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André-Pierre Gignac : une légende à plus d’un Tigre
Finale perdue, avenir incertain, mais une trace indélébile : à 40 ans, André-Pierre Gignac écrirait la dernière page de son histoire avec les Tigres. Retour sur une décennie hors norme, entre titres, intégration totale et héritage durable à Monterrey.
Dix ans après son arrivée au Mexique, André-Pierre Gignac s’apprête peut-être à refermer un chapitre unique de sa carrière. Dans la nuit de dimanche à lundi, l’attaquant français disputait une nouvelle finale de championnat avec les Tigres, porté par un court succès à l’aller de cette finale de championnat d’ouverture. Mais le rendez-vous de Toluca, disputé en haute altitude, n’a pas offert l’épilogue espéré à celui qui est devenu bien plus qu’un simple renfort venu d’Europe.
Quand il débarque à Monterrey en juin 2015, personne n’imagine l’ampleur de ce qui va suivre : un international français performant en Ligue 1 et en pleine maturité qui choisit la Liga MX. Beaucoup y voient une forme de préretraite, d’autres un pari exotique. Pourtant, dès son arrivée à l’aéroport, une centaine de supporters l’attendent, banderoles et chants à l’appui, un accueil inhabituel pour un joueur étranger découvrant le championnat mexicain. Gignac arrive lancé par une saison aboutie sous Marcelo Bielsa et s’impose immédiatement comme un leader. « Il est arrivé avec un profil humble, et ça plaît beaucoup ici, observe Fernando Segura Trejo, sociologue du sport basé à Mexico. Il s’est engagé pleinement avec son club, contrairement à d’autres joueurs qui viennent au Mexique pour une saison ou moins. »
L’impact dépasse rapidement le terrain. En 2018, le président des Tigres Miguel Ángel Garza soulignait déjà cette dimension humaine autant que sportive. « On sait qu’il est très content ici. Sa famille se sent bien, son fils est né à Monterrey. Il a été très bien accueilli et il voit que c’est une ville sûre. Il est épanoui chez nous et tire l’équipe vers le haut », confiait-il alors à ESPN. Une trajectoire à part, surtout si on la compare aux passages plus discrets ou contrariés de Florian Thauvin, Andy Delort, Timothée Kolodziejczak chez les Jaune et Bleu, ou encore Allan Saint-Maximin au Club América, annoncés comme des têtes d’affiche, mais jamais parvenus à créer un lien durable avec le championnat mexicain.
Une histoire d’acclimatation
Le professionnalisme de l’ancien Toulousain lui permet d’être performant dès les premiers mois. Dès sa première saison, il inscrit 28 buts en 33 apparitions en championnat, terminant comme l’un des meilleurs buteurs de la Liga MX, et conduit les Tigres jusqu’à la finale de la Copa Libertadores 2015, une première pour le club à ce niveau. « Sa première saison a été le moment déclic. Il est rapidement passé de bon joueur à icône des Tigres. Le parcours en championnat, puis la finale de Copa Libertadores contre River Plate, c’était extraordinaire. Voir les Tigres à ce niveau, personne ne l’imaginait », rappelle Segura Trejo. Les buts, l’efficacité immédiate, mais aussi la manière : peu de mots, jamais de polémiques, une relation apaisée avec les journalistes.
Si on pense au football mexicain des dix dernières années, on pense à Gignac. Il a toujours été un protagoniste.
Au fil des années, l’ancien Marseillais devient la figure centrale de la meilleure période de l’histoire des Tigres. Titres nationaux, Ligue des champions de la CONCACAF en 2020, finale du Mondial des clubs l’année suivante : Gignac empile les trophées et les buts décisifs. « Il a toujours été présent dans les grands moments. Si on pense au football mexicain des dix dernières années, on pense à Gignac. Il a toujours été un protagoniste », insiste le sociologue. À tel point que les Tigres, longtemps habitués aux frustrations, s’installent durablement parmi les clubs majeurs du pays. Cette influence dépasse le simple plan sportif. Comme le résume Guido Pizarro pour TJ Sports, ancien coéquipier de Gignac devenu aujourd’hui son entraîneur : « Nous sommes très chanceux d’avoir André‑Pierre Gignac ici. Il apporte de l’expérience, de la personnalité et il est un exemple pour tout le groupe. » Une déclaration qui souligne combien le Français est devenu un repère dans le vestiaire et un mentor pour les plus jeunes.
Si Gignac est devenu un monument, c’est aussi parce qu’il a compris le pays où il vivait. Il apprend l’espagnol et adopte les codes. Les supporters vont jusqu’à détourner l’air de Hey Jude pour scander son nom dans le stade Universitario, un chant devenu indissociable de ses apparitions. « Je suis proche des supporters des Tigres, j’aime le peuple mexicain, je ne rejette jamais rien. Il faut arrêter les clichés sur l’insécurité : il y a des supporters qui ne mangent pas les jours de match pour pouvoir payer un billet à 200 pesos et te regarder tout en haut du stade », déclarait le quintuple champion en décembre 2021, soulignant son attachement au public et à la culture locale. Cette intégration sincère crée une identification rare, presque totale, avec le public.

Cette proximité dépasse le cadre des Tigres. « C’est une superstar à Monterrey, mais il est respecté par toutes les équipes. Il n’est pas détesté par les autres supporters, même avec la rivalité très forte contre les Rayados. Il a toujours été respectueux, y compris dans les matchs les plus chauds face à ce rival, contre qui il a d’ailleurs joué plusieurs finales », souligne le chercheur, né dans la capitale aztèque. Dans un pays pourtant très nationaliste, où les icônes absolues restent Hugo Sánchez, Rafa Márquez ou Chicharito, Gignac a trouvé sa place. « Il reste un étranger, aimé et respecté. Mais parmi les joueurs étrangers, aujourd’hui, le plus respecté, c’est clairement lui. » À Monterrey, les signes d’attachement sont partout : peintures murales, chants repris à chaque apparition ou encore nouveaux-nés prénommés en son honneur. Une ferveur à nuancer géographiquement. « La folie Gignac est surtout à Monterrey. À Guadalajara ou à Mexico, il n’y a pas ce phénomène. En revanche, même là-bas, c’est une figure : ça fait plaisir de le voir jouer », précise Segura Trejo, qui rappelle aussi le contexte local : « À Monterrey, le football est central dans la vie quotidienne. Il n’y a que deux clubs, mais ce sont des institutions. »
Un Big Clap pour Gignac ?
Sur le terrain, malgré l’âge, son influence reste tangible. Le vice-champion d’Europe 2016 n’est plus le centre exclusif du projet sportif, mais demeure une référence. « En plus d’être bon, il a toujours montré un côté combatif, très important au Mexique. Et le fait d’avoir été international français a aussi contribué à sa réputation », analyse le sociologue. Lors de la finale retour, les Tigres n’ont toutefois pas su contenir la réaction de Toluca. Rejoints au score puis poussés jusqu’à une séance de tirs au but interminable, ils ont fini par céder (9-8), laissant échapper un sixième titre national. La soirée a pris une tournure encore plus amère pour Gignac. Remplacé à l’heure de jeu, l’attaquant français a été pris à partie par un spectateur adverse, placé derrière le banc des Tigres, qui a tenté de l’atteindre avec un drapeau avant l’intervention rapide de la sécurité. Une scène tendue, loin de l’image de communion qui a souvent accompagné ses grandes soirées mexicaines, et peut-être la dernière apparition d’APG sous le maillot jaune et bleu.
Que lamentable el comportamiento de estos aficionados del Toluca agrediendo a Gignac. Si a eso van a un estadio, mejor no vayan. pic.twitter.com/0NKXDYKr2C
— "El Jefe" Águila (@ElJefeAguila) December 15, 2025
Quoi qu’il advienne, l’essentiel est déjà écrit. « Je veux que les Tigres grandissent de plus en plus tous les jours. Je veux être au club pour les aider… » a-t-il même imaginé pour l’après-carrière, évoquant déjà une possible reconversion au sein du club qu’il a marqué de son empreinte. « Il est peut-être le plus grand joueur de l’histoire des Tigres (il en est en tout cas le meilleur buteur avec 221 buts en 426 apparitions, NDLR). En Liga MX, je le mettrais dans le top 10 des meilleurs joueurs du championnat, ce qui n’était pas du tout évident il y a dix ans », conclut Segura Trejo. Reste désormais une question en suspens : celle de la suite. Désormais quadragénaire et en fin de contrat en juin prochain, André-Pierre Gignac n’a plus rien à prouver. Ni aux Tigres ni au football mexicain. Son corps est mis à l’épreuve, son rôle a évolué, et la page d’une décennie hors norme semble prête à être tournée. Mais tant que l’intéressé ne s’est pas exprimé, rien n’est totalement acté. S’il s’agissait bien de sa dernière apparition sous le maillot des Tigres, elle ne résumerait en rien son héritage. Et si ce n’était pas la fin, alors ce revers ne serait qu’un épisode de plus dans une histoire qu’il a toujours su prolonger là où on l’attendait le moins.
André-Pierre Gignac et les Tigres laissent échapper un titrePar Evan Glomot
Propos de Trejo recueillis par EG.





























