Il y a onze ans, la BBC vous élisait « héros culte de toute l’histoire d’Everton » avec 74% des votes. Ça vous a fait quoi ?
Forcément, j’étais très fier. Mais ça m’a toujours paru étrange. Parce qu’entre tous les grands joueurs qu’Everton a eus, me choisir moi, c’est un peu surréaliste. C’est même très surréaliste. Quand tu joues au football, tu es censé tout conquérir et t’en réjouir. Moi, je n’ai jamais pensé de cette manière. Je n’ai vraiment aucune idée de la raison pour laquelle ils m’ont donné ce titre : parce que je suis resté longtemps ? Parce qu’ils n’ont jamais pu se débarrasser de moi ? La seule chose qui me paraît plausible ? J’étais au club quand il a gagné de nombreux trophées. Mais bon, ça fait longtemps. Disons que je suis reconnaissant de ce qu’on me donne, dont ce titre.
Pourtant, votre carrière aurait pu se dérouler tout autrement. Adolescent, vous auriez pu signer au Fortuna Düsseldorf, c’est ça ?
Mon oncle s’occupait de l’équipe du coin, les Llandudno Swifts, dans laquelle je jouais. On a voyagé du Nord du pays de Galles jusqu’en Allemagne dans le pire bus que tu puisses imaginer sans s’arrêter ni dormir. Une fois arrivés à Düsseldorf, on s’est écroulés et forcément, on s’est fait démolir par le Fortuna. Le lendemain, avant de repartir, mon oncle m’a demandé : « Tu veux rester ? Ils veulent te signer. » Évidemment que non. Moi, je voulais rentrer à la maison (rires). Et ça s’arrête là. J’ai 14 ans, j’ai jamais quitté la maison ni ma petite ville, et on me demande d’aller à l’autre bout de l’Europe ? En plus, à cet âge-là, je ne sais pas ce que ça veut dire « signer » quelqu’un. Je suis plutôt content de la tournure qu’ont prise les choses par la suite.
Vous avez pourtant abandonné l’école rapidement et enchaîné toute sorte de petits boulots.
En fait, je suis rentré dans une municipalité et j’ai fait plein de trucs : monter des murs, faire de la cuisine, éboueur, refaire les routes, changer les ampoules des lampadaires, pour finir porteur de briques. C’est comme ça que je suis devenu fit. En même temps, je continuais à jouer au foot. Je suis très heureux de ce chemin de carrière parce que, quand tu vois la façon dont les gamins jouant au foot sont conditionnés par leur environnement… Parfois, les centres de formation t’empêchent d’avoir de la liberté, pourtant nécessaire pour que tu puisses devenir l’homme que tu veux être. C’est parfois trop rudimentaire, comme leur passer la camisole de force. Ils te disent quoi faire 24h/24 et ça n’aurait jamais marché avec moi. J’aime faire ce dont j’ai envie. Si tu regardes les centres de formation maintenant, les clubs recherchent tous quelque chose d’unique, mais en sortant, les joueurs sont formatés. Il n’y a presque plus de flair, d’élégance. De différence.
Vous qui avez percé sur le tard dans le foot, vous y avez toujours cru ?
Disons que j’ai toujours fait en sorte d’y croire en me disant quand même, qu’au bout de quelques années, si jamais je ne faisais pas mon trou, je garderais le foot comme un loisir tout en continuant à monter des murs. Heureusement pour moi, j’ai signé à Bury avec qui j’ai passé une superbe saison. Si j’avais voulu planifier ma carrière, je pense que je n’aurais pas fait mieux. J’ai eu de la chance aussi parce que le club dans lequel je jouais avant Bury, Winsford United, était à la frontière anglaise. Bon, c’était loin de chez moi, je devais prendre le train pendant une heure et demie, et quelqu’un venait me chercher à la gare de Chester, mais ça valait le coup. Je voulais juste aller le plus loin possible. Je savais que je pouvais redevenir porteur de briques, et d’un autre côté, je savais que j’étais vraiment fit. J’ai juste pris ma chance, et si ça n’avait pas marché, pas grave, j’aurais vu de quoi j’étais capable. Je ne me suis jamais dit que le football était la seule chose à faire de ma vie, qu’en dehors du foot, ma vie serait ennuyeuse. En centre de formation, on ne t’explique pas qu’être footballeur, c’est un travail à part entière. Que le salaire qu’on te donne, tu dois bosser dur pour l’honorer. Les gamins ne voient que la partie amusante du football. Moi, je l’ai appris en posant des briques les unes sur les autres.
Après votre signature à Everton, l’équipe connaît sa plus belle période : deux championnats, une Cup et une C2. C’est aussi le moment où la catastrophe du Heysel se produit, bannissant les clubs anglais des compétitions européennes. Vous pensez que votre carrière aurait pu être différente sans ce désastre ?
Absolument. On aurait pu devenir une encore plus grosse équipe, un encore plus gros club. On n’aurait pas eu à vendre certains de nos joueurs, le manager aurait voulu rester. Mais au final, je ne peux bien entendu pas en vouloir aux gens de Liverpool ou aux Italiens. En revanche, j’en veux à l’UEFA et à la FIFA qui n’ont pas été en mesure de déceler le problème rapidement. Je ne juge pas les gens, seulement les circonstances. Bien sûr que j’aurais préféré que tous ces gens restent en vie, mais malheureusement, on a peut-être été vite en besogne quand il s’agissait de désigner un coupable. S’il y a bien un coupable, c’est l’UEFA. Pas les fans.
Revenons sur le terrain du jeu : quel était le secret de cette équipe d’Everton dans les années 80 ?
Travailler dur, les bonnes personnes aux bons postes et un sens du collectif phénoménal. On avait aussi un manager, Howard Kendall, qui mettait en place des choses avant-gardistes bien avant qu’Arsène Wenger ne débarque sur la scène anglaise. Les préparations d’avant-saison, par exemple, nous ont toujours permis de finir bien nos saisons. Sa philosophie ? Être aussi fort en mai qu’en août. De surcroît, il faisait en sorte que nous devenions des hommes en nous faisant bosser dur et en nous faisant prendre soin de nous.
Le poste de gardien de but, c’est 90% de mental et 10% de physique. C’est aussi pour ça que j’ai joué aussi longtemps.
Votre carrière est très liée à celle de Howard Kendall. Quel genre de relation entreteniez-vous ?
Quand j’ai débarqué à Everton, il ne me lâchait pas la grappe. À la fin des matchs, il me disait toujours : « Tu as fait un bon match MAIS… » Je devais me débarrasser de ceci, de cela. Je n’arrêtais pas de me dire : « Mais qu’est-ce qu’il me veut ? » Durant les six premiers mois, il y avait toujours ce « mais » . Je voulais juste qu’il la ferme. Il m’a fait m’entraîner plus dur, plus longtemps, il m’a aidé à chercher des réponses à certains problèmes en dehors du football. Il poussait toujours un petit plus pour que je sois le meilleur possible. Tout ça grâce à un « mais » . Je crois que Howard Kendall me connaît mieux que je ne me connais moi-même.
Vous avez également connu Mike Walker en tant qu’entraîneur, avec qui ça ne s’est pas très bien passé…
Mike Walker… T’es sûr qu’on peut parler d’entraîneur en parlant de Mike Walker ? Je pense surtout qu’il n’y connaissait rien du tout en football. Le mec était ancien gardien de but. Je me suis entraîné une fois avec lui, il m’a fait faire le même exercice pendant deux heures. Qui plus est, dès que l’on perdait, il considérait que ça n’était pas de sa faute, qu’on n’était tout simplement pas assez fit. Et c’était tout selon lui. Il ne s’est pointé qu’à la fin de la pré-saison, par exemple. Il était plus intéressé par son bronzage que par la façon dont il devait diriger le club. Et le mec osait dire qu’on n’était pas fit.
En tant que gardien, vous aviez un jeu très agressif et intuitif, très original à l’époque. Comment vous travailliez ça ?
Être gardien de but, c’est avant tout une question d’intimidation. Faire en sorte que le joueur en face fasse ce que tu veux qu’il fasse. Donc quand les attaquants se pointaient, je faisais en sorte de les faire aller là où je voulais, pour mieux les bloquer ensuite. En majeure partie, ceux qui arrivent devant toi ne sont pas les personnes les plus intelligentes que tu connaisses, donc je les chassais, je leur mettais la pression, pour ne pas leur laisser de temps de réfléchir à quoi faire. Les bons prenaient les bonnes décisions, évidemment. Mais les mauvais paniquaient en arrivant devant toi. Concernant mes réflexes, je travaillais dur, et surtout, j’avais la chance d’avoir un bon mental. Quand tu es gardien, les gens vont regarder en DVD uniquement tes arrêts de la saison. Moi, je faisais en sorte que les gens voient aussi la façon dont j’empêchais les buts de se produire. C’est une philosophie. Notamment celle de ne jamais dire non. Être gardien de but, c’est comme jouer aux échecs. Le but était simplement d’être parfait.
Soutenir un tel niveau d’excellence pendant tant d’années, ça doit être usant, non ?
Oui, mais si tu ne le fais pas, d’autres le feront à ta place. Personne ne peut construire ta carrière pour toi. Il faut savoir être dévoué et un peu égoïste aussi si tu veux accomplir ton désir d’être le meilleur d’entre tous. Everton me payait pour que je donne le meilleur de moi-même. Pourquoi je me serais arrêté à mi-chemin ? Le poste de gardien de but, c’est 90% de mental et 10% de physique. C’est aussi pour ça que j’ai joué aussi longtemps.
Cette fuite de l’échec, le public l’a constaté lors d’un match contre Leeds lors de la saison 1990-91 où vous avez préféré rester dans votre but à cogiter plutôt que de rentrer aux vestiaires avec l’équipe.
J’avais déjà fait le coup auparavant, à Wimbledon. Personne n’en a parlé parce qu’il n’y avait pas grand monde. Mais contre Leeds, je ne jouais pas très bien (l’équipe perdait 3-0 à la mi-temps, ndlr) et j’avais besoin d’avoir les idées au clair. J’avais besoin d’être seul pour ça. Tout ça parce que je faisais de la merde. Et en seconde mi-temps, on a bien mieux joué (Everton avait remonté deux buts, ndlr). Parfois, tu dois faire ce que tu penses être le mieux pour toi, de façon à aider ton équipe. Certains ont vu ça comme une protestation. Pas du tout. Je reconnaissais juste mon erreur. C’est bien mieux de faire ça que de dire qu’on est désolé après coup.
Cet événement, ainsi que d’autres dans votre carrière, ont fait que vous avez toujours eu cette réputation de loup solitaire. Vous acceptez ça ?
Je crois surtout que le foot est très égocentrique. Tous les sports le sont. Tu dois apprendre à être indépendant. C’est ta carrière, tu la construis. Oui, j’étais incroyablement têtu. Je suis probablement un emmerdeur aussi, mais je vis ma vie comme je l’entends. Surtout, je n’ai jamais eu de problème pour me mélanger avec mes coéquipiers et je suis resté dix-sept ans à Everton. Je pense que 90% de mes décisions ont été bonnes.
Lors de cette même saison 1990-91, vous êtes approché par Manchester United, mais quelque chose de surprenant fait que ça capote…
Oui, Sir Alex Ferguson m’a appelé personnellement. Sauf que je croyais qu’un de mes potes me faisait une blague. Je lui ai dit d’aller se faire voir et qu’il pouvait parler à mon agent s’il le voulait. Il a sûrement dû se dire que j’étais incroyablement impoli et je n’ai plus jamais entendu parler de lui. Mais bon, c’était écrit : je ne quitterais pas Everton. C’est mon club. Pourquoi je le quitterais ?
J’en ai manqué quelques-uns, des derbys, et j’étais parfois content de ne pas en être, notamment quand on jouait très mal et qu’on se prenait des volées.
Et vous avez bien fait : en 1995, vous avez été fait Membre de l’ordre de l’Empire Britannique par la reine Elizabeth II d’Angleterre…
Quand tu rencontres la reine, on te met dans cette enfilade de pièces. Il devait y en avoir trois ou quatre. Dans chacune des pièces, tu as toutes sortes de chevaliers, d’officiers, de commandeurs de l’ordre de l’Empire britannique, et chacun passe environ trente secondes avec elle. Elle s’est avancée vers moi, m’a remis ma médaille et m’a dit : « Qu’allez-vous faire maintenant que votre carrière est terminée ? » Je lui ai répondu : « Ben, je joue encore… » Et elle : « Oh d’accord, bien joué alors et bonne chance ! » Et voilà. (rires)
Concernant le derby de Liverpool, vous êtes le joueur qui en a connu le plus : 41 dans toute votre carrière. Comment vous décririez cette ambiance si particulière ?
Ah… (il met un temps d’arrêt) Le premier que tu joues est complètement dingue. L’intensité est incroyable. Dans le jeu, c’est très tendu parce que chaque équipe veut gagner. Il faut comprendre qu’à Liverpool, le lundi qui suit le derby, si tu es fan d’Everton et qu’ils ont perdu dans le week-end, au boulot, dans la rue, tu te fais enfoncer par les fans de Liverpool. Si tu gagnes, tu passeras un bon jour. Si tu perd, que Dieu te vienne en aide. Donc c’est assez facile en tant que joueur de se disperser, de se laisser gagner par l’enjeu. Tu dois rester calme tout en subissant les 40 000 personnes qui te hurlent dans le dos, qui te disent quoi faire. J’en ai manqué quelques-uns, et je ne te cache pas que j’étais parfois content de pas en être, notamment quand on jouait très mal et qu’on se prenait des volées. (rires)
Votre meilleur souvenir du derby ?
La première fois que Joe Royle est arrivé au club. On était plutôt mal en point en championnat, et Joe n’était là que depuis deux semaines, juste avant Noël. On a gagné, j’ai signé un clean sheet et même plusieurs d’affilée derrière, ça nous a remis dans le sens de la marche pour la saison, et on est sortis de la zone de relégation. Sans lui, sans doute qu’on n’aurait pas remporté la FA Cup à la fin de la saison. Mais mon plus grand souvenir en tant que joueur n’est pas un derby : c’est la demi-finale remportée face au Bayern Munich en Coupe des vainqueurs de coupes en 1985, la meilleure équipe de la compétition, et on gagne 3-1. C’était une soirée très spéciale pour moi, quelque chose que je n’avais jamais connu et que je ne connaîtrais sans doute plus jamais. C’était la fête dans les rues, entre les joueurs et les supporters… Des gens sur le toit des voitures, suspendus aux lampadaires. OK, on a joué une finale contre le Rapid Vienne, mais ça n’était pas à Goodison Park et contre une équipe plus faible. OK, on a gagné deux championnats, mais la sensation n’est pas la même.
Et le pire souvenir de derby ?
Oh, je dirais celui de 1982. Je m’en suis pris cinq, et on s’est fait sortir un joueur à la 20e minute. À domicile. Ian Rush marque quatre buts. On jouait ensemble en équipe du pays de Galles, on se marrait bien en tant que potes, mais pendant ce derby, qu’est-ce que j’ai pu le détester.
Votre pronostic pour le derby de ce samedi ?
Je dirais 2-1 pour Everton. Il faut mettre la pression sur Liverpool parce qu’on est fragiles derrière, mais surtout parce que leur goal n’est pas du tout en confiance. Il peut faire des erreurs, surtout dans les airs. Ils marqueront forcément parce qu’ils ont Sterling et Coutinho. Mais Lukaku et Baines vont marquer pour en mettre un de plus.
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