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Pourquoi le foot n’arrive pas à faire plus de place aux entraîneurs noirs

Par Tristan Pubert

Ces dernières années, bon nombre d’acteurs du ballon rond ont tapé du poing sur la table concernant la faible représentation des entraîneurs noirs et/ou issus des minorités dans le football professionnel, de Sterling à Eto’o en passant par Vieira ou encore Seedorf. Mais malgré cela, les choses tardent à bouger.

Pourquoi le foot n’arrive pas à faire plus de place aux entraîneurs noirs

« Il y a un manque d’opportunités pour les entraîneurs noirs dans le football. Je ne reçois aucune offre, comment est-ce possible pour quelqu’un qui a eu une carrière comme la mienne. » Dans les colonnes du Daily Mail, Clarence Seedorf a décidé de lâcher son sac, trop lourd à porter. Reconverti dans la fonction d’entraîneur depuis presque dix ans mais sans poste depuis son expérience chaotique au Cameroun (2018-2019), le quadruple vainqueur de la Ligue des champions en tant que joueur pointe du doigt le manque de considération à son encontre : « Je ne suis pas en train de dire qu’un ancien grand joueur doit forcément entraîner une grande équipe, mais en tant qu’entraîneur noir, on a moins de propositions, c’est un constat. Regardez Henry, Campbell, Davids ou encore Kluivert. Ils ont leurs diplômes, ils sont compétents, mais ne sont pas dans les grands clubs. »

C’est difficilement compréhensible, nous ne sommes pas plus bêtes que les autres.

Wilfried Nancy

Un constat et un agacement partagés par Wilfried Nancy. « Je ne vois pas quelle autre explication que la discrimination, concernant la situation de Seedorf. C’est difficilement compréhensible, nous ne sommes pas plus bêtes que les autres, constate l’actuel tacticien de Colombus, en MLS. Au-delà d’être un grand joueur, c’est un mec qui a passé ses diplômes et qui est légitime. Mais malheureusement, c’est la réalité que vivent beaucoup d’entraîneurs noirs ». Le constat est même plus impitoyable pour les entraîneurs africains, qui sont encore moins considérés par les clubs européens. Un problème que constatait Aliou Cissé. Le sélectionneur du Sénégal, vainqueur de la CAN 2021 (et qui est par ailleurs toujours parvenu à qualifier ses Lions de la Téranga pour la Coupe du monde) déclarait « n’avoir jamais reçu des propositions sérieuses de clubs ou de sélections européens. »

Pour cette saison 2024-2025, sur les 96 équipes des cinq grands championnats européens, seules quatre sont entraînées par un coach noir. Mais Clarence Seedorf n’est pas le seul à tirer la sonnette d’alarme. En juillet 2020, Raheem Sterling l’avait également fait. « Le football progressera quand il y aura plus d’anciens joueurs noirs qui réussiront à devenir entraîneurs. Pourquoi, quand on regarde quatre anciens grands joueurs anglais, Lampard, Gerrard, Campbell et Cole, seuls les deux premiers sont sur le banc de Chelsea et des Rangers, alors que les deux autres travaillent encore chez les jeunes ou en amateur ? », déclarait alors l’ailier anglais à BBC Sport en 2020. Pour Samuel Eto’o, l’analyse est limpide : « Les entraîneurs noirs sont considérés comme des entraîneurs de seconde classe. »

En Angleterre en 2022 : moins de 4% des entraîneurs professionnels noirs

Racisme dissimulé pour certains, simple fruit du hasard pour d’autres : une chose est sûre, la faible représentation des entraîneurs noirs dans le football (professionnel) interroge. Forcément, les premiers à être jugés responsables sont les clubs, à qui on reproche un manque de considération concernant les tacticiens non blancs. Sur une dizaine de clubs français et européens contactés, aucun n’a souhaité répondre à nos questions.

Pour bien comprendre l’ampleur de ce problème, coup d’œil aux statistiques. En 2022, le BFP (Black Football Partnership) analysait qu’en Angleterre, près de 43% des joueurs de Premier League étaient noirs, alors que dans les rôles managériaux et administratifs, ils ne représentent que 8%, moins de 4% occupent des postes d’entraîneurs et de managers et seulement 1,6% sont des dirigeants ou des présidents. Un chiffre révélateur de l’étendue du problème. « Cette statistique prouve qu’il y a un problème », introduit Wilfried Nancy. L’ancien adjoint de Thierry Henry, qui est devenu en décembre dernier le premier entraîneur noir à remporter le championnat nord-américain, ajoute : « Il y a un manque de considération de la part des clubs nous concernant. Il faut voir la réalité en face et l’affronter, c’est une forme de racisme dissimulé, des fausses idées qu’ont les gens vis-à-vis des noirs et qui laissent leur subconscient prendre le dessus. »

Exilé depuis presque vingt piges aux États-Unis, Nancy constate que la situation en France est encore plus délicate pour ses collègues noirs ou issus des minorités. « Tout n’est pas parfait aux États-Unis, mais disons qu’ici, ils te font confiance si tu es compétent, peu importe qui tu es. Alors qu’en France, le chemin est plus sinueux et difficile, d’autant plus lorsque tu n’es pas un ancien grand joueur », argumente le Havrais de naissance.

Durant trois saisons, Sébastien Bassong a évolué sous les ordres de Chris Hughton, l’un des premiers entraîneurs noirs en Premier League, et constatait lui aussi une différence de traitement. « Sans rentrer dans les détails, il est vrai que la manière dont certains pouvaient parler à Chris était différente d’un autre entraîneur. Il me disait parfois qu’il ne comprenait pas pourquoi la direction était plus dure avec lui qu’un autre, rapporte l’ancien international camerounais avant de relativiser. Je ne sais pas si on peut affirmer que c’était du racisme, Chris avait une personnalité plus détendue que d’autres entraîneurs, peut-être que c’était sa personnalité qui pesait dans la balance. » Wilfried Nancy, lui, est formel : « Si j’étais resté en France, je n’aurais jamais eu cette opportunité. Ou du moins, cela aurait pris plus de temps. »

Un travail de longue haleine

Pour beaucoup de jeunes éducateurs noirs et/ou issus des minorités, cette situation déclenche un cercle vicieux, tuant dans l’œuf certaines vocations. « Ça fait des années que j’entraîne les catégories de jeune, que j’arrive à avoir des résultats plutôt bons, que je passe mon diplôme. J’aimerais plus tard devenir entraîneur professionnel, mais de par ma couleur de peau et également le fait que je ne sois pas un ancien joueur professionnel, je sais que c’est extrêmement compliqué », s’inquiète Daouda, éducateur en catégorie U17 dans la région nantaise. Une baisse de motivation que comprend Nancy : « On doit cravacher beaucoup plus que les autres. Je comprends totalement que pour certains jeunes éducateurs, ça peut être démotivant. Je conseille à ces jeunes d’apprendre l’anglais et de tenter l’expérience à l’étranger, ils auront plus d’opportunités. »

Quand on était petit, on ne voyait par exemple pas de présentateurs noirs à la télé. Maintenant, ça change. Il faut que dans le football et le monde du sport, ce soit pareil.

Sébastien Bassong

Tout n’est pas pour autant perdu, comme le souligne Sébastien Bassong. Si lui n’a jamais souhaité embrasser une carrière d’entraîneur, il constate néanmoins que tout ça a un impact sur les générations à venir : « La représentation a un rôle important dans notre société et surtout pour les minorités. Quand on était petit, on ne voyait par exemple pas de présentateurs noirs à la télé. Maintenant, ça change. Il faut que dans le football et le monde du sport, ce soit pareil, qu’on ne se contente pas uniquement d’être des joueurs, mais qu’on puisse également devenir des entraîneurs, des directeurs sportifs ou même des dirigeants. »

Wilfried Nancy, coach de Columbus Crew.
Wilfried Nancy, coach de Columbus Crew.

Pour lutter contre ce problème, la solution pourrait donc venir de l’autre côté de l’Atlantique. Depuis 2003, la Rooney Rule oblige les clubs de MLS à recevoir plus de candidats issus des minorités lors des entretiens d’embauche. « C’est triste qu’on soit obligé de faire ça, mais, pour que les choses bougent, les ligues et les fédérations doivent mettre en place des choses pour favoriser l’inclusion des personnes non blanches aux postes plus importants », avance Wilfried Nancy. Les quotas, voilà qui rappelle de mauvais souvenirs à la 3F.

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Par Tristan Pubert

Propos de Sébastien Bassong, Wilfried Nancy et Daouda recueillis par TP.

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