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À Nantes, un mort et des questions

Par Jérémie Baron, à Nantes

Samedi soir en marge de la rencontre entre Nice et Nantes, un supporter nantais de 31 ans, membre des ultras de la Brigade Loire, a été mortellement blessé, non loin de la Beaujoire, après que des supporters des Canaris ont pris à partie un convoi de VTC transportant des fans azuréens. L'un de ces chauffeurs vient d'être mis en examen pour homicide volontaire. À Nantes, l'émotion est là. Les interrogations aussi.

À Nantes, un mort et des questions

« J’arrive souvent en tribune une heure, voire une heure et quart avant les matchs. Mais à vingt minutes du coup d’envoi, j’ai vu que la bâche de la Brigade Loire n’était pas là, et qu’il n’y avait personne au milieu, là où se place habituellement la BL. J’ai tout de suite compris qu’il y avait un problème. » Abonné en tribune Loire depuis dix ans, Louis(1) n’est sans doute pas en capacité de se remémorer toutes les rencontres lors desquelles il s’est déchiré les cordes vocales au cœur de la Beaujoire. Mais il se souviendra certainement de celle de samedi, face à l’OGC Nice. Et pas forcément pour la première de Jocelyn Gourvennec, le but de Florent Mollet après 25 minutes de jeu ou les six arrêts salvateurs d’Alban Lafont qui ont eu lieu devant ses yeux. Mais plutôt pour ce qu’il n’a pas vu, justement. « Un tifo devait être déployé, les cordes étaient installées. Mais une vingtaine de minutes avant le début de la rencontre, le capo (Romain Gaudin) est revenu en tribune pour nous dire qu’ils n’allaient pas assister au match, parce qu’un de leurs membres s’était fait poignarder, et qu’ils allaient soutenir ses proches au Saint-Georges (le bar-restaurant où la BL a ses habitudes, NDLR). Au début du match, certains supporters en bas de la tribune ont fait signe à tout le monde de s’asseoir. Personne ne chantait. » À 0h25, plus d’1h30 après la victoire finalement arrachée par le FC Nantes (1-0) dans un stade silencieux comme rarement, le procureur de la République de Nantes Renaud Gaudeul annonçait le décès de Maxime Le Roy, 31 ans, membre du groupe ultra depuis plusieurs années et père d’une petite fille de trois ans et demi. Ce lundi soir, un chauffeur VTC de 35 ans a été mis en examen pour, notamment, homicide volontaire.

Photo : Jérémie Baron
Photo : Jérémie Baron

Le Saint Georges, haut lieu des avant-matchs nantais et QG de la Brigade Loire, a en effet été le théâtre d’une scène de crime samedi. Du moins, cela s’est joué dans un rayon de 50 mètres à proximité de la brasserie, tout au plus. Sur l’avenue de la Gare de Saint-Joseph (qui donne quasiment sur l’une des entrées du stade), entre un point de recyclage et le chantier d’un immeuble en construction, une vingtaine de gerbes de fleurs jaunes et vertes ont été déposées sur le trottoir, à l’endroit du drame, comme pour cacher l’horreur : des mouchoirs imbibés de sang encore visibles contre les rails du tramway, des traînées rouges au bord de la route à peine camouflées par le sable déversé ou les feuilles mortes. Une dizaine de mètres plus loin, une fresque « Max pour toujours » a fait son apparition sur un muret, dimanche, journée durant laquelle ils étaient une cinquantaine à être venus lui rendre hommage. « Je ne le connais pas du tout, mais on est tous touchés parce que c’est un supporter nantais comme les autres, qui souhaitait juste aller voir un match. J’étais passé hier, mais je n’avais pas trouvé de fleuriste ouvert, alors je m’étais dit que je devais revenir », témoigne ce lundi Louis qui, après avoir placé son bouquet au milieu des autres, débat avec un cycliste de passage au sujet des tristes évènements de l’avant-veille. Au même moment, une femme en C3 rouge s’arrête quelques secondes sur le bas-côté pour déposer elle aussi quelques roses blanches à la hâte, puis un membre de la Brigade Loire vient se recueillir sans un mot, ou presque. Reste cette question, en suspens : comment en est-on arrivé là ?

Photo : Jérémie Baron
Photo : Jérémie Baron

Une ambiance de règlement de compte

« Un convoi composé d’au moins six véhicules (six berlines et deux vans, en réalité) faisait route entre le centre-ville de Nantes et le stade de la Beaujoire et a été pris à partie par un nombre conséquent (sic) de supporters du FC Nantes », a expliqué le procureur ce lundi en conférence de presse. Ces véhicules transportent des fans niçois, arrivés dans la cité des ducs de Bretagne par les airs et montés en voiture au niveau du cours des 50-Otages, en centre-ville, explique Ouest-France, qui précise également que cette délégation comptait « des ultras, des sympathisants et des “Monsieur tout le monde” ». Il est 19h48, à un peu plus d’une heure du match, et de là débute une rixe. « J’ai vu arriver une horde de personnes sur nous. Ils étaient peut-être 300, a affirmé dans la presse David Tan, porte-parole des VTC nantais et présent en tête de cortège, qui a fait la tournée des médias depuis samedi. C’était un essaim d’abeilles, ils sont arrivés en courant militairement, cagoulés. On était encerclés. Moi, des bagarres, j’en ai déjà vu. Là, c’était autre chose. » Les Nantais auraient « tenté d’extirper des voitures les supporters niçois, toujours selon le chauffeur. On a essayé d’avancer, j’ai forcé pour avancer… Ça tapait, ça tapait… »

David Tan n’hésite pas à parler de « hooligans » et décrit « un guet-apens » : « Ils ont commencé à ouvrir les portières et à taper mes clients à l’intérieur. Moi, j’ai baissé ma vitre et je leur ai dit d’arrêter ça. Un mec a mis un coup de pied dans ma calandre. Il s’est retourné, il a tapé mon pare-brise. […] Tous mes autres collègues se sont fait agresser aussi. » Pour appuyer son récit, il a transmis la photo d’une chaussure New Balance noire coincée dans une calandre, et celle d’un pare-brise brisé. La suite, c’est la version officielle, racontée par le procureur : « Les images permettent de vérifier que, alors que le véhicule était pris à partie, un conducteur serait sorti de son véhicule et, aux prises avec plusieurs supporters nantais, aurait brandi un couteau et aurait repoussé l’un des agresseurs qui serait tombé au sol. C’est à ce moment-là que le conducteur lui aurait porté un premier coup de couteau. Ce supporter nantais se serait alors relevé, tentant de fuir, et c’est alors qu’il aurait été atteint d’un deuxième coup de couteau dans le dos. »

Arrivé sur place, les secours ne parviendront pas à réanimer Maxime, qui décédera sur place. « Les examens ont confirmé que l’individu présentait deux plaies au niveau du dos : l’un au niveau de l’épaule gauche, l’autre au niveau du thorax. Cette blessure a provoqué des lésions au niveau du poumon mais surtout au niveau de l’aorte. C’est le sectionnement de l’aorte qui serait à l’origine du décès », précise Renaud Gaudeul. Le combat n’a potentiellement duré que quelques instants, avant que n’arrive la catastrophe ; les habitants du coin n’ont « rien vu, rien entendu ». « Je suis parti à 19h30, c’était calme, il y avait des supporters au Saint-Georges, raconte un résident. Et quand je suis rentré chez moi à 21h15, la police avait tout quadrillé, il y avait des CRS partout. » Depuis son balcon de l’immeuble d’en face, Richard dit pourtant avoir vu détaler au milieu de la route, « vers 18 ou 19 heures », « des jeunes habillés tout en noir ». Une ambiance « de règlement de compte », décrit-il.

Le conducteur, lui, a reconnu qu’il avait bien porté « au moins un coup de couteau », mais affirme qu’il n’était initialement pas en possession de l’arme ; arme qu’il aurait en fait réussi à prendre à un supporter nantais au moment où son véhicule, de type taxi anglais, était pris à partie. Pourtant, selon « au moins un autre témoignage », le couteau se trouvait bien « dans le vide-poche du véhicule ». C’est après avoir été contacté par l’un de ses collègues que cet homme, légèrement blessé au moment des faits, s’est présenté à un poste de police, à 4h30 du matin, avant d’être inculpé moins de 48 heures plus tard. Il a été incarcéré dans l’attente du débat, puisqu’il a demandé un délai. Avant cet épisode, il comptait sur son casier judiciaire quatre mentions, dont une condamnation à de la prison ferme pour des faits de trafic de produits stupéfiants. « Mon collègue, qui est accusé, moi, je vais le soutenir, assure David Tan. On va voir si ce n’était pas de la légitime défense. Ce n’est pas un coup de couteau gratuit donné à un jeune de 31 ans. »

Un épisode sanglant dans une rivalité moderne

Pour les habitués de la tribune Loire, les supporters niçois n’ont jamais été de grands copains. « En avril 2012, lors d’un déplacement à Monaco, on s’est fait caillasser nos voitures par des membres de la Brigade sud de Nice », racontait par exemple il y a quelques années Romain Gaudin. Lors de la saison 2013-2014, le sulfureux Alexy Bosetti – membre de la Brigade Sud Nice avant de devenir footballeur au Gym – avait cristallisé les tensions entre les deux groupes avec de multiples chambrages à destination des Jaune et Vert. Les « Nissa Merda » résonnent à chaque opposition face aux Aiglons et, d’un côté comme de l’autre, on scande qu’il n’existe qu’« une seule Brigade en France ». En réalité, la BSN a été dissoute il y a une dizaine d’années maintenant par un décret du ministère de l’Intérieur, après de nombreux épisodes de violence signalés entre 2008 et 2010(2). Les Ultras Populaire Sud avaient alors pris le relais, faisant perdurer l’antagonisme nanto-niçois.

La tension était même remontée d’un cran il y a un an et demi à l’occasion de la finale de Coupe de France qui opposait les deux équipes : le matin du match, à proximité de la gare de Lyon au cœur de la capitale, des supporters niçois attablés à la terrasse d’une brasserie s’étaient fait assaillir par une trentaine de personnes, vraisemblablement nantaises. Les projections de bouteilles, chaises et même tables avaient fait deux blessés légers. Trente-neuf interpellations avaient ensuite eu lieu dans le secteur. Quatre jours après la finale, remportée par les Canaris (sur le terrain et en tribunes), un chant moquant la mort d’Emiliano Sala, icône à Nantes, avait été entendu dans les travées de l’Allianz Riviera(3) lors de la réception de Saint-Étienne, provoquant un tollé. Quatre mois plus tard, dans le cadre d’un Nice-Nantes, la préfecture des Alpes-Maritimes avait limité à 200 le nombre de supporters du FCN autorisés à se déplacer, compte tenu de « la rivalité historique et violente qui existe » entre les ultras des deux équipes. Ce week-end, la rencontre avait été classée à 2 (« contexte dégradé susceptible de générer des comportements déviants de la part des supporters ») sur l’échelle des risques de la Division nationale de lutte contre le supportérisme, qui compte cinq niveaux.

Un arrêté préfectoral avait été publié en vue de ce week-end, rappelant « l’antagonisme existant depuis 2014, qui a nécessité l’intervention des forces de l’ordre à plusieurs reprises : lors de la rencontre du 20 septembre 2014 à Nantes, les forces de l’ordre ont déjoué un affrontement entre 80 supporters niçois classés à risques et des supporters nantais ultras ; à l’issue de la rencontre du 5 octobre 2019 se déroulant au stade de la Beaujoire à Nantes, les supporters nantais ultras ont tenté d’attaquer le convoi de supporters niçois, la mise en place d’un dispositif policier permettant d’éviter l’affrontement ; […] à l’issue de la rencontre du 12 mars 2023 à Nantes, une dizaine de supporters ultras nantais ont agressé trois supporters niçois à proximité du stade. » Via cet arrêté, un point de rendez-vous obligatoire avait été fixé aux supporters du Gym : la gare routière nord, zone d’activité de la Fouquetière à Ancenis-Saint-Géréon (à 35 kilomètres au nord-est de Nantes). Et ce « afin d’être acheminés sous escorte des forces de l’ordre jusqu’au stade ». L’avenue de la Gare de Saint-Joseph – où a eu lieu l’incident – et le boulevard des Batignolles – où se trouve le Saint-Georges – faisaient partie du périmètre dans lequel les Niçois étaient interdits « d’accéder, de circuler ou stationner sur la voie publique ». La traversée de l’avenue, à bord des voitures de transport avec chauffeur (VTC), s’est faite sans aucune escorte (la cinquantaine de supporters ayant respecté l’arrêté ont, eux, bien été acheminés par les forces de l’ordre jusqu’au parcage de la Beaujoire). David Tan assure ne pas avoir eu connaissance de l’arrêté préfectoral, qui avait été relayé par l’OGC Nice. Le porte-parole des VTC dit avoir emprunté cet itinéraire pour éviter les bouchons.

Le chauffeur aussi accusé d’extorsion avec arme

Mais pour les trois Niçois qui avaient pris place dans la voiture du principal suspect de l’homicide, c’est aussi le trajet retour qui pose question. Ramenés à leur hôtel par le conducteur (qui venait de poignarder Maxime, comme il leur avait lui-même avoué en reprenant le volant) à leur demande juste après les violences, ces supporters sont allés retirer de grosses sommes d’argent pour lui remettre, à eux trois, près de 1000 euros au total. Un versement qui aurait été effectué sous la contrainte, selon leurs témoignages, les trois individus craignant pour leur vie et ayant conscience que l’automobiliste (qui aurait exigé d’eux ce cash pour les dégâts causés à son véhicule) était toujours en possession du couteau sur lequel on pouvait voir des traces de sang. Ainsi, le chauffeur est également mis en examen du chef d’extorsion avec arme. Il nie ces faits, plaidant que c’est d’eux-mêmes que les clients lui auraient donné ces liasses.

Photo : Jérémie Baron
Photo : Jérémie Baron

Et ce n’est pas tout, puisqu’un autre chauffeur, de 24 ans, a été inculpé pour « violences volontaires » mais surtout « altération et suppression d’éléments de preuves dans la volonté de faire obstacle à la manifestation de la vérité dans le cadre d’une enquête criminelle ». Ce chauffeur est soupçonné d’avoir volontairement dissimulé des images de l’incident, qu’il avait en sa possession grâce au système vidéo de son véhicule. Ces vidéos, retrouvées sur une carte mémoire lors de la perquisition à son domicile, ont notamment permis « de mettre en évidence des coups qui ont été portés, semble-t-il avec une matraque télescopique, par le conducteur de ce deuxième VTC », explique le procureur. Pour ce qui est des Nantais, une enquête a été ouverte en parallèle, pour des faits de destructions aggravées, et de violences aggravées par trois circonstances : violences commises en réunion, avec arme, et avec guet-apens. En deuil, la Brigade Loire n’a pas communiqué depuis samedi. Par quel moyen les supporters nantais ont-ils pu identifier, ou attendre en vue d’un guet-apens, leurs homologues niçois présents dans les voitures ? Comment et pourquoi ce couteau s’est-il retrouvé au milieu de cette rixe ? À ce stade, le flou persiste encore évidemment dans certaines parties du récit.

@so_foot

🙏🙏🙏

♬ son original – SO FOOT

Dans cet article :
Ligue 1 : le complexe du multiplex
Dans cet article :

Par Jérémie Baron, à Nantes

Propos de David Tan tirés de RTL, de Presse Océan, du Parisien, du Figaro et L'Équipe. Les autres recueillis par JB, à Nantes.

(1) Le prénom a été modifié.

(2) Six associations de supporters d'autres clubs avaient également disparu dans le même temps : le « Commando Loubard », la «Milice Paris », les « Supras Auteuil 1991», «Paris 1970 la Grinta» et « Les Authentiks » au PSG, ainsi que la « Cosa Nostra » à l'OL.

(3) Le chant des supporters nantais « C’est un Argentin, qui ne lâche rien, Emiliano Sala, Emiliano Sala, Emiliano Sala », se transformant dans la bouche des fans niçois en « C’est un Argentin, qui ne nage pas bien, Emiliano sous l’eau, Emiliano sous l’eau, Emiliano sous l’eau ».

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