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Le Real Madrid tue-t-il le football ?
Les clubs espagnols n’en peuvent plus du Real. Lobbying, puissance financière, influence médiatique : la Maison-Blanche étouffe tout sur son passage. Alors, fausse-t-elle le jeu ou ne fait-elle qu’accompagner l’inévitable virage ultra-capitaliste du foot ?

Son club ne jouait pas contre le Real, ni ce week-end, ni cette semaine. Il compte même un débours de 28 points au classement sur les Merengues. Pourtant, dimanche soir, le président du Séville FC José María del Nido Carrasco ne s’est pas privé d’envoyer une ogive sur le club madrilène : « Le Real Madrid tente de détruire le football espagnol. Il le fait depuis longtemps avec Real Madrid TV et par le biais de différentes pratiques. Nous ne pouvons tolérer qu’un club de l’envergure du Real Madrid tente de nous détruire. » Rien que ça. Alors, on s’est posé et on a essayé de répondre à la question : est-ce que le Real Madrid tue réellement le football espagnol ?
Thèse : La Maison-Blanche au-dessus des lois
Penchons nous d’abord sur les mots utilisés. Et ici, « tuer le football », c’est tuer ce qui le rend unique : son égalité presque mathématique. Un rectangle, 11 contre 11, deux buts, une balle, un score. Une même règle du jeu pour tout le monde. C’est là que réside l’essence du football (voire du sport de manière générale), qui obligent donc deux entités adverses à faire preuve de plus de force, d’intelligence, de technique ou d’autres ingrédients pour prendre le dessus. Un seul ingrédient est proscrit : influer (et même tenter d’influer) sur l’arbitrage. Et c’est là, d’après l’ami Del Nido Carrasco, où le bât blesse.
Le Real Madrid ne se contenterait pas de pousser des gueulantes depuis le banc de touche lorsque la prestation des hommes en noir lui est défavorable. L’institution madrilène mettrait tout son poids économique et médiatique pour user de son influence, quitte à infléchir les règles. Le Real Madrid TV, la chaîne officielle du club, en pleine polémique arbitrale sur le découpage de Kylian Mbappé lors de la défaite contre l’Espanyol, accuse l’arbitrage de manipulation d’images. Une intox qui n’a semblé gêner personne. Des sanctions pour Real TV ? Zéro. En revanche, la fédé espagnole s’est pliée en deux : l’arbitre du match et son assistant ont été suspendus un mois. Une erreur d’arbitrage lourde, certes, mais surtout un bouc émissaire offert sur l’autel de Florentino Pérez. Ce dernier réclamait des têtes depuis un moment. Il avait même appelé à la démission du comité d’arbitrage après l’expulsion de Vinícius, jugée injustifiée, le mois dernier. Officiellement, la fédé tient bon. Officieusement, elle vient surtout de donner raison au président du Real.
Dès lors, comment imaginer que les arbitres ne vont pas y réfléchir à deux fois avant de siffler contre le Real ? Que fera le pauvre Clément Turpin ce mardi s’il doit donner un penalty à Manchester City après un croque-en-jambe d’Aurélien Tchouaméni ? Quand une décision peut coûter une carrière, mieux vaut peut-être éviter de contrarier le roi Florentino. Les récentes attaques du Real Madrid témoignent d’une volonté de mettre à genou l’institution arbitrale, déjà bien amochée en Espagne à la suite de l’affaire Negreira : « C’est l’apogée d’un système arbitral complètement discrédité, dans lequel les décisions contre le Real Madrid ont atteint un niveau de manipulation et de falsification de la compétition qui ne peut plus être ignoré. »
Antithèse : Le football a peut-être juste changé
Alors oui, le Real Madrid bouscule les fondations et les institutions du football. Mais comme le disait un grand penseur : « Le football, il a changé. » On peut le regretter, mais c’est un fait : le football d’aujourd’hui n’a plus grand-chose à voir avec celui d’hier. Les frappes flottantes et les relances approximatives ont laissé place aux circuits de passes millimétrées et aux blocs ultra-rodés. Du District à la Ligue des champions, tout le monde s’inspire de Guardiola. Mais dans ce football hyper-organisé, il reste – au-delà des casseurs d’ambiance au sifflet – encore une part d’imprévu. Une poignée d’hommes capables de casser la matrice. Ces électrons libres qui font ce que les données ne prévoient pas : une accélération venue d’ailleurs, une feinte qui met l’adversaire dans le vent, un contrôle soyeux qui caresse le ballon.
Le Real Madrid en est le sanctuaire. Vinícius, Rodrygo, Bellingham, Mbappé pour ne citer qu’eux… Des joueurs capables de faire exploser n’importe quel plan de jeu. Alors, au diable les polémiques institutionnelles, les joutes médiatiques et les débats sans fin sur l’arbitrage. Le Real a des joueurs qui rappellent que le football reste avant tout une question de talent brut, d’instinct, de moment et il cherche ainsi à les protéger contre les barbares en crampons vissés. Parce que ce sont leurs éclairs de génie qui nous font vibrer, qui captent tous les regards. Ils repoussent les limites du jeu et en révèlent toute la beauté. Quand un match tourne à la purge et que l’ennui s’installe, ce sont ces joueurs qui vous raccrochent au foot, ceux qui rappellent pourquoi on regarde, pourquoi on vibre. Pas pour une VAR bien appliquée, mais pour une frappe en lucarne de Kylian aux abords de la surface.
Non, le football n’est pas mort. Non, le Real ne commet aucun « footballicide ». Il a juste évolué. Il est devenu un spectacle où le collectif est au service de quelques individualités, où l’on suit autant des joueurs que des équipes. On peut le regretter, mais c’est ce football, celui des nouveaux Galactiques, que le Real Madrid a choisi. Celui qui ne meurt jamais et gagne toujours. Quel que soit le scénario, quel que soit le score à remonter.
Synthèse : La séparation des mondes
Et si la vraie question était ailleurs ? Faut-il alors laisser les cadors européens jouer entre eux ? La Superligue signerait la mort du football tel qu’on le connaît, mais peut-être pour en faire naître deux autres. D’un côté, une ligue réservée aux titans où Florentino Pérez pourra se battre avec Nasser al-Khelaïfi à base de communiqués incendiaires et nous laisserait pour une fois un peu tranquille. De l’autre, des championnats domestiques rééquilibrés, avec une équité retrouvée, de véritables courses au titre et la possibilité de tacler n’importe quel joueur.
Par Mathias Jobert