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Lazio e Libertà : parce que tous les Laziali ne sont pas fascistes

Par Beniamino Morante, à Rome
6 minutes

Né en 2020 comme une association, et devenu ensuite un groupe organisé au stade Olimpico, Lazio e Libertà veut changer l’image fasciste et raciste du club de la capitale italienne. Rencontre avec ses membres lors du match de Serie A opposant les Biancocelesti à Cagliari.

Lazio e Libertà : parce que tous les Laziali ne sont pas fascistes

« La vague noire a commencé à monter au début des années 2000. J’étais abonnée en Curva nord à l’époque, assise tout en haut, lorsque du bas du virage, ils ont fait venir des petits jeunes dans notre secteur pour lancer leurs chants. Certains disent Au fond ils ne sont qu’une trentaine”, mais ce n’est pas vrai ! Il y a des pères qui tiennent leur fils sur les genoux et leur apprennent le salut fasciste en criant “Sieg Heil”. Je n’ai pas voulu me taire. Puis, un jour, une banderole est apparue dans le secteur sud-est : “La Lazio n’est pas raciste, la Lazio c’est la liberté.” Une lumière s’est allumée. Depuis, je suis ici. » En cette soirée du 4 novembre, debout derrière l’étendard de son nouveau groupe, Cinzia semble un brin agitée. Peut-être car la Lazio joue gros ce soir contre Cagliari (une victoire lui permettrait d’atteindre la troisième place) ou peut-être car le sujet évoqué lui tient particulièrement à cœur.

« Nous sommes de simples supporters »

Voilà des décennies que la Lazio traîne derrière elle une réputation sulfureuse de club fasciste et raciste. Une renommée qu’elle doit à ses ultras qui, ces dernières années, se sont fait remarquer pour de nombreux faits d’armes. Comme faire suspendre un match pour des cris de singe à l’intention de Samuel Umtiti par exemple, ou encore pour avoir distribué des autocollants montrant Anne Frank avec un maillot de l’AS Roma. Évidemment, ces sympathies d’extrême droite ne sont pas l’apanage de tous les Laziali et lassent une partie de la Curva nord. En 2020, certains d’entre eux ont décidé de le faire savoir haut et fort, en fondant une association, Lazio e Libertà, qui est devenue aussi un groupe de supporters. Et ils savent se faire entendre.

« Qui ne saute pas est un Romanista de m… » entonne Alessandro, dès les premières minutes de jeu, galvanisé par une ouverture du score précoce de la Lazio à la suite d’une bourde du gardien sarde. Énergique mégaphone au poing, ce quinquagénaire aux longs cheveux bouclés n’a pas vraiment l’allure d’un ultra. Cela tombe bien, les membres de Lazio e Libertà ne se considèrent pas comme tels. « Nous sommes de simples supporters », précise Ulderico, qui figure parmi les fondateurs de l’association. « On nous accuse de faire de la politique, mais c’est le contraire. La politique, on n’en veut pas dans notre stade », insiste ce robuste sexagénaire. Le regard tourné vers la Curva nord, il signale aussitôt des chants antisémites partis du virage chaud des Laziali : « En synagogue, tu vas prier, tu t’enfuis toujours, Romanista va-te faire… » Depuis le secteur sud-est de l’Olimpico, qui accueille le groupe, difficile de distinguer ces paroles, « aussi car les chants racistes ne sont pas repris par tout le virage nord », tempère Alessandro.

Loin de la mafia

Reste que ce chant fait partie du répertoire habituel de la frange extrémiste des ultras laziali, et tous ici jurent avoir entendu maintes fois ce refrain. Dont Tommaso. Âgé de 42 ans, l’homme suit le match de manière plus détachée, loin du noyau dur des supporters, mais lorsqu’il s’agit de dénoncer les dérives du virage laziale, il n’a pas la langue dans sa poche. La « fascisation » de la Curva nord a coïncidé avec l’arrivée des Irriducibili, qui ont pris le contrôle du virage dans les années 1990, retrace-t-il. « Et au-delà de l’aspect politique, ils ont aussi apporté la criminalité, les toilettes du virage sont presque un point de deal désormais », dénonce Tommaso, qui rappelle que le chef de ce groupe désormais dissous, Fabrizio Piscitelli – dit Diabolik –, a été tué en 2019 dans un règlement de comptes lié au trafic de drogue. Un cas qui n’est pas isolé.

Si le secteur sud-est est de plus en plus rempli, ce n’est pas un hasard. Ici, on sait qu’on peut être tranquille. Qu’on peut supporter sans rien risquer.

Riccardo Cucchi

Dans le contexte des virages italiens, criminels et ultras font souvent bon ménage (comme le démontrent les derniers épisodes du côté de l’Inter). Des intérêts économiques importants sont en jeu, et une logique de contrôle presque militaire s’exerce dans les stades. « Surtout sur des gamins “recrutés” à 16 ans, qui voient les chefs ultras comme des modèles, regrette Tommaso. Ensuite, quand ils ont 18 ans, ils disent “Allez, on va tous voter Forza Nuova (le parti néofasciste) ou Meloni.” » Tendant l’oreille à l’analyse de Tommaso, Riccardo acquiesce. Lui est un des membres les plus actifs de Lazio e Libertà. « Les infiltrations sont devenues des métastases, soupire-t-il, mais attention, presque tous les virages italiens ont aujourd’hui une composante d’extrême droite », et l’autre équipe de la capitale, souvent épargnée médiatiquement, n’est pas en reste.

Une question de philosophie

Mi-temps au stade Olimpico où, entre-temps, Cagliari a égalisé. L’ambiance se fait plus tendue dans le secteur sud-est, mais un homme semble conserver un aplomb enviable. Il s’agit de Riccardo Cucchi, sorte de Thierry Roland transalpin, qui a commenté pas moins de sept Coupes du monde pour la radio publique italienne. Lui aussi a choisi d’adhérer à Lazio e libertà. « Après avoir terminé ma carrière, j’ai choisi de revenir là où tout avait commencé parce que j’ai été un garçon du virage. La philosophie de ce groupe est aussi la mienne, supporter avec passion, mais aussi avec respect. Si le secteur sud-est est de plus en plus rempli, ce n’est pas un hasard. Ici, on sait qu’on peut être tranquille. Qu’on peut supporter sans rien risquer. » Une précision malheureusement nécessaire, puisque depuis leur création, en dehors du stade, des membres de Lazio e libertà ont déjà subi des agressions. De la part d’autres supporters de la même équipe.

Loin de toutes ces tensions, le secteur sud-est semble un havre de paix, qui peut pourtant rapidement s’embraser pour son club. Malgré une deuxième mi-temps poussive, la Lazio parvient à reprendre l’avantage sur un penalty de Mattia Zaccagni. Puis une double expulsion chez les Sardes semble offrir aux Laziali un sentier serein vers les trois points. Il n’en est rien. L’ancien Barcelonais (et Romain !) Pedro rate l’immanquable en contre, et Cagliari, diminué mais vaillant, assiège les Biancocelesti jusqu’à la 95e minute. « C’est ça être de la Lazio, souffrir même à 9 contre 11 », ironise Tommaso, enfin soulagé après le triple coup de sifflet final. Riccardo, lui, prend congé sur une savante citation cinématographique qui, selon lui, colle parfaitement à l’esprit des Laziali, qui vivent depuis près de 100 ans dans l’ombre de l’encombrant club voisin. « Je crois que même dans une société meilleure que celle-ci, je ferais toujours partie d’une minorité. » Et peu importe si l’auteur de cette phrase est Nanni Moretti, fervent supporter de l’AS Roma.

Porté par Nico Paz, brillant, Como démarre parfaitement contre la Lazio

Par Beniamino Morante, à Rome

Propos recueillis par BM.
Photos : Lazio e Libertà et BM.

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