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Merci qui ? Merci Thierry Henry

Par Markus Kaufmann
7 minutes
Merci qui ? Merci Thierry Henry

4 ans et demi après avoir quitté l'Europe, Thierry Henry a annoncé qu'il avait joué la semaine dernière son dernier match avec les New York Red Bulls. Analyse du manque d'affection des Français pour celui qui aura été le meilleur buteur de l'équipe de France la plus populaire de tous les temps.

Il était une fois, le 3 mars 2010 au Stade de France…

Meilleur buteur des Bleus lors du Mondial 98, en jouant ailier, et sans une seule titularisation à partir des quarts. Meilleur buteur des Bleus lors de l’Euro 2000, en jouant ailier. Meilleur buteur des Bleus lors du Mondial 2006. À l’Euro 2004, Zidane marque un but de plus grâce à un penalty contre l’Angleterre, obtenu par Henry. Sans jamais tirer ces penaltys qu’il offrait, comme contre le Portugal en 2006, Henry aura été le meilleur buteur de l’équipe de France la plus populaire de tous les temps. Même en 2010, il aura été le meilleur buteur des qualifications au Mondial. Avec 51 buts marqués en 123 sélections, il en sera devenu le meilleur buteur tout court. Ainsi, sous le maillot bleu, Thierry Henry aura parfois été le capitaine, souvent le leader, mais toujours le buteur. Oui, le buteur, celui qui parle le langage du cœur et délivre les émotions. Mais ça n’a pas suffi.

Le 3 mars 2010, la France joue son dernier match à Paris avant le Mondial sud-africain. Face à une sélection espagnole supérieure en talent et organisation, le match est plié à la mi-temps (0-2). Ce soir-là, Thierry Henry n’est pas bon. Il manque un simple contrôle le long de la ligne de touche, et quelques passes. Ce soir-là, il reste pourtant le Français qui tente le plus de choses. La confiance, toujours cette même confiance. À la 65e minute, Raymond Domenech fait sortir son capitaine et emblème. Et là, surprise : les sifflets tombent. Des sifflets typiques du Stade de France et de ses « petits bourgeois de merde » , dixit Bernard Laporte. Des sifflets illusoires pour ceux qui trouvent que le spectacle, le contexte et les personnages sont trop légers. Des sifflets drôles pour d’autres, qui se sentent pour la première fois acteurs de quelque chose dans un stade. Et des sifflets furieux pour les quelques âmes légères qui n’ont pas digéré le fait qu’au football, on joue avec les pieds, mais pas que. Surtout, ce sont des sifflets d’une profonde tristesse pour tous ceux qui aiment le football.

Alors, à quoi bon ?

Deux mois et demi plus tard, retour des Bleus à Lens contre le Costa Rica. Thierry Henry n’est ni capitaine ni titulaire. Il ne le sera plus jamais pour les Bleus. Ce vulgaire Stade de France a eu sa peau, Raymond Domenech a craqué. Dans ce groupe, avec 121 sélections, Henry est pourtant un président en puissance. 40 sélections de plus que Gallas (81) et 54 de plus qu’Anelka (67). L’attaquant en a surtout quatre fois plus que Patrice Évra, néo-capitaine à 30 sélections. En Afrique du Sud, Henry jouera finalement dix-huit minutes contre l’Uruguay et trente-cinq contre l’Afrique du Sud. Une fin amère. Deux ans plus tôt, en 2008, Henry avait déjà été sifflé lors de sa centième sélection, contre la Colombie. Là encore, le Stade de France avait joué stupidement avec un grand moment d’une belle carrière.

Aujourd’hui, les conséquences sont nombreuses : même avec le recul, Thierry Henry passe aux yeux de certains pour un élément marginal qui aura logiquement fini par être rejeté par le « système » : arrogant, pas sympa avec les journalistes, individualiste et même antipathique. Des motifs sont inventés, des faits sont transformés. Quelque part, cette injustice ne peut que donner raison à l’éloignement d’Anelka et de Nasri vis-à-vis du maillot bleu. Si le football français a fini par rejeter Henry, celui qui a tout donné, tout gagné, tout joué et tout vécu, à quoi bon ? Autant trouver refuge dans le respect des professionnels des Anglais. La France ne saurait tout simplement pas dire « merci » ? Rationnellement, à la française, on peut chercher d’autres explications.

Le « merci » et ses pourquoi

Peut-être qu’Henry n’a pas de soutien particulier en France parce qu’il est devenu une légende en Angleterre, et qu’aucun grand club français ne lui fournit un soutien inconditionnel. Après tout, quand Diego Maradona arrive à Boca Juniors en 1981, il n’est que ce petit génie arrogant qui met la misère aux plus grands clubs argentins depuis cinq ans sous les couleurs d’Argentinos Juniors. Maradona n’est pas encore soutenu, encore moins aimé. En créant un lien avec Boca, Diego aura créé un lien avec une partie de l’Argentine, pour finalement la séduire complètement en 1986. Mais si l’AS Monaco ne suffit pas, Henry est champion de monde depuis ses vingt ans. Et de 1999 à 2006, il suffit d’un peu de mémoire pour se souvenir qu’Arsenal est traité dans les médias nationaux comme un club franchouillard. Non, Henry n’était pas le Kun Agüero qui réalise exploit sur exploit à douze mille kilomètres de Buenos Aires dans un club qui ne dit rien aux siens. Henry était là, à côté. Et si la France est restée sur sa faim, voyant le 14 marquer plus de buts historiques à Highbury qu’au Stade de France, il faut souligner que l’attaquant aura été victime de la mentalité défensive des Bleus. Autrement, comment est-ce possible de toujours finir meilleur buteur avec 3 buts ?

Pour d’autres, ce déficit d’amour est une conséquence immédiate de la popularité de Zidane. Peut-être. De 1998 à 2006, Zidane était bien le héros des femmes et des enfants. Alors que le Stade de France a essayé de salir Henry, même ces petits bourgeois auraient eu le réflexe de se lever, d’applaudir et de se dire : « Putain, on ne touche pas à Zizou » . Mais pourquoi pas Henry ? À Arsenal, là même où il est devenu une légende, Henry n’a-t-il pas dû cohabiter avec l’idole Dennis Bergkamp ? Mais le 12 juillet 1998, Henry reste sur le banc et voit Guivarch’ manquer ses occasions, la faute à l’expulsion de Desailly. Malgré les 51 buts, il est impossible de remplacer un doublé en finale de Coupe du monde dans un pays à la culture footballistique limitée. Henry lui-même avait lâché un « Dieu est de retour » à quelques mois de l’épopée de 2006.

Thierry Henry, entre Michael Jordan et Stefan Edberg

Mais Henry n’a jamais demandé qu’on le remercie. « On ne te donne jamais rien, il faut aller le chercher. Et je suis toujours allé chercher ce que j’ai eu, par le travail. » Et si le problème venait de là ? La France du sport n’a jamais été une grande adepte de la notion « travail » . Parce que Platini, parce que Zidane, le pur génie, le numéro 10. Au début de sa carrière, Henry n’était pas beaucoup plus qu’un ailier rapide. Comme il le dira lui-même, « un type qui n’avait pas de pied gauche et qui ne savait pas tirer les coups francs » . Alors, Henry est devenu Henry en travaillant. Son plat du pied, ses coups francs, sa puissance, sa technique dans les petits espaces, jusqu’à devenir l’un des premiers attaquants tout-terrain à une époque où les attaquants se comptaient encore par paire. Et si Henry ne souriait pas assez ? Un manque de sympathie « vu de mon salon » est une critique plutôt cruelle pour un homme qui a grandi en admirant Michael Jordan et Stefan Edberg. Des champions qui souriaient peu, non pas parce qu’ils méprisaient le public, leurs coéquipiers et tout ce qui les entoure, mais parce qu’ils avaient trop de respect pour « le jeu » . Henry aura toujours voulu leur ressembler. L’obsession de la compétition de Michael Jordan : « Quand je joue aux cartes avec ma fille, je ne la laisse jamais gagner. Il faut qu’elle ait mérité de gagner, sinon ça ne veut rien dire. » Et la concentration extrême de Stefan Edberg. « T’as déjà vu Michael Jordan rigoler sur un terrain ? » , demandera Henry à Emmanuel Petit devant les caméras de L’Équipe TV à New York.

Évidemment, non. Zidane non plus ne rigolait pas beaucoup, d’ailleurs. La France n’aura pas su digérer l’exigence et la confiance en soi d’un compétiteur exceptionnel. Un échec qui pousse à croire que si Cristiano Ronaldo avait été français, des chants « Messi ! Messi ! » auraient pu sortir des tribunes du Stade de France… « Pour rire » . Aujourd’hui, le football français ne semble pas particulièrement ému par cette « fin amère » , mais il n’est plus fâché comme en cette soirée de mars 2010. Dans quatre ans, puis dans dix ou vingt ans, il sera peut-être un petit peu plus sensible. Voire reconnaissant. Qui sait. Cet été dans les studios de la BBC, Henry aura donné son avis sur la Coupe du monde pour les Anglais, avec pertinence. « Steven Gerrard me fait penser à un autre joueur avec qui j’ai joué pendant longtemps : Patrick Vieira. Il parlait très peu, mais sur le terrain, au premier tacle, au premier duel, il s’engageait tellement que toute l’équipe était prête à le suivre partout. » La France, elle, n’a pas su suivre Thierry Henry. Peut-être qu’il était trop rapide.

Dans cet article :
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Par Markus Kaufmann

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