Kavelachvili qui s’apprête à devenir président. De la Géorgie cette fois. Sauf que contrairement à Mister George, il n’est pas question de suffrage universel, encore moins de légitimité populaire. Kavelachvili s’apprête à être désigné à la fonction symbolique (en Géorgie le rôle est principalement honorifique) de président par le chef du parti Rêve géorgien, Bidzina Ivanishvili. Un homme pour le moins sulfureux.
Ce milliardaire excentrique qui tire les ficelles dans le pays du Caucase depuis une dizaine d’années maintenant a longtemps mené officiellement une politique visant à se rapprocher de l’UE tout en tirant de facto son pays vers la Russie. Après la victoire de son parti lors des élections législatives du 26 octobre dernier (dont les résultats pour le moins contestables n’ont pas été reconnus par l’Union européenne), le masque est tombé. Ivanishvili a assumé un net virage pro-russe. L’oligarque a même mis des milliers de personnes dans la rue en reculant sur l’intégration européenne du pays de Khvicha Kvaratskhelia. Depuis plusieurs semaines maintenant, une révolution couve. Dans les rues de Tbilissi, les pro-européens manifestent quotidiennement, soutenus par l’actuelle présidente Salomé Zourabichvili. Alors pour la remplacer, Bidzina a choisi un homme de paille 100% loyal à son camp : Mikhail Kavelachvili.
Citizen Kave
Avant d’être un président fantoche, Mikhaïl Kavelachvili a été un attaquant correct. Né le 22 juillet 1971, le jeune homme débute comme chaque Géorgien un poil talentueux au Dinamo Tbilissi. On dit des Caucasiens qu’ils sont les Brésiliens de l’Union soviétique, et « Micha » éclôt au sein d’une génération de tripoteurs de ballon qui fera la fierté de la Géorgie post-soviétique. Il y a là le buteur de l’Ajax Shota Arveladze, le feu follet un poil timbré de Newcastle Temur Ketsbaia et Giorgi Kinkladze, devenu une sorte de joueur culte à Manchester City. Au sein de cette « génération dorée » qui se contente de quelques coups d’éclat avec la sélection, Kavelachvili n’est pas le plus populaire. N’empêche, ses performances avec le Spartak Vladikavkaz russe lui permettent de rejoindre « Kinky » à Maine Road. Sa première est spectaculaire. Le 6 avril, l’attaquant marque pour ses débuts lors du derby face à Manchester United.
We have a winnner @SPricey32 Mikheil Kavelashvili. Here is scoring on debut in the derby in ‘96 https://t.co/OlrcV4b4V1 pic.twitter.com/Bxgtmwp7NJ
— City Tactics - Gone to Bluesky (@city_tactics) January 9, 2024
Mais les Skyblues s’inclinent 3-2, et quelques semaines plus tard, ils seront relégués en seconde division. Après une deuxième saison anglaise, le Géorgien part en Suisse, où il sera sacré champion du pays avec les Grasshopper Zurich, avant d’entamer un petit tour de la Confédération helvétique (Zurich, Lucerne, Sion, Aarau, Bâle). Les statistiques retiennent qu’à la fin de sa carrière, Mikhaïl Kavelachvili facture 166 buts en 496 matchs en club et 9 en 46 sélections avec la Géorgie. Mais c’est bientôt en changeant de terrain de jeu que l’éphémère Citizen fait parler de lui.
La passe dé de Kakha Kaladze
Les ambitions politiques de Micha débutent par un échec cuisant. En 2015, il veut devenir président de la fédération de foot. Mais sa candidature est rejetée, car il n’a aucun diplôme universitaire. Pas grave, l’année suivante, parrainé par son camarade Kakhaber Kaladze (aujourd’hui maire de Tbilissi, lui aussi membre du Rêve géorgien et honni par les pro-européens), il devient député sous l’étiquette du Rêve géorgien. C’est alors qu’il entre sous la coupe d’Ivanishvili. Le milliardaire, qui aime s’entourer de sportifs, fait du footballeur un des membres éminents de son parti en même temps que sa marionnette favorite. Puis en 2022, sans doute à la demande du milliardaire, l’ex-Citizen crée le parti le Pouvoir au peuple, devenu une sorte d’aile ultra-droitière du Rêve géorgien.
Nationaliste et populiste, le parti du footballeur se fait remarquer au Parlement pour sa propagande anti-occidentale et son opposition à la « propagande LGBTQI+ ». L’homme qui ressemble à un méchant dans Tintin a pour coutume de promouvoir des fake news et des théories du complot. Il est également l’un des plus fervents supporters des « lois russes » désignant les ONG comme des agents de l’étranger. Un drôle d’oiseau donc, dont les mérites ont été vantés par le boss Bidzina Ivanishvili. « Je suis sûr que Mikhail Kavelachvili va pleinement restaurer la dignité volée de l’institution présidentielle. Il ne sera pas au service des puissances étrangères, mais de l’État géorgien », balançait le milliardaire en envoyant un scud à la présidente actuelle. Pour autant, Kavelachvili va-t-il vraiment devenir président ? Les manifestants vont tout faire pour que cela ne soit pas le cas. Quant à Salomé Zourabichvili, elle a promis de rester au palais présidentiel jusqu’à ce que quelqu’un soit légitimement élu. Finalement, Mister George pourrait rester le seul Citizen à avoir été président de son pays.
Par Arthur Jeanne