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Et au milieu courent des Renards

Par Maxime Brigand
6 minutes
Et au milieu courent des Renards

Sur la table, une bouteille vide. Au sol, des posters déchirés et un cendrier renversé. Dans l'air, l'odeur de lendemain du plus gros casse du siècle. Cette fois, ce n'est plus un rêve : Leicester est devenu champion d'Angleterre au terme du marathon le plus impressionnant de l'histoire du foot moderne. Rusé.

C’est l’histoire d’un rêve. D’un trip qui ne s’est jamais arrêté, d’un bordel immense et d’une fête qui ne fait que commencer. Au départ, ils n’avaient rien, juste une barre à atteindre : quarante points. C’était l’objectif initial : vivre. C’était, aussi, le premier message livré par Vichai Srivaddhanaprabha, dans les yeux de Claudio Ranieri, en juillet dernier : « Claudio, c’est une année très importante pour le club. C’est très important pour nous de rester en Premier League. On doit rester en vie. » Leicester sortait alors d’une gueule de bois terrible, d’un scandale sexuel en Thaïlande impliquant le fils de l’entraîneur alors en poste, Nigel Pearson, et quelques semaines plus tard, Jamie Vardy insultait des touristes japonais dans le casino de la ville. Ces gars-là ne vivent que pour l’excès. Pour eux, rien ne doit être normal car, comme l’expliquait Riyad Mahrez dans les colonnes de L’Équipe Magazine le week-end dernier, ces hommes « n’étaient pas programmés pour devenir pros » . La saison dernière, les Foxes ont passé 140 jours à transpirer pour surtout ne pas crever. Aujourd’hui, ils essayent simplement de ne pas s’arrêter de rêver. Paulo Coelho avait raison : « C’est justement la possibilité de réaliser un rêve qui rend la vie intéressante. »

L’Art de la guerre

Il faut observer, longtemps, pour prendre la mesure de l’histoire. Il aura donc fallu trente ans à Claudio Ranieri pour toucher une couronne, au moment où il s’y attendait le moins. Car en arrivant à Leicester, l’entraîneur italien, qui sortait alors d’un échec terrible avec la Grèce, a décidé de fuir la lumière pour s’offrir un dernier projet à 63 ans. Le premier jour, il a demandé à N’Golo Kanté, rescapé d’une guerre de cour d’école entre l’OM et Xavier Gravelaine, d’arrêter de courir partout à coups de « slow down, slow down » . Le deuxième jour, il a installé son historique « dilly-ding, dilly-dong » . Le troisième, il a compris les destins qu’il venait de récupérer et, juste avant le premier match de pré-saison, Ranieri a lâché ces mots : « Je veux vous voir jouer pour vos coéquipiers. On est une petite équipe, donc on doit tous se battre avec notre cœur et notre âme. Je n’ai rien à faire du nom de l’adversaire. Tout ce que je veux vous demande, c’est de vous battre. S’ils sont meilleurs que nous, ok, félicitations. Mais ils devront nous prouver qu’ils le sont. » Au dernier, Claudio Ranieri a pleuré, encore, en comprenant que son « rêve » était devenu réalité, dans un vol retour allant de l’Italie à Leicester, alors que son équipe vient d’être sacrée championne d’Angleterre pour la première fois de son histoire.

Le cœur, justement. C’est peut-être ce que cette saison nous a offert de plus beau. La force de Leicester est finalement assez simple : toute la saison, Ranieri s’est reposé sur un onze type, fixe, avec à chaque rencontre les mêmes changements. Le système est entré rapidement dans les têtes, Jamie Vardy est devenu un buteur sans complexe, Riyad Mahrez un artiste sans limite, le cœur du jeu un espace à deux ventricules (Kanté-Drinkwater), qui ont toutes les deux connu en mars dernier leur première sélection en équipe nationale, et la défense une île échouée avec des rescapés dalleux. Le plus bel exemple de l’esprit Leicester est peut-être finalement celui dont on parle le moins dans ce qui évoque l’idée du combat. Shinji Okazaki n’est pas le joueur de foot le plus élégant, il n’a pas le profil du gendre idéal, mais le voir s’arracher sur une pelouse grasse est un modèle. Le symbole de ce que Ranieri appelle « la liberté totale pour la création globale » .

Fantastic Mr. Fox

Derrière, il y a le tableau. Un joli coup de pied envoyé dans la gueule de toute l’Angleterre du foot, qui ne comprend pas trop ce qui lui arrive. Depuis le printemps 1995 et le sacre du Blackburn de Kenny Dalglish, la Premier League vivait dans un carré VIP limité à Londres et Manchester. Dans sa quête d’entertainment, la nébuleuse du football anglais a été servie mais, pour les annonceurs, la nouvelle n’est pas forcément réjouissante. Comme un uppercut envoyé par un adolescent boutonneux à un snob tiré dans son costume trois pièces. L’histoire des Foxes de Ranieri raconte beaucoup d’un football qui s’est avant tout construit par des gueulards accoudés sur le comptoir d’un pub et des choeurs chauffés dans la chaleur de la Football League. C’est rafraîchissant et finalement assez déstabilisant de voir si peu de clinquant. Riyad Mahrez, lui, résume en expliquant que « cette histoire est impossible » . Sauf que, ce mardi matin, on a beau se réveiller, rien n’a changé : Leicester est bien monté sur le crâne de l’autoproclamé « plus grand championnat du monde » . Ranieri, lui, a ajouté une case à son CV.

Alors forcément, comme après chaque bonne cuite, le réveil sera difficile. La descente sera probablement longue et les problèmes vont commencer à arriver. Dans un premier temps, il faudra d’abord convaincre certains courtisés de ne pas partir. C’est peut-être le début d’une histoire et la responsabilité est réelle de la poursuivre. Le destin des hommes en place assure déjà une mesure dans les choix et c’est ce qui est rassurant. Mais, forcément, une pépite comme Riyad Mahrez sera scrutée de partout, un N’Golo Kanté ou un Danny Drinkwater aussi. Reste qu’il y a un esprit à conserver : l’image du groupe en train d’exploser comme un seul homme, dans le salon de Jamie Vardy lundi soir, le raconte bien. On veut que ce bordel continue, on ne veut pas se réveiller et ce malgré la beauté du dauphin qu’aura été Tottenham tout au long de la saison. Aimé Jacquet aimait répéter que « le sport est école de vie » . Le frisson, la peur du vide, l’amour de l’ivresse, aussi. Le foot ne vit que pour ce genre de moments. La belle histoire est une drogue dure. « On sait de quoi on est capable, mais on ne sait pas quand et jusqu’à quand » . Claudio Ranieri, cheveux grisés et génie sacré.

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