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« Tu me manques, you bastard ! »

Par Henrik Ekblom Ysten
5 minutes
«<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>Tu me manques, you bastard !<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

Henrik Ekblom Ysten dirige le magazine suédois Offside. En février 2014, il propose une autobiographie à Klas Ingesson. Ils sont devenus amis depuis. Jusqu'à mercredi. Après une journée de profonde tristesse, Henrik s'est posé et a écrit.

Ce mercredi 29 octobre, le monde s’est levé en apprenant que Klas Ingesson était mort, battu par le cancer contre lequel il luttait depuis 2009. Pour moi, ce n’était pas une surprise. Toute cette année, je l’ai passée à bosser sur l’autobiographie de Klas. Chaque mois, nous nous rencontrions au moins deux fois et je savais, depuis un bon bout de temps, que Klas était chaque jour un peu plus proche de perdre son dernier combat, son dernier match, contre une maladie. Comme il l’a toujours fait, il a tout donné. Il a fait de son mieux, le vieux combattant.

Pour le monde du football, Klas Ingesson était connu comme quelqu’un de loyal, un milieu de terrain besogneux. Ce genre d’homme que la force de volonté a mené bien plus loin que son talent ne l’aurait jamais fait. À la sueur de son front, il est devenu un membre important de la sélection suédoise, un capitaine à Bari et un joueur de première division dans six pays différents. Partout où il passait, les fans l’aimaient. Ils l’aimaient tellement que même lorsqu’il est revenu en Italie, en 2001 (en prêt de Marseille) pour jouer à Lecce – le pire ennemi de Bari, son club précédent -, aucun tifoso n’a osé l’insulter. Au contraire, quand il est entré sur la pelouse ce jour de mars 2001, pour un derby des Pouilles, les supporters de Bari, levés dans la curva, criaient « Nostro capitano, Ingesson ! »

Ces derniers jours, en Suède, on ne compte plus les jolis articles qui lui sont consacrés. Quand la télé diffuse les highlights de sa carrière, les journaux publient des éditions spéciales en son honneur. Ici, un retour sur sa carrière, de l’IFK Göteborg à la fin des années 80 à Mechelen, en passant par le PSV Eindhoven ou Sheffield Wednesday, ou encore son épopée italienne à Bari ou Bologne. Là, un article sur la formidable épopée de 1994, quand Klas a ramené la médaille de bronze de la Coupe du monde. La vérité, c’est qu’il n’y a pas grand-chose à dire sur son court passage en Ligue 1, dont il n’était pas fier.

Personnellement, je n’ai pas dit ni écrit grand-chose. Mercredi, j’ai passé le gros de ma journée à pleurer et à me rappeler. Klas était bien plus qu’un ancien footballeur que j’ai aimé interviewer. Il était le genre d’homme qui donne de l’inspiration et de l’énergie aux gens qui le côtoient. Le monde est beaucoup plus vide, sans lui. Quand je lui ai dit que je voulais écrire un livre sur lui, à la fin du mois de février dernier, il m’a répondu par SMS, de Marbella, où il était en stage avec l’équipe qu’il entraînait, Elfsborg. « Un bouquin ? Je ne sais pas trop. Mais nous pouvons nous voir dès mon retour, pour en parler » a-t-il répondu. Nous nous sommes vus une semaine plus tard. Je lui ai fait part de mon projet et il m’a dit « Ok, il faut vraiment le faire. Un bouquin franc du collier. Un truc honnête, pas le genre de livre où tout est beau, qui conte une carrière réussie, d’Ödeshög (son premier club, ndlr) à Lecce. Personne ne voudrait lire ça. Je ne veux pas publier un livre à la Zlatan, pour dire à quel point j’étais génial. Si on le fait, ma maladie devra avoir une grande place dans ce bouquin. » De fait, nous étions d’accord pour écrire un bouquin ensemble, unis par une seule et même idée : celle d’écrire le livre le plus honnête et franc jamais écrit sur un footballeur.

Le printemps et l’été suivant, nous avons passé beaucoup de temps ensemble. La maladie le faisait souffrir bien plus qu’il ne voulait le laisser paraître. Nous nous sommes vus dans un hôpital à Göteborg. Nous nous sommes vus dans un hôpital à Linköping. Nous avons voyagé ici et là pour son boulot d’entraîneur d’Elfsborg. Auparavant, le destin a fait que nous nous sommes beaucoup vus. Pour devenir très proches. Le fait que nous ayons décidé d’écrire un livre honnête nous poussait à creuser plus en profondeur, à forcer nos natures. Je devais délaisser mon rôle de reporter distant et abandonner mes questions idiotes, tandis que lui devait se débarrasser de son obsession du contrôle de lui-même et devait laisser parler ses sentiments. Souvent, ça terminait en larmes. Plus souvent encore, ça se terminait en crises de rire.

Notre boulot a duré jusqu’au bout. Il y a dix jours, Klas m’a demandé de venir le voir dans sa maison du petit village d’Ödeshög. Il savait qu’il ne lui restait plus que deux semaines à vivre. Nous devions finaliser les derniers détails, les derniers chapitres. J’ai passé tout le samedi et une moitié de dimanche à ses côtés. Il était étendu, dans son lit. Il souffrait. Mais il était toujours de bonne humeur. Nous avons décidé que le livre serait publié en mars 2015. Juste avant que je ne le quitte ce dimanche, nous nous sommes pris les mains, avons versé quelques larmes, puis Klas a dit : – Maintenant, c’est à toi de jouer. Finis-moi cette merde !- Je vais le faire, ai-je répondu.
– Je sais que tu vas le faire, a-t-il répliqué sobrement.

Nous nous sommes parlé à plusieurs reprises après cela. Quelques appels et beaucoup de textos. La plupart de ces messages, je les garde pour moi et j’en ferai les lignes directrices de ma vie pour le restant de mes jours. Certains autres, je les utiliserai pour écrire les derniers chapitres du livre. Un livre que Klas, qui avait peur que je n’évoque pas ses mauvais côtés juste parce qu’il était en train de mourir, a voulu honnête jusqu’au bout : « Sois franc et écris sur moi ce que tu as vu en moi. » Un jour plus tard, il m’a juste écrit : « Merci de faire ça. Ça fait du bien de savoir que l’on termine ce bouquin et que c’est toi qui l’écris. » Si je le fais, ce n’est pas pour que tu me remercies. Je suis celui qui devrait te remercier. Pour m’avoir permis de te connaître. Pour m’avoir ouvert la porte. Pour ta sagesse et ta joie. Tu me manques, you bastard.

Pardon d’avoir douté, Rayan Cherki

Par Henrik Ekblom Ysten

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