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The New Saints, les princes de Galles

Par Florent Caffery, à Llansantffraid, Oswestry et Shrewsbury

Vainqueur d’Astana la semaine dernière en Ligue Conférence (2-0), The New Saints n’a pas seulement inscrit son nom dans l’histoire du football gallois. Ce premier succès en phase de poules d’une Coupe d’Europe est venu récompenser l’ambition dingue de Mike Harris, fantasque entrepreneur débarqué en 1997 dans un patelin paumé pour façonner un rêve d’Europe quel qu’en soit le prix. Jusqu’à l’exil de l’autre côté de la frontière, en Angleterre. Un Brexit façon Galles-xit que tout le monde est loin d’avoir digéré.

The New Saints, les princes de Galles

Rouge de plaisir, Declan McManus voit les caméras se succéder. Dans la zone mixte de New Meadow, l’enceinte de Shrewsbury où The New Saints (TNS) s’est délocalisé pour la réception d’Astana en Ligue Conférence jeudi dernier, l’attaquant de 30 ans a le temps pour une parenthèse nostalgique. Trente minutes plus tôt, sur penalty, il scelle le succès des siens (2-0), le premier d’un club gallois en phase de poules d’une Coupe d’Europe. « Quatre ans plus tôt, quand je débarquais ici, jamais je n’aurais imaginé que ce soir arrive un jour, s’émeut l’Écossais biberonné à Aberdeen. En 2021 nous avions échoué d’un rien face à Plzeň lors des qualifications et je pensais que nous ne serions plus jamais aussi proches d’un tel événement. C’est historique et la preuve que ce club ne fait que grandir. »

Son coach Craig Harrison parade aussi sous les projecteurs : « C’est énorme ce que nous venons de faire. Il y a du crédit pour les joueurs, pour toutes ces personnes qui travaillent dans l’ombre, toutes ces heures travaillées qui nous permettent d’en arriver là aujourd’hui. On ne peut être que fiers de représenter le Pays de Galles en Coupe d’Europe. » En cette douce nuit dans le Shropshire, à l’ouest de l’Angleterre, les notes de Sweet Caroline peuvent filer dans les airs comme des volutes.

Scrabble, écran noir et relique

Même royaume autre frontière, à 30 bornes de là, Llansantffraid-ym-Mechain. Plongée dans le Pays de Galles rural : 1400 habitants, une station-service, des collines verdoyantes, de la brique rouge, quelques commerces et une bataille géopolitique au milieu des années 2010 sur la suppression ou non de la lettre « T » dans le nom de la commune. Après avoir subi les foudres de la population, les élus locaux ont fait machine arrière. Ouf, un point de plus au Scrabble. Dans le club-house sur les hauteurs du village, voisin direct du Recreation ground, unique terrain de football du coin, la télé est éteinte depuis bien longtemps. Écran noir.

On nous a changé nos couleurs avant de nous prendre le nom de notre village et de partir avec en Angleterre. Forcément, il y a de l’animosité envers TNS.

Thomas Gwynfor

La victoire de The New Saints est passée hors des radars ou presque. « Lors de leur premier match contre la Fiorentina début octobre (2-0 pour les Transalpins, NDLR), on avait mis la chaîne qui diffusait, mais personne ne regardait, jure Thomas Gwynfor. Les gars préféraient la rediff d’Aston Villa-Bayern. » Derrière ses lunettes posées sur un crâne dégarni et son polo de rugby, le conseiller conservateur du comté Powys, également gérant de l’un des rares hôtels du patelin, a la langue aussi pendue que les moutons de la campagne galloise. « On nous a changé nos couleurs avant de nous prendre le nom de notre village et de partir avec en Angleterre. Forcément, il y a de l’animosité envers TNS. Il doit rester à peine une vingtaine de personnes de la commune qui continuent à suivre cette équipe. » Constat glacial.

Thomas Gwynfor, élu local, un blason et un disjoncteur
Thomas Gwynfor, élu local, un blason et un disjoncteur

Autour de Thomas Gwynfor, pas une photo, une écharpe, une relique des New Saints. Le quinquagénaire adepte du « c’était mieux avant » expose le trophée de la Coupe du Pays de Galles glanée en 1996, époque pré-TNS, comme une précieuse relique. Sur la pelouse du Recreation Ground où deux tribunes se regardent en chien de faïence, Terry trimbale ses deux fox-terriers. Ou plutôt l’inverse. Le retraité de Llanssantffraid aime le foot version féminine – « c’est plus lent, mais au moins elles font moins de cinéma que les hommes » – et indique le coin opposé du stade : « Allez voir là-bas, c’est tout ce qu’il reste de TNS ici. Quelqu’un avait inscrit ce nom dans le béton. » Aucune mention, non plus, de Mike Harris, actuel président du club gallo-anglais. « Il n’a plus jamais remis les pieds ici depuis qu’il a tout emmené », balaye Thomas Gwynfor.

Make Llansantffraid great again

Pour saisir l’antagonisme criant entre Llansantffraid-ym-Mechain et l’entrepreneur gallois de 75 ans, coup d’œil dans le rétro. En 1997, le magnat des télécommunications, cofondateur de Total Network Solutions, a le vent dans le dos. Internet éclôt, Mike Harris, d’abord dans des services de conseil, bascule sur la mise en place de connexions de haut débit. La moitié des universités britanniques s’arrachent son modèle, ainsi que des ministères et des entreprises mondiales (HJ Heinz, AT&T, etc). « C’était la révolution des communications, retrace, sur le site des New Saints, le natif de Welshpool. La première année, le chiffre d’affaires de mon entreprise était d’un demi-million de livres, puis 1,5 et la quatrième année, nous étions à 9 millions. Nous nous sommes imposés comme l’un des groupes à la croissance la plus rapide du Royaume-Uni. » Accro au foot, joueur amateur dans sa jeunesse, Harris jette son dévolu sur Llansantffraid. La fibre de l’entrepreneur, qui allait gamin nettoyer des jardins pour s’acheter sa première moto, le porte. « Mike a probablement vu qu’il y avait un potentiel dans ce club et, quand il est arrivé, il n’y a eu aucune critique », note l’élu local Thomas Gwynfor.

Nous n’aurions jamais pu atteindre ce niveau si les joueurs continuaient à conduire des camions ou faisaient des heures supplémentaires sur des chantiers avant des rencontres.

Mike Harris, patron de TNS

D’abord sponsor maillot en 1997, le millionnaire conclut un deal avec les dirigeants la saison suivante. Harris accepte de continuer l’aventure, mais il veut la professionnaliser. Un poil égocentrique et scrupuleusement ambitieux, l’homme d’affaires convainc le board de Llansantffraid de rebaptiser le club décennal créé en 1959 en Total Network Solutions, le nom de son entreprise. En peu de temps, TNS fait sienne les joutes nationales et met des paillettes dans la vie de la bourgade. Mémoire vivante, Thomas Gwynfor, encore, sort du placard ce soir d’août 2002 quand Chelsea déboule à Recreation Ground pour un match de présaison. « Il y avait Zola sur notre pelouse, Zola ! », s’enflamme le Gallois. La légende italienne en claque trois, TNS en prend six dans la tronche. Un an plus tard, huit bus partent de Llansantffraid pour aller défier Manchester City en tour de qualification à la Coupe de l’UEFA. En 2005, c’est Steven Gerrard, tout frais champion d’Europe avec Liverpool, qui éparpille TNS (6-0 cumulé en qualif de C1), mais l’entité galloise se fait un nom. C’est tout l’enjeu pour Mike Harris, déterminé à faire des compétitions continentales un phare pour TNS. Ses choix sont drastiques. Faute de structures adaptées à Llansantffraid, le club fusionne à l’aube des années 2000 avec Oswestry, à 15 kilomètres de là, côté anglais. L’ère moderne du football s’enclenche, la cassure avec le Pays de Galles aussi.

L’ancien stade à Llansantffraid
L’ancien stade à Llansantffraid

Recreation Ground est délaissé au profit de Park Hall à Oswestry, le club arbore sur son blason le nom des deux villes qu’il est censé représenter. Niveau business, Harris cède pour plusieurs millions d’euros son entreprise TNS au géant British Telecom et se retrouve dépourvu de nom pour son club de foot. Qu’importe, il imagine un naming sur Ebay avant de faire germer The New Saints, mélange du surnom de Llanssantffraid (les Saints) et de Saint Oswald, lié à Oswestry. Bingo, les lettres TNS restent inchangées. Malgré l’alliance avec le club anglais dont il éponge les dettes, Harris obtient l’accord de continuer à évoluer dans le championnat gallois. Un indispensable pour le propriétaire, promis à une participation européenne chaque saison avec le titre en Cymru Premier (la première division), là où le choix de l’Angleterre le ferait débarquer, au maximum, au sixième échelon. « Quand j’ai repris le club, il ne gagnait que 40 000 livres par an, expliquait Mike Harris il y a quelques années dans le Daily Mail. Aujourd’hui, il en gagne 2,4 millions. Nous avons dû nous engager à plein temps et nous l’avons fait (TNS est le seul club totalement professionnel du championnat). Nous n’aurions jamais pu atteindre ce niveau si les joueurs continuaient à conduire des camions ou faisaient des heures supplémentaires sur des chantiers avant des rencontres. »

Armoire pleine, amour vide

En 27 ans à la tête de TNS, Harris a fait de son jouet un géant gallois : 16 titres de champion, 8 coupes nationales, 9 Coupes de la Ligue et environ 80 matchs européens disputés. Le tout en conservant son excentricité. Entre deux publications sur X contre le Premier ministre travailliste britannique Keir Starmer et des « fake news » sur l’immigration, il pose en vidéo avec une pomme et une doudoune sans manches, à quelques heures d’un match de Coupe d’Europe, pour promouvoir l’alimentation saine. La recette, avec cet air de bénévole du dimanche d’un club de district, fonctionne.

TNS n’est pas un club anglais. C’est comme si on avait le Celtic ou les Rangers en Angleterre.

Le patron du Fox Inn, un pub comme un autre

L’argument massue de l’Europe pour attirer des recalés de grands clubs anglais ou d’autres tournoyant dans les divisions secondaires est constamment mis sur la table (les meilleurs joueurs sont payés environ 1200 livres par semaine). Ex-défenseur de Middlesbrough (1996-2000) et de Crystal Palace (2000-2003), brisé par une blessure à la jambe à 25 ans, un temps miné par des idées suicidaires, le coach de TNS Craig Harrison a accentué la transition. Un rouleau compresseur – 30 victoires en 32 matchs de championnat la saison dernière – désormais accroché au rêve d’une qualification en 16es de finale de Ligue Conférence. Mais une machine à gagner toujours enclavée. Park Hall a beau avoir fait peau neuve (3 millions de livres pour restaurer le stade de 3 000 places), TNS évolue en championnat devant 300 personnes. Si à Llansantffraid, où une petite équipe locale a été relancée, le désamour est profond, Oswestry n’y échappe pas. Et le drapeau gallois dressé au-dessus du centre d’entraînement, Mike s’en tamponne le coquillard. « Ils n’ont rien à faire ici, claque le patron du Fox Inn, pub similaire aux milliers d’autres du pays. TNS n’est pas un club anglais. C’est comme si on avait le Celtic ou les Rangers en Angleterre. »

L’entraîneur Craig Harrison dans les bras du patron Mike Harris
L’entraîneur Craig Harrison dans les bras du patron Mike Harris

Mieux vaut ne pas lui évoquer Swansea, Cardiff ou Wrexham, le son de cloche serait identique. Attablé avec un breakfast et une dégaine de baroudeur, Norman Barner, fan de United et 77 automnes au compteur, se fend d’une analyse linguistique : « Mon grand-père était gallois. Mais ici on ne parle pas du tout cette langue. C’est très bizarre que TNS soit ici. » Dans tous les cas, le retraité, après avoir listé tout ce qu’il avait de joueurs français dans sa mémoire (Fontaine, Giresse, Platini, Trezeguet), reprend une bouchée de beans et achève : « De toute façon je ne regarde ni TNS ni le foot, l’abonnement est trop cher. » Derrière le comptoir, et après avoir servi une énième pinte à 10 heures du mat’, le boss est un brin plus bavard et nuancé : « Mike Harris est un type très intelligent. Il sait ce qu’il fait. Mais bon, quand vous êtes multimillionnaire, vous faites toutes les putains de choses que vous avez envie de faire. »

Cap sur la Ligue des champions

Pour trouver des amoureux de TNS, parce qu’ils existent, il fallait être à Shrewsbury jeudi dernier. Ils étaient environ 2000, dont Mark Sneyd, 58 balais, arrivé d’Unst, dans les Shetlands (Écosse), à 1000 kilomètres de là. Un fou direz-vous, « un amoureux de ce club depuis 25 ans, rétorque le semi-retraité. Je suis né près d’ici et je me suis pris au jeu de TNS. C’est une telle aventure footballistique, on ne peut qu’adhérer. » Il croit à la théorie de ces « underdogs » gallois, l’argent en plus. Idem pour David Night, pas près d’aller se coucher après le succès contre Astana et épris de Mike Harris façon gourou : « Quand il a commencé à sponsoriser Llansantffraid, les gens pensaient qu’il ne ferait qu’une saison. Aujourd’hui, il est toujours là, et on joue la Ligue Conférence. Il a fait ce qu’il avait dit, comment ne pourrait-on pas le suivre ? »

Le supporter balaye toute idée de trahison du petit village gallois : « Là-bas, c’était impossible de se développer. Les vestiaires étaient dans une école. Et qu’on ne vienne pas me dire qu’Oswestry n’est pas un peu gallois. La première sélection du Pays de Galles comptait neuf gars natifs de cette ville. Ceux qui disent qu’Oswestry n’a aucun droit d’être dans le championnat gallois ne connaissent rien au foot. » Mike Harris connaît forcément la chanson. Et celle qu’il continue à écrire, jusqu’à cette quête de disputer un jour la phase de poules de Ligue des champions. D’ici là, Ian Rush sera-t-il encore prêt à mettre les crampons ? En 2005, avant d’affronter Liverpool, l’étonnant Harris avait tenté de convaincre son pote et légende des Reds, 44 ans alors, de s’aligner avec TNS pour défier son ancien club. L’attaquant avait accepté avant de se résoudre à l’évidence. Au moins, Rush était gallois.

La Ligue des champions se poursuit à Gibraltar et au pays de Galles

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Tous propos recueillis par FC sauf mention.

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