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Le grand Robert

Par Jérémie Baron

Illustre joueur à la carrière brisée, mais surtout pionnier du poste de directeur sportif en France, Robert Budzynski a écrit l'histoire du FC Nantes pendant 42 ans faits de succès. Il s'est éteint ce lundi à l'âge de 83 ans. Hommage.

Robert Budzynski et Coco Suaudeau, au Parc des Princes en 1983
Robert Budzynski et Coco Suaudeau, au Parc des Princes en 1983

Lorsque vous avez été joueur international, porteur du brassard des Bleus et du FC Nantes, acteur d’une Coupe du monde et même initiateur d’une rébellion contre le sélectionneur au cours de celle-ci, tour de contrôle d’une génération dorée des Jaune et Vert au cœur des années 1960 et deux fois champion de France, mais que votre après-carrière éclipse tout de même vos exploits sur le terrain, c’est vraisemblablement que vous avez marqué votre époque. Rongé par la maladie, Robert Budzynski nous a quittés ce lundi à 83 ans, et il emporte avec lui près d’un demi-siècle de la glorieuse histoire du FCN. « Je pensais être un voyageur invétéré, je pensais faire un petit pas à Nantes et partir vers d’autres destinations, notamment les États-Unis où j’allais en vacances assez souvent, disait-il. Et finalement j’ai trouvé des hommes et une façon de voir le football très particulière. Nantes, c’était mon club. » Arrivé à la Maison jaune en 1963 au volant d’une Citroën DS 19 en tant que stoppeur prometteur en provenance de son Nord-Pas-de-Calais et du RC Lens, reparti en 2005 en tant que précurseur de tous les directeurs sportifs de France et de Navarre, le natif de Calonne-Ricouart avait une vision et des idées. Et si le Football Club de Nantes est ce qu’il est aujourd’hui, à savoir un monument du foot hexagonal, c’est parce que Budzynski a ouvert une brèche au tout début des 70s.

Nantes était un très bon club amateur quand Robert est devenu directeur sportif. Ils étaient juste quatre ou cinq à faire tourner la boutique. Robert représentait les dirigeants, au quotidien, auprès de nous. Et on avait affaire à lui pour tout.

Raynald Denoueix

En vérité, le mérite revient également à Louis Fonteneau. Lorsque le défenseur subit le 15 décembre 1968 une fatale double fracture de la jambe droite à l’issue d’un choc avec le Monégasque François Simian, le vestiaire nantais est en pleurs et c’est une petite mort pour le joueur aux onze sélections en Bleu, qui raccrochera définitivement quelques mois plus tard : « À mon deuxième entraînement, il se refait casser la patte par “Vava”, Philippe Le Vasseur, un avant-centre, un costaud, qui frappe très fort, nous racontait Raynald Denoueix il y a deux ans. Là, Robert veut contrer et sa jambe blessée quelque temps auparavant… Hop, deuxième fracture du tibia. » En janvier 1970, le président Fonteneau propulse alors son néoretraité à un poste jamais vu en France, entre directeur sportif et recruteur (même si Antoine Raab avait rapidement connu un rôle comparable dix ans plus tôt, au sein du même club). « À cette époque, on n’avait pas de centre d’entraînement, pas de centre de formation, pas de club à proprement parler, on s’entraînait un peu partout dans Nantes, continue Denoueix, alors jeune joueur de l’effectif. Nantes, si on peut dire, c’était un très bon club amateur quand Robert est devenu directeur sportif. La section professionnelle était championne de France, jouait la Coupe d’Europe. Mais ils étaient juste quatre ou cinq à faire tourner la boutique. Il y avait les dirigeants, qu’on voyait très très peu et il y avait Robert, qui représentait en quelque sorte les dirigeants, au quotidien, auprès de nous. Et on avait affaire à lui pour tout. »

<iframe loading="lazy" title="Interview de Robert Budzynski réalisée en 2013 lors des 70 ans du Club" width="500" height="281" src="https://www.youtube.com/embed/vWp-wuNhyk0?feature=oembed" frameborder="0" allow="accelerometer; autoplay; clipboard-write; encrypted-media; gyroscope; picture-in-picture; web-share" allowfullscreen></iframe>

D’Ángel Marcos à Viorel Moldovan

L’histoire de Budzinski, c’est celle d’une fidélité hors normes pour un club avec lequel il n’avait initialement aucun atome crochu, et d’un patronyme singulier – héritage de ses origines polonaises – que l’on a, par commodité, affectueusement réduit au désormais iconique « Bud ». Maxime Bossis n’a sans doute pas oublié la visite du patron à la ferme familiale, à Saint-André-Treize-Voies en plein bocage vendéen, en 1973, pour le convaincre de signer chez les Canaris et changer sa vie à tout jamais. Et il n’est pas le seul beau nom attiré par le directeur sportif préféré de ton directeur sportif préféré, au fil des années. On peut citer entre autres Enzo Trossero, Robert Gadocha, Erich Maas, Vahid Halilhodžić, Jorge Burruchaga, Loïc Amisse, Japhet N’Doram, Dominique Casagrande, Noureddine Naybet, Éric Carrière, Sylvain Armand, Viorel Moldovan, Nestor Fabbri, Antoine Sibierski, Mario Yepes, ou bien sûr Marcel Desailly et Didier Deschamps, lequel a tenu à lui rendre hommage lundi : « Le décès de Robert Budzinski suscite en moi une profonde tristesse. Robert aimait le Football Club de Nantes et ses joueurs. Je suis bien placé pour le savoir. Il a joué un rôle essentiel dans ma venue au centre de formation, alors que j’étais adolescent, puis dans mon éclosion chez les pros. Je garde le souvenir d’un homme profondément humain, gentil, affable, toujours disponible pour échanger, dire ce qui va et, avec tact, ce qui pourrait aller mieux. Le FC Nantes perd l’un de ses plus grands serviteurs. Le FCN a une histoire riche qu’il doit en bonne partie à “Bud”. » À savoir les huit titres de champion (dont deux en tant que joueur, donc), trois des quatre Coupes de France remportées par le club dans toute son histoire et plusieurs parcours mémorables en coupes d’Europe.

« Il faut d’abord se souvenir que c’était un excellent joueur, pose de son côté l’illustre Gilles Rampillon – douze saisons et trois titres de champion avec Nantes entre 1970 et 1982 – dans les colonnes de L’Équipe. L’un de ses premiers recrutements a été celui d’Ángel Marcos, un avant-centre qui ne jouait quasiment qu’en remises. José Arribas le faisait jouer pivot et il remisait les ballons. Marcos, c’était l’inverse de Philippe Gondet qui, lui, prenait l’espace. Tout le monde va parler du recrutement de Jorge Burruchaga […]. Mais je me souviens aussi d’Hugo Bargas, qui est arrivé après Marcos et nous a permis de coiffer Nice en 1973. Son arrivée avait permis de stabiliser la défense. “Bud” avait créé une filière argentine, avec aussi Nestor Fabbri plus tard. […] Il avait créé son poste, il était le lien entre le président et l’entraîneur. C’était quelqu’un d’intelligent dans son rôle. Il n’interférait pas ouvertement sur le plan technique. Il donnait son avis discrètement, en intelligence, pour le bien du club. C’était du travail, de l’anticipation. » En 35 ans, il y eut des ratés, forcément (Dragan Jakovljević, Sergio Comba, José Dalmao, Roman Kosecki, Nenad Bjeković, Jr., Diego Bustos, Samba N’Diaye, Gaetano Giallanza, Javier Mazzoni, Mirza Mešić, David Andréani, Julio Olarticoechea) et des crève-cœurs (le fait de toujours manquer de budget pour « aller plus loin », de ne pas avoir réussi à conserver Christian Karembeu et Patrice Loko en 1996 ou de ne pas s’être opposé au licenciement de Denoueix en 2001).

« Il savait très bien ce qu’on voulait et comment on voulait jouer »

Bud a été un protagoniste de la naissance du jeu à la nantaise lorsqu’il enfilait encore le short sous les ordres de José Arribas (« Nous étions emportés par un collectif. Pour que le ballon circule, il faut à la fois des joueurs en mouvement, qui sollicitent, qui demandent, qui lèvent la tête… ») et tous ses choix se sont faits en conséquence. « Il m’a toujours proposé des mecs bien, toujours, Bud, même si dans le profil technique, on pouvait ne pas tout le temps être d’accord, continue Raynald Denoueix, ensuite passé sur le banc et architecte du titre nantais de 2001. Mais en règle générale, il proposait des profils techniques qui convenaient à ce qu’on cherchait. Parce qu’il nous connaissait par cœur, Coco (Suaudeau) et moi. On a passé tellement de temps ensemble à discuter de foot, tous les matins, à la Jonelière. De toute façon, Robert, il trouvait quand même souvent des bons joueurs et toujours des bons mecs, intelligents dans la vie de tous les jours, en dehors du foot. Et un mec intelligent en dehors du terrain, il l’était forcément sur le terrain. On se réunissait deux trois fois par an avec Robert, parfois je donnais des noms, mais plus souvent des profils. C’est plus lui, en fonction des profils, qui nous proposait des noms. Sachant qu’on n’avait pas besoin de lui dire, il savait très bien ce qu’on voulait et comment on voulait jouer. »

« Le Shérif » traînait aussi sa réputation de directeur dur en affaires et défendant coûte que coûte les intérêts du club, lui qui touchait par ailleurs un pourcentage sur les plus-values réalisées sur les joueurs jusqu’en 1986. Denoueix toujours : « En fait, en négociations, c’est pas que c’était un dur, Robert, mais il était très mal placé. Il affrontait les entraîneurs et les joueurs, qu’il connaissait très bien, des amis souvent, par rapport à leurs salaires, et il avait des dirigeants à qui il devait rendre des comptes. Entre le marteau et l’enclume. C’était pas facile pour lui et souvent il s’en sortait, très malin. Et nous, on n’était pas très contents, normal, c’est la logique. Mais au-delà de tout ça, on s’appréciait, on bossait bien ensemble. C’était tranquille. » Avec Nantes, l’histoire s’est pourtant mal terminée. Sans doute peu à peu dépassé par le football moderne, assistant impuissant à la réduction de ses pouvoirs à la Jonelière à la fin des années 1990 et avec le rachat du club par la Socpresse en 2000, Budzynski a définitivement été mis à la porte en 2005 à l’arrivée de Serge Dassault à la tête de l’institution. « Je n’ai jamais eu à me bagarrer avec M. Fonteneau, disait-il à Presse Océan en 2013. Les autres (dirigeants) ? Il leur a trop souvent manqué une parcelle de compréhension sportive et de non-interventionnisme dans le travail et la composition de l’effectif. Le vrai patron, ça doit être l’entraîneur. »

Coco Suaudeau, lui, vient quasiment de perdre un membre de sa famille, comme il l’explique ce mardi, également pour PO : « Il est encore là, il est encore très vivant chez moi, hein ! Je l’ai vu il y a quatre cinq jours, dans la maison, là (l’EHPAD)… On a évoqué tous nos souvenirs. C’était bien triste d’ailleurs. Mais c’était beau à la fois. Robert, c’était un copain. C’était un pote, comme Philippe Gondet. Robert, il aimait trop le foot. Je me souviens bien de lui joueur. Parce qu’il m’a fait souffrir au Parc de Procé, il avait une santé incroyable. Et puis quand on est parti chercher Burruchaga (en Argentine), il creusait, et c’était un voyageur aussi. On est allés jusqu’en Colombie, c’était super ! On a fait plein de voyages ensemble, on a joué ensemble, bref, on était intimes tous les deux, oui, c’est vrai. Et nos femmes aussi d’ailleurs. »

Comme le départ d’Henri Michel (dont Bud fut témoin de mariage) en 2018, celui de cet homme de l’ombre par excellence laissera un vide à Nantes, et pas seulement parce que le concept de cellule de recrutement a quasiment été réduit à l’abandon sous Waldemar Kita, ou parce qu’il n’y existe même plus de poste de directeur sportif. Enfant du FCN propulsé coach de l’équipe première il y a trois mois, Pierre Aristouy sait ce qu’il doit au Bud : « J’ai connu Robert comme directeur sportif dès mon arrivée dans le groupe professionnel en 1998. C’est lui qui m’a fait signer mon premier contrat pro dans son légendaire bureau que j’occupe désormais dans mes fonctions. Nous garderons en mémoire l’image d’un joueur, d’un homme emblématique du FC Nantes, en avance sur son temps autour des illustres entraîneurs du club. […] Le FC Nantes perd une légende. […] Merci Robert pour tout ce que tu as apporté à notre club. » Reste à savoir si Aristouy a conservé la fameuse inscription que l’on pouvait lire au bureau de Bud, lors de son mandat : « Silence, le boss bosse ! »

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Par Jérémie Baron

Propos de Raynald Denoueix recueillis par Ronan Boscher

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