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L’Arabie saoudite, némésis de tous les Textor du monde

Par Nicolas Kssis-Martov
4 minutes

Le football se résume de plus en plus à son économie : un grand marché libéral où s’échangent et se vendent joueurs et clubs. Or, comme souvent, l’arrivée d’un nouveau riche agace toujours les vieilles fortunes qui pensaient posséder une simple rente à gérer. Il ne faut pas comprendre autrement les critiques de John Textor envers l’Arabie saoudite.

L’Arabie saoudite, némésis de tous les Textor du monde

Il n’a échappé à personne que l’Arabie saoudite a lancé une grande offensive sur le football mondial. Inspirée, ou inquiétée, par le succès de son rival qatari, cette grande puissance régionale a décidé de miser sur le développement de son championnat local en recrutant des stars, tant que l’argent du pétrole coule encore à flots. Certes, l’Arabie saoudite offre un visage différent, celui d’un pays de taille moyenne, avec 35 millions d’habitants (dont les deux tiers de « nationaux », contre 10 % dans l’émirat voisin) et une sélection nationale régulièrement en phase finale de Coupe du monde depuis 30 ans. Par ailleurs, question droits de l’homme (et de la femme) ou des travailleurs migrants, le topo est assez similaire, sans parler du rigorisme religieux (qui donc prohibe l’homosexualité ou certaines libertés de conscience).

Ce n’est toutefois pas ce dernier point qui énerve John Textor, le nouveau boss de l’OL, qui vient de se débarrasser, contre argent comptant, de l’ombre de Jean-Michel Aulas. Il s’est confié sur Canal do TF, une chaîne YouTube dédiée à l’actualité du club brésilien de Botafogo (dont il est également propriétaire), sur son angoisse devant ce qu’il semble vivre comme une razzia d’autant plus injuste qu’il se sent aussi impuissant que Poutine devant une colonne de chars Wagner. « Les Saoudiens veulent tout, a lancé John Textor. Ils veulent mon meilleur joueur à Lyon, mon meilleur joueur à Crystal Palace, les meilleurs joueurs et mon entraîneur à Botafogo. Ils ont pour stratégie de tout acheter. Nous verrons ce qui se passera non seulement à Botafogo, mais aussi dans le monde du football. »

C’est l’heure de la bascule

Cette réaction, assez similaire à celle d’un boutiquier qui se plaint de perdre ses vendeurs parce que le supermarché d’à côté paie mieux, s’avère toutefois révélatrice. Le businessman américain incarne un des visages de la multipropriété, une des autres plaies du ballon rond qui s’est révélée au grand jour cette saison. Cela ne l’empêche pas de se lamenter au moment de découvrir que la taille (du club) compte. Grâce à leur force, leur puissance géopolitique ou leur prestige, les grands clubs tels que le Real Madrid ou Manchester City peuvent se sentir pour le moment à l’abri, du moins vis-à-vis de leurs joueurs dans la force de l’âge. Ceux-là gagnent très bien leur vie et savent qu’ils peuvent engranger quelques titres avant de céder aux millions qui les attendent du côté de Riyad. En revanche, des institutions moins imposantes vont désormais devoir se battre pour préserver leur effectif : le cas de Lens avec Seko Fofana en est un exemple. L’amour du ballon, le prestige des compétitions sur le Vieux Continent, dans un système européen ultraconcurrentiel, va peser de moins en moins dans les calculs de joueurs du ventre mou des rémunérations.

En deux ou trois saisons saoudiennes, ils pourront « mettre » leur famille à l’abri pour deux ou trois générations, comme l’expliquait Kalidou Koulibaly. L’Arabie saoudite semble vouloir étendre sa stratégie très largement, afin de construire une compétition locale qui ne dépendrait pas uniquement des prouesses partagées sur TikTok de ses deux ou trois têtes de gondoles. La Ligue 1, l’OL, le Brésil : autant de cibles faciles… Textor se sait désarmé. Il investit à l’ancienne avec ses moyens, conséquents, mais incapables de rivaliser avec un État tel que l’Arabie saoudite. Mais il ne peut guère se plaindre. Il est de ceux qui ont contribué à vider le foot de sa substance et de son ancrage. Comment reprocher à des joueurs, désormais souvent réduits à des plus-values lors du mercato, de ne plus vouloir attendre que l’OL se retrouve en Ligue des champions ou que le sélectionneur les appelle chez les Bleus (ou ailleurs), leur ouvrant le chemin vers le Barça ou United. Tant pis pour les rêves d’enfant, les villas dans le désert ont la clim et des piscines.

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