François
57 ans, âge béni, supporter de Metz depuis 1970« J’avais cinq ans la première fois que je suis allé au stade, c’est mon père qui m’avait emmené. Je m’en souviens encore : j’avais vu le match sur ses épaules et il avait eu mal au dos pendant trois jours. Ce match, c'était Metz-Sochaux, et Metz avait perdu : l'apprentissage de la déception a commencé tôt. J’habitais à l’époque dans la vallée de la Fensch, au pied des usines, à Hayange, et j’ai joué dans les équipes de jeune. Le club d’à côté, c’était Florange. Et à Florange, il y avait Carmelo Micciche. C'est marrant parce qu’on avait douze ou treize ans, et il était déjà la star de la vallée. Quand il venait jouer, dès qu’il passait la grille du stade, on entendait une rumeur : "Micciche arrive, Micciche est là." Tout le monde se mettait autour de lui et il faisait ses gri-gri avec le ballon. Et sur le terrain, c’était incroyable. Il était super élégant, racé, il faisait ce qu’il voulait, donc tu le regardais jouer. Mais comme c’est un adversaire, t’avais aussi envie de lui rentrer dedans. On ne finissait jamais à onze parce qu’il y en avait toujours un qui pétait un plomb.
Au lycée Fabert à Metz, j’ai aussi connu Jean-Philippe Rohr. À l'école, il n’en foutait pas une rame, et tout le monde le laissait tranquille. Le prof de maths lui disait : "Toi, de toute façon, je sais que tu vas devenir pro, donc je ne te fais pas chier, je veux juste que tu ne foutes pas le bordel." Donc il se mettait au fond et il attendait que ça se passe. Le mot d’ordre, c’était un peu de faire les devoirs à sa place, et je lui ai passé plusieurs fois les trucs à faire. J’ai aussi joué contre lui sur le terrain en béton du lycée aux pauses, mais lui ne m’a jamais impressionné. À Metz, il jouait 6, il courait tout le temps, donc sur un petit terrain, il ne pouvait pas faire grand-chose. Et il ne voulait probablement pas se péter sur le béton.
Dans la Fensch, c’était la sidérurgie. Et le rapport avec le FC Metz est devenu clair quand la Sollac est devenue le sponsor principal. Mais le lien initial, c’est que les bassins ouvriers de la région, la Fensch pour la sidérurgie et la Moselle-Est pour les mines, étaient le réservoir naturel de spectateurs. Je me rappelle, les soirs de match, sur l’autoroute, tu sentais que ça attirait du monde, tu voyais le flux des gens qui y allaient. Pour moi, l'essence de Metz est d’être populaire. D’ailleurs, l’histoire du club épouse celle de la région : dans les années 1960, on appelait la Lorraine la Californie, c’était l’eldorado, il y avait une croissance forte, c’était l’âge d’or de la région. Et puis après, il y a eu la crise pour les usines et les mines, et le football s’en est ressenti.
« Quand Metz a gagné la Coupe de France, on s’est retrouvés avec les joueurs et les dirigeants, qui buvaient le champagne. Pécout fumait comme un pompier. On a fait la fête avec eux et on a soulevé la coupe. C'est dingue, elle était super légère. » François
Ensuite, je suis parti étudier à Paris. J’y étais en 1984 quand Metz a gagné la Coupe de France : j’étais avec des potes, on avait regardé le match à la télé, et à la fin, on s’est dit qu’on allait aller au Parc pour faire la fête. Quand on est arrivés, tout le monde était déjà parti et on s’est retrouvés comme des cons. Mais il y avait une lumière dans les étages. Il y avait un grand escalier qui y menait : personne en bas, personne en haut. On monte, personne non plus. Donc on est entrés. Devant le salon, il y avait un mec qui faisait le garde : on lui a dit qu’on avait été pisser et qu’on avait nos affaires à l’intérieur, et là, il a dit : "Allez, entrez." On s’est retrouvés avec les joueurs et les dirigeants, qui buvaient le champagne. Pécout fumait comme un pompier. On a fait la fête avec eux et on a soulevé la coupe. C'est dingue, elle était super légère : j’imaginais un truc en argent, super lourd, et en fait, rien, c’était du toc.
J’ai aussi vécu à l’étranger, mais même à l’autre bout du monde, je me suis toujours attaché à voir au moins un match par saison. Ça a pu être frustrant parfois. Quand ils sont descendus en National, ma femme disait : "Mais pourquoi tu continues à suivre ce club de merde ?" Je lui répondais : "C’est comme dans un couple, ce n’est pas parce qu’il y a un problème qu’on divorce." J’ai vécu le déclin avec philosophie. C’est quand même dingue, je vois la vie à travers le FC Metz. Dans la vie, tu jouis des bons moments comme après une victoire, tu apprends à surmonter les déceptions comme un soir de défaite, il y a des hauts, des bas, la roue tourne. J’ai connu le meilleur et ça me fait chier que le bas dure si longtemps. D’ailleurs, je me désole pour les jeunes : ils n'ont pas connu la grande époque et ont vraiment raté quelque chose. Mais la roue continue de tourner. Là, je retrouve un optimisme fondamental : je me dis même "ça y est, je peux mourir tranquille", parce qu’au fond de moi, je sais que ça y est, on est rentré dans un bon cycle après vingt ans de merde. »