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Luis Enrique, le chemin du roi
C’était en 2023 : le PSG sortait la carte Luis Enrique. Pas un hasard, tant ce grand amateur de courses Ironman s’était bâti une réputation de coach intransigeant, pas du genre à s’emmerder avec le statut de ses joueurs. Brillant pour les uns, provoc’ pour les autres, l’Asturien n’a laissé personne indifférent et a construit une équipe à son image, pour emmener Paris jusqu’à son rêve ultime : la Ligue des champions et le sommet de l’Europe.

Pour sa première dans la Ligue des talents, Luis Enrique Martinez Garcia avait fait tomber un record historique du championnat français. Celui du nombre de passes réussies : 1 002. Ajoutez à cela 78% de possession de balle, pour seulement quatre frappes cadrées et surtout un 0-0 contre Lorient, et vous aurez droit à l’éventail de critiques qu’un coach espagnol, passé de surcroît par le Barça, doit habituellement supporter lorsque son équipe n’empoche pas les trois points. À commencer par les fameuses comparaisons avec le handball et tous les symptômes de somnolence qui y sont associés. « L’ennui, c’est bien la dernière chose que les supporters parisiens vont expérimenter avec Luis Enrique », prévenait pourtant Joan Gaspart.
Avant d’être ce président du Barça trahi par Luís Figo, le Catalan fut sans doute l’un des meilleurs serviteurs blaugrana de l’histoire, et ce malgré la signature de Christophe Dugarry. Maradona, Romário, Rivaldo, Ronaldo, c’est lui. L’exfiltration de Lucho du Santiago-Bernabéu, à l’été 1996, c’est encore lui. « Une réussite car professionnellement et humainement, il ne m’a jamais déçu », se gargarise Gaspart. « Heureusement, parler de lui, c’est toujours très rafraîchissant, sourit le vieillard. Il a une énergie spéciale, je l’aime profondément. D’ailleurs, je tiens à rassurer tous les supporters parisiens : ils sont entre de très bonnes mains. Avec lui, ils vont s’éclater. C’est un crack. » Deux ans, six titres nationaux et une Ligue des champions plus tard, on peut dire qu’il n’avait pas tort.
Sécheresse lacrymale et coup de poker
Un crack, ça restait encore à voir. À l’époque de son arrivée au PSG, Luis Enrique avait préféré défendre le bilan de son ami Luis Rubiales à la tête de la fédé espagnole plutôt que de condamner son baiser sur la bouche de la championne du monde Jennifer Hermoso. Un énième contrepied pour celui qui n’a jamais eu peur des polémiques et se définit modestement comme « un type grand, beau, sympathique et asturien ». Né à Gijón il y a 55 ans, au cœur d’une région plus réputée pour son cidre que pour son flamenco, ce fils d’un camionneur et d’une couturière grandit dans la grisaille du quartier ouvrier de Pumarin. À l’école Elisburu, où il se rend principalement pour taper le ballon à la récré, le guaje (gamin, en asturien) est du genre mauvais élève. Luis et Nely, ses parents, finissent par l’inscrire au Xeitosa, un club de futsal ayant un partenariat avec le centre de formation du Sporting de Gijón.
À cet âge-là, les gosses pleurent pour n’importe quoi, mais je n’ai jamais vu une seule larme couler sur ses joues. Sur le terrain, il avait toujours la mâchoire serrée, il se battait sur tous les ballons.
Luis Enrique a alors 7 ans, une gueule à démarrer une bagarre pour un regard de travers, et passe une bonne partie de ses journées à enchaîner les une-deux avec son grand pote « Pitu » Abelardo. Un défenseur central aussi gringalet que lui, avec qui il finira par remporter une médaille d’or aux JO de Barcelone, deux Ligas avec le Barça et une C2 soulevée en 1997, après avoir battu le PSG en finale. « On peut dire que j’ai apporté mon petit grain de sable à ce qu’ils ont connu par la suite, se marre José Maria Fernandez De Brito, leur coach pendant trois ans. Les deux étaient très maigres, mais Luis avait déjà son petit caractère. Il était très dur. À cet âge-là, les gosses pleurent pour n’importe quoi, mais je n’ai jamais vu une seule larme couler sur ses joues. Sur le terrain, il avait toujours la mâchoire serrée, il se battait sur tous les ballons. » Une grinta qui lui ouvre les portes de Mareo, le centre de formation du Sporting. Mais pour « Luisin », tout comme pour Abelardo, l’aventure s’arrête à leurs 14 ans. Jugés trop frêles par leurs formateurs, ils sont priés d’aller voir ailleurs.
Les deux ados rebondissent donc au modeste CD La Braña, entraîné par Ismael Fernandez. Un petit pas en arrière qui se transforme en grand bond en avant pour Luis Enrique. Plutôt que de bassiner le jeune attaquant avec son retard de croissance, Fernandez choisit en effet de lui injecter des shoots de confiance, d’abord en le surclassant, puis en lui confiant le brassard de capitaine. « C’était celui qui s’entraînait le mieux, celui qui courait le plus, celui qui mettait le plus de buts, celui qui avait le plus de caractère, mais aussi celui qui prenait le plus de plaisir sur le terrain, justifie le mentor, ami très proche du coach du PSG. En fait, il était déjà le même qu’aujourd’hui : un gagnant. » Ses 18 bougies soufflées, le winner aspire à mieux que l’anonymat du CD La Braña. Problème : le concept de dream bigger si cher aux Qataris n’étant pas encore à la mode, El Guaje a des ambitions aux rabais. « Un jour, il est venu me voir pour savoir si je pensais qu’il avait le niveau pour jouer en Tercera (la quatrième division espagnole, NDLR), rembobine Ismael Fernandez. Je lui ai répondu : “Non. Tu as le niveau pour la première division.” »
Luis Enrique en el Sporting de Gijón. Temporada 90-91. ⚽❤️ pic.twitter.com/EuSxeCCV8o
— Cancheros (@Cancherosoffici) October 16, 2024
De fait, Isidoro Sánchez, un scout asturien officiant pour le Barça, l’expédie en Catalogne pour passer des tests. Sur place, il dispute quelques matchs avec Tito Vilanova, futur entraîneur du club, avant finalement de se faire recaler par José Luis Romero. Dans son rapport, ce directeur de la Masia estime que le joueur « en a trop peu fait ». De retour au bercail, le jeune attaquant décide donc de faire tout le contraire. « À ce moment-là, le Real Oviedo le suivait de près, il avait lui-même annoncé vouloir le rejoindre, alors que c’est le club qu’il déteste le plus, rejoue Luis Miguel Carreno Caveda, le président du CD La Braña. En fait, c’était juste un coup de poker super bien maîtrisé, pour que le Sporting panique et décide de le reprendre. C’est un mec hyper malin, il avait compris que passé 18 ans, il serait trop vieux pour retourner au centre de formation, alors il l’a joué fine. » Preuve qu’il ne bluffait pas tant que ça, le Guaje a bien signé une licence chez l’éternel ennemi des Sportinguistas. Il a même reçu une avance. De l’argent qu’il a finalement restitué aux Bleu et Blanc par l’intermédiaire d’un chauffeur de bus assurant la connexion entre les deux grandes villes asturiennes.
Quand tu as porté les couleurs du Real, il y a deux manières de revenir dans son stade : en passant totalement incognito ou en te faisant pourrir. Moi, je voulais qu’on me pourrisse.
Entre-temps, Carlos Garcia Cuervo, l’entraîneur de la réserve du Sporting, l’avait rattrapé in extremis par le col. « Lors d’une réunion avec sa mère et Ismael Fernandez, je me suis engagé à lui laisser sa chance, à condition qu’il travaille comme un acharné pour gagner sa place. C’était un vrai pari, mais je ne l’ai jamais regretté car bosser avec lui a été un vrai plaisir. » Luisin fait son baptême du feu en Liga un an plus tard. Ce 24 septembre 1989, Málaga s’impose 1-0, mais le Guaje, entré à la 61e minute de jeu, s’illustre en tentant une bicyclette sur l’un de ses premiers ballons. Le cuir finit sur la barre, mais l’essentiel est ailleurs pour le jeune attaquant : le Sporting se félicite de son audace, et le voilà titulaire indiscutable dès la saison suivante, où il inscrira officiellement 14 buts. Problème : lui est persuadé d’en avoir marqué un de plus. Alors, il y a quatre ans, lorsqu’il est revenu au Molinon (le stade de Gijón) dans la peau de sélectionneur de la Roja, Luis Enrique a traversé le musée du club aux côtés de son pote Luis Rubiales, puis saccagé le wall of fame local avec un grand feutre noir : « Voilà, maintenant tout le monde saura que je n’ai pas inscrit 14, mais 15 golazos ! »
De la souffrance, du sang et de la pourriture
Peu importent les chiffres, il se murmure à l’été 1991 que Johan Cruyff serait tombé amoureux de l’intelligence de jeu et de l’intensité de celui qui vient tout juste de s’offrir une Opel Calibra flambant neuve. Une bagnole qui en jette visiblement plus que l’offre du Barça au Sporting. Résultat : Luis Enrique, au cœur plus blaugrana que merengue, atterrit finalement au Santiago-Bernabéu. Ramon Mendoza, le président du Real Madrid, ne s’est pas emmerdé à passer par la table des négociations. Il a payé la clause libératoire fixée à 250 millions de pesetas (1,5 million d’euros) et multiplié par dix le salaire de son nouveau joueur. Le coach du PSG explique encore que c’est cette fameuse bascule financière qui l’aurait poussé à s’asseoir sur son romantisme : « Finalement, je suis comme tout le monde : je travaille pour gagner du fric. » Mercenaire, Lucho ? « À sa place, beaucoup auraient fait la même chose, défend Ismael Urzaiz, légende vivante de l’Athletic Club et ancien coéquipier de l’Asturien au Real. Chaque footballeur en début de carrière souhaite améliorer son niveau de vie. Je ne connais pas en détail les motifs qui l’ont poussé à signer au Real Madrid, mais je peux dire qu’il n’a pas triché. Il s’est donné à fond pour le club. C’était un jeune très ambitieux. »
Le genre de profil dont la Casa Blanca a cruellement besoin à l’époque. En fin de cycle, la Quinta del Buitre est en passe de se faire ringardiser par la Dream Team de Johan Cruyff. Le début d’une sale époque pour les socios merengues, mais aussi pour le polyvalent Luis Enrique. Baladé aux quatre coins du terrain par ses entraîneurs successifs, il est rapidement pris en grippe par le Bernabéu. La médaille d’or décrochée aux JO de Barcelone avec Pep Guardiola et son pote Abelardo n’y change rien. À son retour dans la capitale espagnole, le dépanneur continue à ferrailler sous les sifflets et remporte même une Coupe du Roi (en 93) et une Liga sous les ordres de Jorge Valdano (en 95). Insuffisant pour les fans, et pour Gaspar Rosety, un journaliste de Radio Cope pour qui « Luis Enrique est aussi inutile que la première tranche d’un paquet de pain de mie ».
L’histoire d’amour avec les gratte-papier madrilènes ne fait alors que commencer. Son transfert au Barça, ficelé en 1996 avant même la fin de son aventure dans la capitale espagnole, est encore considéré 25 ans plus tard comme une haute trahison. Il faut dire aussi que Luis Enrique n’a rien fait pour se faire pardonner, loin s’en faut. En témoigne sa célébration effusive après un but inscrit au Bernabéu en 2003, son accrochage avec Zidane lors du même Clásico, ou encore les nombreuses piques adressées à l’encontre de son ancien employeur. Parmi lesquelles celle-ci : « Je ne garde pas de grands souvenirs de mon passage au Real Madrid. Quand je me vois avec un maillot blanc dans les images Panini, je ne me reconnais pas. Les rayures bleu et grenat me vont beaucoup mieux. »
Luis a toujours su s’adapter aux besoins du collectif. Tu le mettais attaquant ? Il marquait des buts. Milieu de terrain ? Il créait les différences. Défenseur latéral ? Pas de problème. C’était un joueur complet, intelligent et avec une énorme confiance en lui.
Comment expliquer que l’Asturien soit l’un des seuls êtres humains à renier son passage dans la Maison-Blanche ? Certains de ses anciens coéquipiers mettent en avant son « amour profond pour le Barça », d’autres évoquent sa soif de vengeance ou encore son désir de montrer patte blanche à ses nouveaux socios. Miguel Nadal, oncle de Rafa et ancien défenseur du Barça, y voit surtout une attirance certaine pour le sadomasochisme. « Luis aime les défis, la souffrance et repousser le plus loin possible ses limites, c’est d’ailleurs pour ça qu’il pratique des sports extrêmes. » Le Catalan d’adoption l’avoue d’ailleurs volontiers : c’est au Bernabéu, sous la pression médiatique et les insultes du public, qu’il a pris ses meilleurs shoots d’adrénaline. « Quand tu as porté les couleurs du Real, il y a deux manières de revenir dans son stade : en passant totalement incognito ou en te faisant pourrir. Moi, je voulais qu’on me pourrisse. Ça voulait dire que mon départ leur avait fait du mal. »
Chez l’ennemi, Luis Enrique débarque dans un Barça en transition. Le club vient tout juste de couper les ponts avec sa légende Johan Cruyff. Les socios se rongent les ongles, mais le gladiateur de Gijón vit sa meilleure vie : il vient de rencontrer Elena, une Catalane avec qui il aura trois enfants. L’amour est aussi dans le pré, puisqu’il trouve rapidement ses marques aux côtés d’Abelardo, Guardiola, Ronaldo et Bobby Robson. L’entraîneur anglais a alors pour adjoint un certain José Mourinho. Un traducteur portugais avec lequel il partage très vite la même passion pour les étincelles et l’humour au vitriol. Au point que le Special One, approché en 2008 par le Barça, ira jusqu’à demander à ce qu’il soit son adjoint. Les dirigeants auront finalement la bonne idée de donner sa chance à Guardiola. Un dogmatique qui a longtemps eu du mal à comprendre qu’un autre football était possible au-delà des principes cruyffiens. Tout le contraire de l’hybride Asturien, en somme.
« Au Barça, il s’est bien entendu avec Robson et Van Gaal alors que leurs méthodes et leurs caractères étaient très différents, analyse Nadal. Luis a toujours su s’adapter aux besoins du collectif. Tu le mettais attaquant ? Il marquait des buts. Milieu de terrain ? Il créait les différences. Défenseur latéral ? Pas de problème. C’était un joueur complet, intelligent et avec une énorme confiance en lui. Sans ça, il n’aurait pas joué autant de temps dans des clubs aussi compliqués que le Real Madrid et le Barça. » À la fois darwinien, stakhanoviste et trait d’union entre les deux premières Ligues des champions blaugrana, Luis Enrique raccroche définitivement les crampons et son brassard de capitaine le 16 mai 2004, après une dernière bataille contre le Racing Santander. Ce soir-là, le Camp Nou l’ovationne, Ronaldinho l’embrasse tendrement et Lucas Alcaraz, le coach visiteur, rappelle le pire souvenir de sa carrière : « Si je ne devais garder qu’une image de lui, ce serait celle de son nez en sang après le coup de coude de Tassotti. » Javier Clemente, sélectionneur de la Roja lors de ce fameux quart de finale du Mondial 1994 disputé contre la Nazionale, enrage encore : « L’arbitre a bien vu qu’il avait le nez en vrac, mais il n’a pas sifflé penalty. Luis était dégoûté, et moi aussi, car en battant l’Italie, je suis sûr qu’on aurait pu atteindre la finale… »
Luis est obsédé par le poids et l’alimentation de ses joueurs. Il me disait tout le temps que je deviendrais un footballeur d’élite le jour où je maigrirais de 10 kilos, et c’est ce qu’il s’est passé.
Ce maudit 9 juillet 1994 n’est pas synonyme de regrets pour tous les supporters espagnols. Pour les fidèles du Real Oviedo, c’est même une date bénie, qu’ils célèbrent tous les ans comme il se doit. « À Oviedo, beaucoup de quadras ont encore un maillot floqué Tassotti, confirme Alejandro Vigil Moran, rédacteur pour le média du Sporting de Gijón, Sporting1905. Ils détestent la grande gueule de Luis Enrique, car sur son visage, il est marqué “Je viens de Gijón et je vous emmerde”, alors chaque année, ils rendent hommage à celui qui lui a explosé le nez. » Au-delà des rivalités locales, Luis Enrique n’a jamais fait l’unanimité en sélection. Javier Clemente rappelle d’ailleurs qu’il a dû l’imposer en sélection contre vents et marées. Un entêtement qui fait étrangement écho à celui du sélectionneur Luis Enrique avec les jeunes Pedri, Gavi ou Ansu Fati. « Je l’avais convoqué après sa médaille d’or aux JO alors qu’au Real, il était le remplaçant de Michel, une grande figure du club, rembobine le Basque. En sélection, c’était l’inverse. Moi, je me fichais des statuts, et à mes yeux Luis était meilleur que lui. Et puis, on rigolait bien. J’ai toujours aimé sa sympathie. C’est un bon gars, aimable, honnête et avec un grand sens du devoir. » Sans surprise, Lucho ne tarit pas non plus d’éloges sur celui qui partage la même allergie aux journalistes que lui. « Tactiquement, Louis van Gaal a été une vraie source d’inspiration, mais en matière de gestion d’hommes, Clemente était très fort, déroule l’Asturien. Il avait une telle force de persuasion que je me serais jeté d’un pont en souriant s’il me l’avait ordonné. »
« Il a rallumé la flamme dans le vestiaire »
Luis Enrique exercera plus tard la même emprise sur ses footballeurs. Mais à ce moment-là de l’histoire, le retraité veut surtout lâcher prise. Il s’envole donc avec femme et enfants pour l’Australie, pour apprendre l’anglais et se perfectionner au surf. « Il m’a confié que cette aventure avait été vitale pour lui, confie Ismael Urzaiz. Le fait de découvrir un pays où personne ne le connaissait lui a fait beaucoup de bien à la tête. » Requinqué, Lucho se lance dans sa nouvelle lubie : les marathons. Il boucle celui de New York en 3 heures et 14 minutes. Dans la foulée, il s’inflige les 205 kilomètres de la Quebrantahuesos. Une course cycliste à laquelle il participe en prenant la roue de son futur adjoint au Celta et au Barça, Juan Carlos Unzué (frère d’Eusébio Unzué, l’actuel manager de l’équipe Movistar). Les cols de Marie-Blanche, Somport, Portalet et Hoz de Jaca sont avalés en moins de sept heures. Un amuse-gueule pour celui qui craint l’ennui comme son ombre, et qui se lance un nouveau défi : l’Ironman de Francfort, un supplice réservé aux athlètes les plus tarés du monde (3,8 kilomètres de nage, 180 à vélo, et un marathon pour finir).
❤️💙🚴🏼🇪🇸 Comme la saison dernière, Luis Enrique arrive souvent en vélo au Campus PSG ! 🎥 Tt / thomas57840 pic.twitter.com/z5WPtnHUhr
— Paris No Limit (@Xparisnolimit) July 19, 2024
Pour en venir à bout en moins de onze heures, l’Asturien s’est cette fois-ci adjoint les services de José Ramon Callen, entraîneur à la fédé espagnole de triathlon. « Pendant sa préparation, il n’a rien laissé au hasard, il ne blaguait pas, révèle celui qui est devenu son préparateur physique au Barça. Il choisissait son matériel avec beaucoup de minutie et surveillait constamment son alimentation et son hydratation… C’est un très grand compétiteur. » Entre deux barres protéinées, le sportif de l’extrême a tout de même eu le temps de passer son diplôme d’entraîneur aux côtés de Pep Guardiola. Un sésame qui lui permet de s’asseoir sur le banc du Barça B à l’été 2008, après s’être esquinté une dernière fois les pieds au marathon des Sables. Pep, son prédécesseur, est alors sur le point de décrocher un sextuplé historique avec l’équipe première. À l’ombre de la troisième division, Lucho, lui, joue au savant fou en alternant le 4-3-3 maison avec un 4-4-2 qui fait jaser les puristes de la Masia. Un laboratoire où il inocule aussi un mental de Vietcong à ses jeunes cobayes.
« Le style Luis Enrique, c’est finalement un style très Carles Puyol, image Jeffren Suárez, son jeune milieu offensif de l’époque. En premier lieu, il veut que ses joueurs aient une mentalité de guerrier, prêts à se bagarrer pour l’écusson et le collectif. Une fois qu’ils adhèrent à son discours et à cette idée de lutte, il se concentre sur la façon de proposer le football le plus attractif possible. » Une autoroute de l’exigence qui a bien failli laisser Nolito sur la bande d’arrêt d’urgence. « Il était dur, toujours sur mes côtes, toujours à en vouloir plus, mais il a sauvé ma carrière, remet l’attaquant andalou, passé ensuite par Manchester City. Il est obsédé par le poids et l’alimentation de ses joueurs. Il me disait tout le temps que je deviendrais un footballeur d’élite le jour où je maigrirais de 10 kilos et c’est ce qu’il s’est passé. Je lui dois beaucoup. »
C’est le meilleur entraîneur avec lequel j’ai travaillé.
En parallèle de ses cours de fitness, Lucho pose évidemment les bases de son logiciel de jeu. À savoir, un gros turn-over, y compris chez les gardiens, un bloc haut pour faciliter la pression sur l’adversaire, beaucoup de recherche de verticalité et des circuits de passes bien définis. Et la possession ? « Toujours, mais avec des intentions », répète-t-il alors inlassablement à ses troupes. Une meute où chaque jeune loup peut aspirer à se faire une place au soleil. « Si tu le suis, que tu ne triches pas et que tu t’entraînes bien, tu joues, résume Suárez. Avec lui, il n’y a ni statuts, ni privilèges, on l’a vu quand il s’est passé de Sergio Ramos en sélection. J’ai plus appris avec Guardiola qu’avec lui parce que je ne l’ai côtoyé qu’une seule saison, mais si on me donnait le choix, c’est avec Luis Enrique que je partirais à la guerre. »
Après une montée en deuxième division et une place sur le podium lors de sa troisième saison au Barça B, Luis Enrique poursuit sa carrière de coach à l’AS Rome, où il déboule à l’été 2011, pour sa première expérience sur un banc de touche d’élite, mais aussi à l’étranger. Un pari d’autant plus risqué que l’Espagnol s’est fixé une mission quasiment impossible : introduire le jeu de possession au pays du catenaccio. Lors de sa première conf’ de presse, il prévient : « Mon style de jeu n’est pas négociable. » À toutes fins utiles, il précise aussi aux tifosis qu’il n’est pas un clone de Guardiola. La preuve : son équipe perd la manche aller du tour préliminaire de Ligue Europa contre le Slovan Bratislava, pour laquelle l’idole Francesco Totti n’est pas sortie du banc. De retour dans la ville éternelle, Il Capitano se pointe au centre d’entraînement avec un gros « basta » écrit sur son t-shirt. L’Italien est aligné d’entrée pour la revanche à l’Olimpico, mais son coach le sort prématurément. La Roma est éliminée, et Lucho doit faire face aux premiers sifflets de sa carrière de coach, alors que la saison de Serie A n’a même pas encore commencé.
Pour ne rien arranger, les supporters s’insurgent aussi contre le fait que l’ancien Laziale Iván de la Peña soit son adjoint. Little Buddah quitte le navire au bout d’un mois, mais pas Luis Enrique, qui persiste et finit par se mettre tout le vestiaire dans la poche. À commencer par Nicolas Burdisso, conquis comme jamais. « C’est quelqu’un avec beaucoup de charisme et plein d’ondes positives, définit l’ancien milieu de terrain argentin. Sa philosophie de jeu est très radicale, il veut toujours que son équipe impose sa loi à l’adversaire, mais chez lui tout est équilibré : sa méthodologie, son management, sa manière de vivre le football. C’est vraiment un entraîneur avec une intelligence supérieure. » Alors comment expliquer cette décevante septième place en Serie A, malgré une deuxième partie de saison achevée en boulet de canon ? Burdisso fait mine de ne pas comprendre la question. « Contrairement à ce que certains pensent, ça n’a pas du tout été un échec, défend-il. Cette saison a été l’une des plus enrichissantes de ma carrière. Luis a eu le courage de lancer plein de jeunes, d’apporter plein de nouveautés tactiques qui ont doté l’équipe d’une identité attractive et bien définie. Et par-dessus tout, il a installé une culture du travail qui perdure encore aujourd’hui. Laisser un tel héritage, ça n’a pas de prix. »
Les Romanistas, eux, retiennent sa réconciliation avec Tassotti à l’occasion d’un match contre l’AC Milan, les yeux embués d’émotion de Totti lors de sa dernière conf’ de presse, ou encore la déclaration d’amour de Daniele De Rossi au moment de signer sa prolongation de contrat avec la Louve. « Mon amour pour ce club va bien au-delà des dirigeants et des entraîneurs, mais je tiens à dire que Luis Enrique a été fondamental dans ma décision, expliquait alors celui qui avait été replacé arrière central par l’Espagnol. Il a rallumé la flamme dans le vestiaire. C’est le meilleur entraîneur avec lequel j’ai travaillé. » Luis Enrique apprécie les louanges, mais il est usé comme un vieux pneu. Il s’envole en Afrique du Sud, où il prend part aux 700 kilomètres de la Cape Epic avec son ami Juan Carlos Unzué. De retour en Europe, il enfourche son vélo pour se frotter aux cols des Dolomites avec quelques copains. Les membres de l’échappée belle se baptisent alors “Los Sodomitas”.
L’été 2013 approche. En quête d’un successeur à Tito Vilanova, le Barça sonde son ancien joueur, mais voilà, Lionel Messi choisit de confier les manettes de l’équipe à son compatriote, le gentillet Gerardo Martino, dont le tour de manège blaugrana ne durera qu’une saison. Lucho patiente en salle d’attente au Celta de Vigo, où il convainc ses dirigeants d’installer un échafaudage au centre d’entraînement pour avoir une meilleure vue d’ensemble sur le positionnement de ses joueurs. L’estrade, une idée volée à Arrigo Sacchi, le gourou du Grande Milan, est brevetée sous le nom d’ETO, pour ESTACion Observacion Tecnica (Station d’observation technique). L’Espagnol n’en redescendra que pour devenir l’entraîneur du Barça.
« Ici, le chef, c’est moi »
En Catalogne, son défi est de taille : redonner le sourire aux supporters blaugrana, déprimés par la mort de Tito Vilanova, le foie d’Abidal, la démission du président Sandro Rosell (mis en examen pour des irrégularités dans le transfert de Neymar), l’absence de résultats, mais aussi et surtout l’effritement d’une certaine idée de football bazardée par Gerardo Martino. Luis Enrique s’attaque d’abord aux fondations. Il modernise les installations et met fin à l’obsolescence du club en remplaçant notamment les logiciels d’analyse vidéo. Côté mercato, il insiste auprès de son ami et directeur sportif Andoni Zubizarreta, pour signer Luis Suárez. Messi propose plutôt son pote Agüero, qui a pour avantage de ne mordre personne. L’Asturien obtient finalement gain de cause, malgré la suspension de quatre mois de l’Uruguayen par la FIFA pour avoir croqué l’épaule de Chiellini au Mondial brésilien.
Guardiola et Enrique sont les deux meilleurs coachs du monde, ils ont fait de moi un meilleur footballeur.
Sa peine purgée, le cannibale est tout de suite pris en charge par une ceinture noire de jiu-jitsu, Joaquín Valdés. Plus qu’un simple bras droit, ce psychologue est le véritable garde-fou de son N+1. « Il m’aide à décider si je dois appuyer sur le bouton de stress ou pas, pose Lucho. Avant chaque causerie, je fais des exercices de respiration avec lui. Ça m’aide à mieux réfléchir aux messages que je veux faire passer. » Valdés va vite s’avérer précieux car à l’époque, Xavi a lui aussi besoin d’être écouté. En plein spleen, le milieu de terrain a peur de faire la saison de trop. Luis Enrique le persuade de rester pour une dernière danse, tout comme il convaincra Gerard Piqué d’arrêter ses conneries et Neymar de rater l’anniversaire de sa sœur. Et la Pulga ? Dans un premier temps, l’Argentin se méfie de cet Ironman qui veut le replacer sur le côté et ne siffle aucune faute pour lui à l’entraînement. Lors de la coupure hivernale, le natif de Gijón a même le toupet de lui reprocher d’avoir passé le Nouvel An en Argentine sans en avoir eu l’autorisation au préalable. Le numéro 10 lui répond qu’il fait ce qu’il veut. Lucho lui met son règlement intérieur sous le pif, puis l’installe quelques jours plus tard sur le banc à Anoeta.
Ce 4 janvier 2015, le Barça perd le match et la tête du classement. Le lendemain, la Pulga s’invente une gastroentérite pour sécher l’entraînement. La presse catalane évoque alors un possible licenciement de l’entraîneur. C’est finalement le pauvre Zubi qui saute, puis la magie prend forme : la MSN propulse un Barça tout en verticalité vers le second triplé de l’histoire du club (Coupe, Liga et Ligue des champions). Le trio d’attaque sud-américain est encore couvert d’éloges et de confettis lorsque Leo Messi himself remet un peu d’ordre dans le storytelling. « Sans Luis Enrique, on n’y serait pas arrivé. Tout a changé à partir d’Anoeta, lâche-t-il. Guardiola et lui sont les deux meilleurs coachs du monde, ils ont fait de moi un meilleur footballeur. » Après eux, le septuple Ballon d’or ne soulèvera plus de coupe aux grandes oreilles. Pas un hasard, puisque leurs successeurs se sont contentés de contempler ses exploits sans prendre la peine de le cornaquer. Idem pour Neymar, dont la carrière s’est lentement liquéfiée loin des consignes de l’Asturien. Le dernier grand souvenir du Brésilien sur un terrain de foot remonte d’ailleurs à la fameuse remuntada contre le PSG.
Fort de ses neuf titres avec le Barça, l’Asturien aurait pu surfer sur la vague du succès en posant ses valises en Premier League, un championnat où il rêve d’entraîner. Au lieu de ça, il devient le premier coach vainqueur d’une Ligue des champions (nouveau format) à prendre les rênes d’une sélection nationale. En l’occurrence, la Roja. Là encore, le chantier est immense. Éliminée au premier tour du Mondial 2014, et incapable de passer les huitièmes de finale de l’Euro 2016 et de la Coupe du monde 2018, l’Espagne ne fait plus peur à personne. Pour redorer son blason, Luis Rubiales lui demande donc un retour vers le futur : du jeu et des résultats. Problème, le réservoir de talents est vide. Le sélectionneur n’a pas pour autant l’intention d’adapter son coaching aux joueurs. Au contraire, il veut les forcer à jouer selon ses principes. « Ici, le chef, c’est moi, enfonce-t-il dès sa prise de fonction. Mon plan, c’est d’avoir la possession de la balle, défendre très haut et prendre beaucoup de risques. Ce sera comme ça à tous les matchs, peu importe l’adversaire. »
Entre un ours et un kangourou, je préfère me battre contre un kangourou. Il peut me mettre à terre c’est sûr, mais avant que ça n’arrive, je lui aurais mis deux ou trois biscottes dans la gueule.
Lucho tient sa promesse. Son Espagne joue comme une grande, sans le talent et l’expérience qui va avec. Il file notamment sa salle des machines à deux gamins, Pedri et Gavi, même pas 40 piges à eux deux. Après s’être débarrassé de Sergio Ramos, un sacrilège, il en commet un deuxième, en confiant sa défense centrale à la paire Laporte-Torres, tous deux gauchers. Enrique fait aussi le ménage dans les cages. Exit De Gea et Kepa, doublés par Unai Simon, et surtout Robert Sánchez et David Raya, deux illustres inconnus du grand public espagnol. Pour certains, cette nouvelle vague où les joueurs du Real brillent par leur absence n’est qu’une vaste plaisanterie. « Luis Enrique a peut-être fait des erreurs, mais il a été cohérent dans ses choix, défend Alfonso Pérez. Si le Real avait eu des bons joueurs, capable de se fondre dans son système de jeu, il les aurait convoqués. » Même son de cloche chez Clemente, qui assure que son ami a convoqué « ceux qu’il estimait valides pour son projet de jeu, indépendamment du fait qu’ils jouent au Real Madrid, à Albacete ou à Getafe. » Ces débats sur le clubisme prennent soudainement fin le 26 mars 2019, lorsque Luis Enrique annonce que sa fille de 9 ans, Xana, a succombé à un cancer des os. Le sélectionneur quitte provisoirement son poste et fait son deuil en se « butant » sur son vélo, selon ses propres termes.
It's impossible not to root for Luis Enrique. Has spoken courageously about losing a child, insisting people remember all the light his late daughter, Xana, brought to world before tragically dying in 2019. The most human, soulful manager in sports ❤️pic.twitter.com/04fEjUEqPW
— Men in Blazers (@MenInBlazers) May 31, 2025
Il réapparaît finalement huit mois plus tard, avec la même hargne et la même hostilité avec les journalistes. « Ce jour-là, en conférence de presse, il ne leur a concédé aucune larme, alors qu’ils n’attendaient que ça, se souvient, admiratif, son ami Joan Gaspart. Il a pleuré tout ce qu’il avait à pleurer avec ses proches. Perdre un enfant est la pire chose qui puisse arriver, mais il est allé de l’avant, comme il l’a toujours fait. » Au moment de faire son bilan avec la Roja, les pisse-vinaigre zapperont la finale de Ligue des nations perdue contre les Bleus sur une douteuse décision arbitrale, ou la demi-finale de l’Euro dans laquelle les Espagnols ont regardé les futurs champions italiens dans les yeux, pour ne retenir que l’élimination contre le Maroc lors du dernier Mondial. Mais à ceux-là, Jorge Valdano, son ancien entraîneur au Real Madrid, rappelle à juste titre que « le plus gros actif de cette très jeune sélection était Luis Enrique ».
« Bien sûr que l’élimination en huitièmes a été dure à encaisser, souffle Nadal. Mais j’ai quand même la sensation qu’il est parvenu à redonner de l’espoir aux supporters espagnols. » Au Qatar, ces derniers ont aussi découvert Lucho le Twitcheur, à travers ces lives qui ont permis à l’Asturien de se rapprocher du grand public, tout en faisant un grand doigt d’honneur à la presse. On l’aura ainsi entendu parler de strings, de branlette, de politique, de formation des jeunes, mais aussi de baston avec des marsupiaux. « Entre un ours et un kangourou, je préfère me battre contre un kangourou. Il peut me mettre à terre c’est sûr, mais avant que ça n’arrive, je lui aurais mis deux ou trois biscottes dans la gueule. » À Paris, Luis Enrique ne s’est encore battu avec aucun animal, mais il a tout de suite dégraissé le mammouth de Verratti et Neymar. « Si Mbappé ne l’écoute pas, Luis Enrique le mettra sur le banc, ou alors il claquera carrément la porte », prévenait Javier Clemente. Le départ du capitaine des Bleus n’a pas grand-chose à voir avec l’Espagnol, qui avait promis une équipe plus forte sans son meilleur buteur. Bingo, Lucho.
Laurent Nicollin remplacé par un dirigeant du PSG à la tête de Foot UnisPar Javier Prieto-Santos
Tous propos recueillis par JPS, Adel Bentaha, Antoine Donnarieix et Aquiles Furlone sauf ceux de Brito et Callen, tirés du livre El Metodo Luis Enrique.
Article publié dans le So Foot n°209 de septembre 2023