Raul marque la légende
Le gus a ses irréductibles détracteurs. Et pourtant il va bien falloir l'accepter : Raul Gonzalez Blanco, désormais meilleur buteur de l'histoire du Real Madrid, est définitivement un gars qui aura marqué l'histoire du jeu. En dépit de toutes les réserves...
Pour la 308e fois, Raul a embrassé son alliance. Avant de recommencer quelques minutes plus tard un 309e bisou à son anneau chéri. A ceux qui vivraient sur Mars, on précise : quand l’attaquant du Real Madrid se livre à son immuable rituel, c’est qu’il vient de faire trembler les filets adverses quelques secondes plus tôt. Sans verser dans le sentimentalisme dégoulinant, il faut admettre que jamais ce geste ne semble mécanique. Jamais Raul ne semble blasé par sa réussite à répétition. Bon, on n’est pas con et on n’ira pas jusqu’à affirmer que le Merengue n’a d’yeux que pour son épouse. Ce qui est certain en revanche, c’est que l’hommage semble à chaque fois sincère, tout autant que sa fidélité, incontestable elle, à son club de toujours. Car Raul au fond n’est pas vraiment Espagnol ; il est Madrilène. Mieux : il est Madridiste ! C’est toute sa force, c’est aussi sa limite.
Des records en pagaille
Légende parmi les légendes du club, Alfredo Di Stefano a beau filer vers ses 83 printemps, il sait encore de quoi il parle quand on lui demande son avis sur son héritier au sein de l’institution merengue : « Je suis heureux pour lui car c’est un garçon phénoménal qui a toujours tout donné pour ce club. Ce n’est pas un fantoche et il n’a jamais eu la grosse tête » . Et pourtant, il pourrait. Car on ne dénombre plus les records de Raul en 15 ans passés sous le maillot blanc. Meilleur buteur de l’histoire du Real donc grâce à son doublé dimanche face Gijon (4-0) et plus jeune joueur à avoir disputé 500 matches de championnat d’Espagne (à 31 ans) qu’ils ne sont que cinq à avoir dépassé en sa compagnie (Zubizarreta 622, Eusebio 543, Sanchis 524 et Soler 504). Très bientôt, le bonhomme pourrait en glaner un voire deux autres. Ainsi Raul, avec 216 réalisations en Liga, n’est qu’à 18 buts du Mexicain Hugo Sanchez, meilleur artificier du Real en championnat. Raul peut même viser, sans avoir recours au Viagra, les 251 unités du recordman Telmo Zarra avec l’Atletico Bilbao entre 1939 et 1955.
Ces chiffres, on peut parier la seule chemise de sofoot.com que Raul les connaît par cœur. Le gaillard a un sens aigu de l’histoire du jeu et de son club en particulier. En bon Madrilène, Raul sait aussi que le mythe de la Maison Blanche s’est bâti bien au-delà des frontières ibériques. Le Real est le recordman des victoires de Ligue des Champions avec neuf trophées ? En bon élève appliqué, Raul colle aux basques du club en étant tout simplement le meilleur dézingueur de la Ligue des Champions (64 buts devant les 60 de son coéquipier Ruud van Nistelrooy) et le meilleur toutes compétitions européennes confondues avec 66 pions, un de plus que Filippo Inzaghi. Oui, le triple champion d’Europe est un vrai pitbull, une tête chercheuse de tout premier plan capable de trouver la cible sur tous les terrains. Pourtant, curieusement, il existe un problème Raul.
Eclipsé par les grands, les « vrais »
Incontournable dans le “club du 20e siècle”, le Madrilène peine à convaincre les très grands, hormis le paternel Di Stefano. Ainsi Michel Platini, alors consultant de Canal+ pour la Ligue des Champions, n’hésitait pas émettre quelques réserves sur la valeur de Raul : « C’est un grand joueur, pas de doute. Mais ce n’est pas Zidane ou Ronaldo qui ont ce petit truc en plus » . Malin, Platini n’a pas osé la comparaison au hasard. Raul a directement été éclipsé par Zizou et le fenomeno brésilien, faute de la technique du premier et de la force de perforation du second. De 2002 à 2006, on peut le dire, il a même peiné à exister dans l’ombre des deux astres.
Alors qu’il avait claqué 25 fois en 2000-2001, Raul retombe à 14 buts la saison suivante, la première de Zidane au Real, avant d’aligner les stats foireuses lors du règne de Ronaldo de 2002 à 2006 : 16 (la plupart inscrits lors de la période d’adaptation du Brésilien), 11 puis 9 avant de finir à 5. Une sale période pour celui qui fait alors presque figure de has been, grillé bien avant l’heure. Raul n’est pas heureux dans ce vestiaire confisqué par les Auriverde, ce vestiaire dont lui, jusque-là incontestable capitaine, n’est plus vraiment le patron. Di Stefano l’a dit, Raul a beau aligner un palmarès et des stats rutilantes, il reste un combattant qui va au charbon. Les strass et paillettes de l’ère Perez, très peu pour lui. Figo, Zidane, passe encore. Mais Ronaldo, non ! Ronaldo, l’anti-Raul : un gars grassouillet qui s’entraîne une fois sur trois, ne court pas, ne presse pas, fait deux appels et demi par match, une autre idée du foot quoi. Alors à cette époque, Raul fait la gueule, on l’annonce même partant. Il faudra l’arrivée de Capello et la fin du Real Circus pour que l’icône du club retrouve le sourire.
La Roja, le grand malentendu
Bizarrement, ce revival correspond à la mise au ban (au banc) de Raul en Seleccion. L’autre grand sujet de réserve concernant la star du Real. Ses détracteurs relèvent son relatif échec en équipe nationale, oubliant au passage qu’il en est le meilleur buteur, toutes époques confondues, avec 44 réalisations. Car les opposants du Madrilène disposent de l’argument-massue : en 2008, l’Espagne, vainqueur de l’Euro, a enfin gagné le trophée international tant convoité depuis 1964, sans Sa Majesté dans ses rangs. Sous le règne de Raul, la Roja s’est faite la spécialiste des rendez-vous manqués. Ces échecs auraient peut-être été pardonnés si à chaque fois l’Espagne n’avait pas été classée parmi les chauds favoris, et si surtout, il n’y avait ce sentiment profond que l’emblème du Real n’avait pas participé de manière active aux sempiternelles déchirures du vestiaire national.
Depuis 2006, le compteur de Raul est resté bloqué à 102 sélections. Aujourd’hui, David Villa ambiance l’attaque des champions d’Europe en compagnie de Fernando Torres. Deux avants, l’un de Valence, l’autre de Liverpool, formé à l’Atletico Madrid, extérieurs à la guéguerre Real-Barça qui a gangréné la sélection ibérique sous la conduite de Raul. Curieux bonhomme que ce Raul despotique en Liga (6 titres de champion) et en Europe sans jamais avoir su conquérir son propre pays. Il paraît que nul n’est prophète en son pays. Raul plus que quiconque.
Dave Appadoo
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