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Jorge Sampaoli, la cicatrice argentine

Par Georges Quirino-Chaves, à Buenos Aires
8 minutes
Jorge Sampaoli, la cicatrice argentine

Trois ans ont passé, mais en Argentine, personne n’a oublié la piteuse prestation collective de la sélection dirigée par Jorge Sampaoli à la Coupe du monde en Russie. Encore aujourd’hui, celui qui est en pole position pour s’installer sur le banc de l’Olympique de Marseille n’a pas ou peu d’alliés dans son pays natal. Merci Benjamin Pavard.

« Je n’écoute pas et j’avance. » Cette phrase, Jorge Sampaoli l’a dans la peau. Littéralement. Elle est inscrite sur son bras gauche, au milieu de ses nombreux tatouages faisant référence aux titres des groupes de rock argentin dont il est fan. Celle-ci est extraite d’une chanson interprétée par Callejeros, une de ses bandes préférées. « Elle résume assez bien sa vie », assure un proche. Ne pas écouter et avancer. Comme quand il était gamin à Casilda, une commune tranquille de 40 000 habitants située à une soixantaine de kilomètres à l’ouest de Rosario. Personne ne voulait croire aux rêves de ce petit gars surnommé « el Zurdo » – le gaucher – passionné de football, éphémère employé de banque, allergique aux études et surtout trop agité pour un endroit où la sieste se respecte. Il voulait atteindre le monde professionnel en partant des profondeurs des ligues amateurs de l’intérieur du pays. Il n’y parviendra pas comme joueur, mais comme entraîneur, inspiré par les idées de Marcelo Bielsa qu’il allait espionner à Newell’s Old Boys.

Ne pas écouter et avancer. Comme aujourd’hui depuis le Brésil où après un passage à Santos, Sampaoli, 60 ans, tente de maintenir le cap comme entraîneur du Clube Atlético Mineiro. Malgré des oreilles qui sifflent. C’est que, dans son pays natal, même trois ans après la débâcle russe, à chaque fois que son nom réapparaît, les critiques fusent contre celui qui en octobre dernier était encore décrit dans une célèbre émission de football en Argentine comme « le pire sélectionneur de l’histoire de l’Albiceleste ».

« La fédération lui a tout donné. Et ça a été un désastre »

La rancœur est à la hauteur de l’attente qu’avait engendrée celui qui, quatre ans plus tôt, était pourtant « le meilleur entraîneur du monde ». C’est Claudio Tapia, fraîchement élu à la tête de l’AFA (la fédération argentine de football) qui l’avait présenté ainsi au moment de lui donner les commandes d’une sélection mal embarquée à quatre journées de la fin des éliminatoires au Mondial. Son arrivée, négociée avec Séville moyennant 1,5 million d’euros pour le libérer de sa dernière année de contrat, fait l’unanimité. L’entraîneur, salué pour ses succès en club et avec la sélection du Chili, séduit. Son jeu offensif pratiqué en Andalousie s’affiche même à la une du prestigieux magazine El Gráfico quelques mois plus tôt : « Révolution Sampaoli ». L’Argentine se met à rêver d’avoir trouvé le messie qui guidera l’autre au titre suprême.

« Face à la crainte que la sélection n’aille pas en Russie, la fédération lui a tout donné », rembobine Federico Bueno, journaliste à ESPN en charge du suivi de la sélection : « Ils lui ont donné un contrat en or. Il a eu toutes les possibilités pour voyager et voir les joueurs en Europe autant de fois qu’il le voulait. Ils ont accepté tous les rassemblements qu’il souhaitait dont un à Barcelone malgré le coût énorme que cela représentait pour le foot argentin. Autant de moyens, c’était du jamais-vu. Et ça a été un désastre. »

Ce qui ressemblait à un mariage parfait vire très vite au malaise. La patte Sampaoli n’apparaît pas. Jamais. L’Albiceleste est toujours aussi moche à voir, sans idées et ne doit son salut qu’à un Messi sauveur de la nation grâce à son triplé en Équateur lors de la dernière journée. En interne, le coach tâtonne, tant au niveau tactique que dans la gestion des hommes. À la presse, Sampa parle beaucoup en off, souvent trop et le regrette ensuite. Son idée initiale était de mettre Mascherano sur la touche ? Il finira titulaire indiscutable, bien orienté dans sa décision par son numéro dix. Il voulait se passer d’Higuaín dont il avait publiquement douté des ressources mentales ? Il ira en Russie, appuyé par les cadres de la sélection, et pas Icardi ni Lautaro dont il avait vanté les mérites. « Je n’écoute pas et j’avance », dit pourtant le tatouage.

« Il a fini tout seul »

Deux évènements en dehors des terrains vont définitivement abîmer son image auprès du grand public. Deux mois après une pénible qualification et une humiliante défaite 4-2 face au Nigeria en match amical, Sampaoli est interpellé en état d’ébriété lors d’un contrôle routier et insulte un policier : « Imbécile, tu gagnes 100 pesos par mois ! » La scène est filmée et fait le tour du monde. Le sélectionneur est obligé de publiquement présenter ses excuses pour ce dérapage qui lui colle encore à la peau aujourd’hui en Argentine.

Trois mois plus tard, c’est la publication d’un livre qui passe mal. Dans Idées sur la culture du jeu, le sélectionneur, sur près de 200 pages, dévoile sa philosophie offensive et son management en détail et à la première personne. Dans le même temps, l’Albiceleste en prend six face à l’Espagne au Wanda Metropolitano. Foutu timing. Plusieurs libraires décident d’afficher le bouquin en vitrine accompagné du commentaire « Vendeur de fumée ! » ou en baissant le prix. Un extrait fait particulièrement polémique. « Je ne planifie rien, écrit l’entraîneur. Tout sort de ma tête quand cela doit surgir. Je déteste la planification. Le football ne s’étudie pas. Il se sent et se vit. » Pablo Paván, biographe du coach, qui a participé à l’ouvrage, s’insurge : « La phrase a été complètement sortie de son contexte. Ce livre a beaucoup été cité et peu lu. Avec Jorge, sur proposition de la maison d’édition, ça nous paraissait une bonne idée de raconter sa façon de penser avant le Mondial. Son intention était pure. Il voulait parler de jeu. Finalement, beaucoup de choses ont été détournées ou même inventées. »

Avant de partir en Russie, Sampaoli avait déjà perdu le soutien d’une part importante du public, de la presse et de ses joueurs. Une partie de son staff suivra même pendant la compétition. « Il a vraiment fini tout seul. Au niveau de la gestion du groupe, ça a été un fiasco total », assure un ancien proche de la sélection. Sur le terrain, le technicien, connu pour ses fortes convictions, utilise quinze systèmes de jeu en quinze matchs. Avant l’élimination en huitièmes de finale contre la France, Maradona lui conseille de ne pas rentrer au pays. À son retour, un sondage publié dans le quotidien La Nación signale que 86 % des Argentins souhaitent son départ. Sampaoli ne démissionnera pas pour autant. Il obtiendra même un joli chèque pour le pousser à partir, avant de filer au Brésil.

« Le onze contre la France, c’est lui qui l’a choisi »

« Ce fut un Mondial atypique pour de multiples raisons que je préfère ne pas évoquer », murmurait Lionel Messi en mai 2019 sur Fox Sports Radio. Le capitaine en dit peu et dit tout en même temps. Il a surtout ouvert les vannes. Le plus direct : Marcos Rojo en août dernier lors d’un entretien à Infobae : « En Russie, d’entrée, les choses ne fonctionnaient pas. Il y a eu beaucoup de changements. J’ai senti que Jorge avait un peu perdu le nord et ne savait pas comment continuer ». Le défenseur confirme surtout que les joueurs avaient bien pris le pouvoir et composé l’équipe avant le dernier match de poule contre le Nigeria. « On n’a jamais manqué de respect au coach, tient néanmoins à préciser Javier Mascherano lors d’une interview à Tyc Sports l’année dernière. Sur ce match-là, on est parvenu à un accord avec lui pour résoudre des problèmes que l’on avait sur le terrain. Mais le onze contre la France, c’est lui qui l’a choisi. » Si les joueurs disent tous assumer leur part de responsabilité dans l’échec russe, aucun ne rate vraiment l’occasion d’égratigner leur ex-entraîneur. « Il ne me saluait pas, ne me demandait pas comment ça allait, ni comment je me sentais, expliquait Paulo Dybala à la radio. C’est la première fois que ça m’arrivait dans ma carrière. » Face aux nombreuses critiques autour de son mandat, Sampaoli n’a répondu qu’une seule fois. C’était lors d’une interview au journal Marca en 2019. Il y expliquait avoir cherché « toutes les manières » pour enlever de la pression à ses joueurs. Sans succès.

Si l’ancien sélectionneur est toujours largement critiqué en Argentine, l’entraîneur à succès hors de ses frontières est en revanche plutôt respecté. Quelques voix discrètes émettent parfois l’idée que cette sélection, et surtout ses ego, étaient peut-être impossibles à gérer. Mais peu prennent vraiment la défense d’un Sampaoli qui n’a, en plus, jamais entraîné un club argentin (il est supporter de River Plate) et compte donc peu d’alliés dans son pays natal. « Il a eu sous ses ordres une génération qui était déclinante. Beaucoup ont arrêté après le Mondial. Ça n’a pas fonctionné parce qu’il y avait peu de temps pour mettre en place quelque chose à la hauteur de ce que prétendait Jorge », tente son biographe et ami Pablo Paván, un des rares sampaolistes assumés. Cette expérience reste-t-elle une cicatrice aujourd’hui pour l’entraîneur ? « Il a une vision très intime de ce qu’il s’est passé », répondait cette semaine l’un de ses plus proches collaborateurs. Il n’en dira pas plus.

Quentin Merlin tire le bilan de sa progression depuis son arrivée à l’OM

Par Georges Quirino-Chaves, à Buenos Aires

Tous propos recueillis par GQC sauf mention

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