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Sonia Souid : « Le monde du football est une jungle »
Sonia Souid vide son sac dans une autobiographie intitulée Touche pas à mon QI ! L’occasion pour l’agente de régler ses comptes avec un milieu qui ne lui a jamais fait de cadeaux, tout en ouvrant la boîte à souvenirs. Entre l’Auvergne, les concours de Miss et le rôle de pionnière, ça en fait des choses à raconter.

Alors que ce n’est pas le sujet central de ton bouquin, tu rappelles dès l’introduction qu’en cherchant ton nom sur Google, ton passé de Miss Auvergne et candidate à Miss France est mentionné sans cesse quand il s’agit d’évoquer ton activité professionnelle. C’est anecdotique dans ton parcours ?
On peut le dire, puisque ça ne représente que cinq semaines de ma vie en tout. C’est comme un tatouage que tu as fait plus jeune et que tu as envie d’enlever. En même temps, ça fait partie de ton histoire. Dans mon cas, ça m’a fait dévier de ma trajectoire initiale puisque j’étais inscrite en première année de médecine et que, quand on manque cinq semaines de cours, tous les étudiants te le diront, c’est impossible à rattraper derrière. En dehors de ça, j’ai découvert un monde que je ne connaissais pas et ça m’a donné envie de connaître autre chose que le cadre dans lequel j’ai grandi, celui d’une famille musulmane d’origine algérienne qui vit dans un quartier du nord de Clermont-Ferrand.
J’espère aussi amener une prise de conscience des dirigeants masculins pour qu’ils fassent bouger les lignes en laissant davantage leur chance à des femmes compétentes.
Quel est le point de départ de l’écriture de ce livre, exactement ?
C’est une sorte d’alignement de planètes. À travers mon parcours, j’ai subi pendant quatre ans un comportement déplacé de la part de l’ancien président de la FFF (Noël Le Graët conteste fermement ces accusations, lui qui a vu son affaire pour harcèlement moral et sexuel être classée sans suite, faute d’infraction suffisamment caractérisée, NDLR) ; j’ai aussi représenté Kheira Hamraoui qui a subi une immense injustice dans l’affaire qui l’opposait à Aminata Diallo (également cliente de Sonia Souid au moment des faits, NDLR) ; et je suis devenu maman. En prenant de l’âge et de l’expérience, je me suis senti pousser des ailes et une légitimité pour véhiculer un message que j’ai choisi en guise de titre : Touche pas à mon QI. C’est une façon de dire que, d’une part, mon corps m’appartient et que, d’autre part, mon cerveau doit être respecté. D’ailleurs, je pense utiliser ce slogan pour monter une association qui épaulerait les femmes qui auraient vécu la même chose que moi.
Tu cites aussi nommément bon nombre d’acteurs du milieu du football français, et pas forcément en bien. Tu t’attends à quoi comme réactions ?
J’assume être quelqu’un de cash et je suis prête à faire face aux conséquences que ce récit provoquera parce que je suis une femme forte et accomplie professionnellement. J’espère aussi amener une prise de conscience des dirigeants masculins pour qu’ils fassent bouger les lignes en laissant davantage leur chance à des femmes compétentes, car les inégalités sont encore trop importantes dans le milieu du sport.
Tu écris précisément que certains hommes ne voient en toi « qu’un simple corps » et que d’autres « ont compris que [tu] avais aussi un cerveau ». Personne ne t’a jamais vu seulement comme un cerveau en faisant abstraction du corps ?
Si, à presque 40 ans, enfin, j’ai le sentiment qu’on me respecte en tant que professionnelle, et c’est déjà une victoire pour moi au quotidien. Mais ç’a été un parcours du combattant. Quand j’ai passé le concours de ma licence d’agent FFF en 2010, sur les 400 candidats, on a été 18 à être reçus et j’étais la seule femme. Aujourd’hui, les femmes représentent toujours moins de 5% des agents en France, et c’est dur d’exister dans un monde ultra-concurrentiel et masculin.
Les accusations que tu adresses à Noël Le Graët lors d’une interview accordée à BFM en janvier 2023 ont-elles aussi pour but de faire la lumière sur ce que subissent les femmes dans ce milieu ?
De cette déception envers Noël Le Graët est née une immense colère qui a failli me faire abandonner mon métier. C’est pour ça qu’aujourd’hui, j’encourage à dénoncer ce genre de situations, car toutes les femmes en ont vécu une, où elles se sont senties rabaissées et humiliées, peu importe leur profession. Et le silence n’est plus une option.
Ça m’attriste que les hommes se braquent en disant “not all men” quand on parle d’une agression, mais malgré tout, non, tous ne sont pas nos ennemis.
Après cet épisode, ton associé Patrick Esteves tente de te « rassurer » en disant que « tous les hommes de ce milieu ne se comportent pas de la sorte ». Mais est-ce vraiment ça qu’on a envie d’entendre à ce moment-là ?
Patrick est quelqu’un de très réaliste et il m’a aussi prévenu que ce ne serait ni la première ni la dernière fois. Je n’aurais pas aimé entendre autre chose, car on ne vit pas dans le monde des Bisounours : le monde du football est une jungle dans laquelle on avale un paquet de couleuvres. Il faut en être conscient, surtout quand on est une femme qui a l’intention de s’y imposer.
Ta mère, elle, t’a un jour dit que « tous les hommes sont des chiens », y compris ton père et ton frère. Pourtant, le premier t’a permis de te lancer comme agente aux Émirats, où il travaillait et le second a travaillé avec toi plusieurs années. Alors, « not all men » ou pas ?
(Rires.) Pour l’anecdote, je venais d’apprendre que mon petit copain de l’époque, un joueur de Ligue 1, me trompait avec la fille du président de son club alors qu’on était à 10 jours des examens de ma deuxième première année de médecine ! Et au lieu de me rassurer, ma maman a choisi d’être cash, mais elle le pense encore aujourd’hui, et bon courage pour gagner son respect quand on est de la gent masculine. Ça m’attriste que les hommes se braquent en disant « not all men » quand on parle d’une agression, mais malgré tout, non, tous ne sont pas nos ennemis. Je les vois plutôt comme des alliés : comme ce sont souvent eux qui ont le pouvoir décisionnaire, on en a besoin pour faire bouger les lignes. Pour moi, le féminisme est avant tout une question de solidarité entre femmes. C’est pour ça qu’à mon échelle, j’étais la première à me lancer dans la représentation de joueuses, alors que c’était du bénévolat et que j’ai autant insisté pour convaincre un président de confier les rênes d’une équipe professionnelle masculine à une femme (Helena Costa à Clermont en 2014, NDLR).
Ce président, pour ne pas le nommer, c’est Claude Michy. Tu dis dans ton livre que c’est toi qui as servi d’intermédiaire à la revente du club au Suisse Ahmet Schaefer en 2018. À ce moment-là, Michy aurait exigé que tu la boucles médiatiquement sur le sujet pendant six mois, sans quoi il ne te verserait pas la deuxième moitié de ta commission. Quel intérêt avait-il à faire ça ?
J’ai grandi à 300 mètres à vol d’oiseau de Gabriel-Montpied. Quand j’étais en CM2, j’ai vu toutes les étapes du chantier de rénovation depuis ma salle de classe. Mais comme je vivais dans un quartier défavorisé de Clermont, ces 300 mètres étaient en réalité des années-lumière. Et puis un jour, je suis devenue celle qui est à l’origine de la vente d’un club professionnel. Un peu comme si un agent immobilier habitué à vendre des deux-pièces vendait un château du jour au lendemain. Sa cote augmente et moi, si je communique sur le sujet, les médias allaient forcément en parler et ça, je pense que ça n’a pas plu à Claude Michy, qui a dû se dire qu’on allait moins parler de lui. Donc je me suis tue parce que la commission était trop importante après tous les efforts que j’avais engagés.
La principale différence entre Corinne Diacre et moi, c’est que je suis une femme qui a envie d’aider les femmes et que, selon moi, Corinne Diacre n’a pas ça en elle.
Évidemment, six mois plus tard, le sujet n’en serait plus un.
Et ce qui m’a fait le plus mal, c’est de ne pas avoir pu communiquer sur un dossier qui se passait chez moi, dans ma ville et mon club de cœur. Aujourd’hui encore, les supporters ne savent pas forcément que j’étais impliquée dans la vente, mais je reste très fière d’avoir contribué à faire rayonner et avancer Clermont.
Tu nommes une autre personne qui semble ne pas t’avoir reconnue à ta juste valeur : Corinne Diacre, que tu amènes d’ailleurs sur le banc du Clermont Foot en remplacement d’Helena Costa. Vos deux profils se ressemblent au regard de cette lutte pour s’imposer en tant que femme dans un milieu masculin. Mais alors, qu’est-ce qui vous différencie ?
C’est vrai qu’à Clermont, elle ne fait pas moins bien que ses prédécesseurs, mais on lui en a quand même fait baver. On disait qu’elle était mal fringuée, qu’elle ne souriait pas… Est-ce qu’on ferait ça avec un coach masculin ? Je ne crois pas ! La principale différence entre nous, c’est que je suis une femme qui a envie d’aider les femmes et que, selon moi, Corinne Diacre n’a pas ça en elle. Elle sait qui lui a permis de signer au club, et j’aurais aimé qu’elle ne se ferme pas à moi une fois en poste, que je puisse discuter avec elle, proposer des choses en tant qu’agente. Ça nous aurait permis d’avoir une relation mutuellement enrichissante. En fait, elle n’a jamais assumé son rôle de pionnière, et aujourd’hui, quand on demande leur modèle à des filles qui veulent devenir entraîneuse, elles ne citent jamais Corinne Diacre. Moi, je suis consciente de l’être à mon échelle et je me bats encore aujourd’hui pour toutes les futures petites Sonia.
Propos recueillis par Julien Duez, à Paris
Photos : JD & DR.
À lire : Sonia Souid, Touche pas à mon QI !, 2025, Editions Solar, 256 pages, 19,90€.