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Pascal Gastien : « On n’a pas vraiment le temps de profiter d’une saison »
Après plus de dix années passées sur les bancs professionnels, Pascal Gastien vient de vivre, à 58 ans, sa première saison en Ligue 1 avec Clermont, qui a réussi à se sauver au bout d'un exercice d'apprentissage parfois prometteur dans le jeu et durant lequel les Auvergnats n'ont jamais renié leur projet. Entretien.
Comment va, quelques jours après la dernière journée, un entraîneur qui sort de sa première saison de Ligue 1 ? Il y a un peu de fatigue, mais ça va. Lundi a été plus ou moins une dernière journée de travail avant une période de repos, même si je pense qu’il n’y aura pas beaucoup de répit. On a fait un point avec le responsable du recrutement, on a préparé d’autres petites choses en vue de la saison prochaine… Celle qui vient de se terminer n’a pas été la plus reposante, elle a même été assez difficile. Au bout, ça se finit quand même bien et c’est l’essentiel. On va dire que ça a été un bon apprentissage.
Si on revient à l’été 2021, de quoi étiez-vous le plus curieux en arrivant en Ligue 1 ? J’avais l’envie de véritablement voir le niveau de la Ligue 1. Quand vous êtes coach et que vous êtes en poste, vous regardez souvent les matchs à la télé, c’est assez difficile de se déplacer, donc il y avait une vraie curiosité, de l’excitation, aucune peur. J’ai rapidement vu des différences et été marqué par la qualité des joueurs, notamment des attaquants. Il y a un vrai différentiel dans l’efficacité. On a fait un bon début de saison, qui nous a peut-être caché certaines choses, mais dès le match à Lyon, où on a fait 3-3, on a vu que ça n’allait pas être simple. Avant de commencer la saison, j’ai regardé certains matchs de Ligue 1, on a fait quelques matchs de préparation contre des équipes du championnat (Troyes, Montpellier, Saint-Étienne, Nantes), mais c’est incomparable à l’expérience d’un match live. C’était même assez difficile de concrètement évaluer le niveau, encore plus quand, comme nous, c’était un monde inconnu.
Vous n’avez pourtant pas vraiment cherché, au contraire d’autres promus, à combler ce déficit d’expérience par le recrutement. Ça n’a pas vraiment été volontaire. On a voulu faire confiance aux joueurs qui ont fait monter le club, mais on voulait aussi recruter des joueurs qui avaient déjà joué en première division. Maintenant, recruter des joueurs un peu plus chevronnés quand vous êtes le Clermont Foot et que beaucoup de personnes vous voient, à juste titre, descendre en fin de saison… On ne va pas se cacher que ce n’est pas facile. Il faut souvent attendre jusqu’au dernier moment, car certains joueurs espèrent trouver un meilleur projet, et ce, même si notre cellule de recrutement travaille très bien, comme elle l’a déjà montré par le passé.
C’est impossible de séduire une potentielle recrue avec un projet de jeu ambitieux ?Ça peut être un facteur important, mais d’autres choses entrent en ligne de compte. Encore une fois, je peux le comprendre : un joueur n’a pas forcément envie de rejoindre une équipe condamnée. Il n’y a rien d’extraordinaire à ça. On n’a jamais été vexé par le fait que la grande majorité des observateurs nous voyaient descendre parce qu’il y avait une forme de logique, mais quand on vit cette situation de l’intérieur, c’est assez compliqué. Après, finalement, c’est ce projet de jeu, ce qu’on a fait sur le terrain, qui a fait qu’on a réussi à se maintenir.
Avoir réussi à ne jamais renier votre projet de jeu, est-ce la principale satisfaction ? Oui, même si l’objectif principal était de se maintenir. Ça l’a toujours été et on ne l’a jamais perdu de vue. Je pensais, et les dirigeants aussi, qu’on y parviendrait en continuant à jouer comme on jouait en Ligue 2. On a recruté des joueurs en fonction de notre projet de jeu, il y a un engagement avec le club sur ce qu’on veut faire, les joueurs prennent du plaisir… À un moment donné dans la saison, j’ai pu vouloir faire évoluer notre approche, mais honnêtement, ça n’a pas duré longtemps, car tous les facteurs allaient vers le maintien de ce qu’on met en place depuis des années et parce que j’ai eu la chance d’avoir tout au long de la saison des dirigeants qui n’ont jamais remis en cause ce qu’on voulait faire. Ils ont toujours été derrière nous.
Est-ce que vous avez contacté à certains moments d’autres entraîneurs habitués du niveau pour prendre des conseils ?Pas en cours de saison, mais j’ai eu Stéphane Moulin l’été dernier, qui m’a dit exactement ce qu’il allait se passer lors des mois suivants. Quand je vous dis exactement, c’est exactement. Il m’a aussi dit à l’époque que quoi qu’il arrive, il fallait que je garde le cap. Antoine Kombouaré m’en avait aussi parlé. Ça m’a aidé.
En tant qu’entraîneur, qu’avez-vous appris cette saison ?Que quand les gens vous disent que ça se joue sur des détails, ce n’est pas des paroles en l’air. Quand vous affrontez le PSG, Monaco, Marseille, Rennes, Lyon, Strasbourg, vous touchez des choses que vous n’avez pas l’habitude de toucher et en Ligue 1, vous vous rendez vraiment compte que la moindre erreur coûte très, très cher.
Les statistiques avancées montrent notamment une sous-performance sur le plan défensif (Clermont a encaissé 69 buts pour 53xGA). Il y a plusieurs moments où on a eu des sautes de concentration, où on a fait d’énormes erreurs individuelles, on a pêché sur ça, c’est certain. On a encore beaucoup de progrès à faire, dans tous les domaines, et j’espère que les joueurs ont également cette envie de progresser. Je pense, par exemple, à nos performances sur les coups de pied arrêtés, où on a été défaillants.
En matière de management, est-ce plus difficile de gérer un groupe en Ligue 1 qu’en Ligue 2 ? Il y a des dangers qui vous guettent à tout moment. L’année a été assez épuisante, et dès le début de saison, sur un point : la gestion de l’environnement extérieur. Plus le niveau augmente, plus je trouve qu’il y a des gens qui tournent autour des joueurs. Il faut le gérer cas par cas, et on n’est qu’à Clermont, donc je n’imagine même pas mes collègues qui gèrent des stars… Honnêtement, je ne les envie pas, et la chance qu’on a eue, c’est que les joueurs se sont toujours resserrés pour se concentrer sur leur métier, même si tout n’a pas toujours été simple.
On pense, par exemple, à la médiatisation soudaine d’un joueur comme Mohamed Bayo, qui a connu des très hauts, mais qui a aussi provoqué un accident de la route, sous emprise de l’alcool, en octobre… Il y a eu une gestion humaine à avoir sur des cas particuliers, c’est vrai, et on n’est pas habitués à ça à Clermont. En tant qu’entraîneur, l’enjeu est de toujours veiller à garder l’unité du groupe et on a perdu d’une manière générale beaucoup d’énergie avec toute cette gestion. Pour Mohamed, certaines choses ont en plus été amplifiées par les journaux, car il n’a jamais fui, rien, et a toujours assumé son erreur. Après, on n’avait surtout pas besoin de ça, c’est sûr, car les choses sont assez difficiles comme ça. Pour une équipe comme nous, monter en Ligue 1 était déjà exceptionnel. Les gens disent que ce n’est que du bonheur, mais c’est aussi beaucoup de pression, une nécessité de tenir le coup mentalement.
Est-ce pour anticiper tout ça que vous avez renforcé le staff avec un préparateur mental cette saison ? On en avait un peu discuté la saison dernière, ça me semblait être une bonne chose, mais j’ai trouvé les joueurs assez frileux de ce côté-là. Je ne pense pas que j’ai fait suffisamment pour leur faire comprendre la nécessité de voir régulièrement le préparateur mental. Ils n’ont pas été très demandeurs, et c’est dommage, je trouve. La saison prochaine, on va faire le nécessaire pour que ce soit plus régulier et qu’ils comprennent le bien-fondé. Ça peut, par exemple, aider dans le domaine de la concentration dont on parlait plus tôt.
Vous vous en êtes servi, vous ? Non, mais je vais m’en servir la saison prochaine, à coup sûr. Certains entraîneurs disent qu’il faut décharger et ils ont raison. Mine de rien, on dit que la saison a été longue, mais je trouve qu’au contraire, tout a été très vite, que je n’ai pas vraiment eu le temps de prendre suffisamment de recul. On n’a pas vraiment le temps de profiter d’une saison, car chaque semaine, il y a pas mal de choses imprévues qui arrivent… C’est un petit regret.
Avez-vous pu échanger un peu avec vos collègues ?Un petit peu avec certains avant les matchs, un petit peu après… Moi, je débute à ce niveau-là, donc j’essaie de prendre des conseils, d’écouter ceux qui ont l’habitude d’évoluer en Ligue 1. J’ai été très attentif, même si souvent, on n’a pas le temps, car derrière la rencontre, il faut aller voir la presse, rentrer… Là aussi, tout va très vite. Finalement, je pense que c’est avec Julien Stéphan que j’ai pu le plus discuter, puisque notre match avait été reporté, fin décembre. Globalement, je trouve qu’on a été accueillis avec beaucoup de bienveillance, que certains ont salué notre travail et ça m’a touché. On a toujours essayé de garder nos habitudes de jeu, de jouer quel que soit l’adversaire en face et je pense qu’il y a eu un certain respect par rapport à ça. Il n’y en a qu’un à qui ça n’a pas plu.
Quels matchs gardez-vous en mémoire ?Celui de Nice, début février, a été, je pense, le plus abouti. On n’a pas seulement gagné là-bas (0-1), on a aussi fait un vrai bon match dans le contenu et j’ai vu ce jour-là le Clermont que je veux voir. Ça reste un match référence par rapport à ce qu’on souhaite faire dans le jeu. À l’inverse, le match de Rennes a été très long, même s’il y a des circonstances. On est fin septembre, certains joueurs sont arrivés en fin de mercato estival, je décide de changer l’équipe et de mettre des joueurs qui n’ont que quatre semaines d’entraînement dans les jambes… Ce jour-là, j’ai vu qu’on ne pouvait pas trop s’écarter. Ce match, c’est avant tout une histoire de physique, car je change trop de joueurs d’un coup. Je le fais sciemment, car je me dis qu’on peut prendre plus de points contre Monaco quatre jours plus tard à la maison, qu’on est dans une semaine à trois matchs, qu’on vient de faire 40 minutes à dix contre Brest… Au bout, on prend 6-0, et il reste presque vingt minutes après le sixième but. C’est long, car je vois mes joueurs perdus, ne pas savoir où aller, ne rien maîtriser du tout. Je leur ai dit que c’était de ma faute, et derrière, il n’y a pas eu de soubresauts. Je trouve même plutôt que dans l’ensemble, on n’a jamais été trop loin de nos adversaires, même face au PSG en avril, où on prend 6-1 chez nous. Pendant une grosse heure, on a été dans le rythme. Je n’ai pas spécialement de regrets sur notre saison, juste, de nouveau, quelques petits regrets sur la concentration. J’ai même pris du plaisir à certains moments sur le bord de la touche, en voyant évoluer certains joueurs : Mbappé, c’est phénoménal, j’ai aussi beaucoup aimé Seko Fofana et Adrien Thomasson, qui sont assez beaux à voir évoluer.
Vous partagez donc le sentiment que cette saison 2021-2022 a été assez élevée en matière de niveau ? Oui, je pense que ça a été un bon cru. Je suis mal placé pour faire des parallèles parce que je ne suis pas un habitué de la Ligue 1, mais je sais que certains collègues l’ont aussi dit. Malheureusement, le jeu a souvent été éclipsé par les problèmes personnels de certains joueurs, les problèmes dans les stades… Sur ce point, je pense qu’on peut être fier, car on a vraiment réussi à créer une dynamique au sein du club, de la ville, avec nos supporters, qui se sont comportés de la meilleure des manières. Je suis triste pour mes collègues qui ont dû affronter tout ça. Pour le moment, il n’y a eu aucun souci chez nous. Je ne veux pas m’en réjouir trop vite, car ça peut arriver, mais j’ai trouvé nos supporters, qui découvraient également le haut niveau, parfaits.
Et maintenant, quel est le programme ? Je vais essayer de couper, même si on ne coupe jamais totalement. Je vais certainement revoir certains de nos matchs, penser à la suite, discuter du mercato avec notre cellule. Ça va être nécessaire de couper, quand même, mais il faut déjà se préparer à repartir.
Propos recueillis par Maxime Brigand