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Le jour où George Graham a été viré d’Arsenal
À Arsenal, avant Arsène, il y a eu George. George Graham. Et entre, il y a eu un vrai bordel, dans lequel Bruce Rioch tenait le leading role. Retour sur une période aussi tendue que charnière pour le club londonien qui débuta il y a pile vingt ans.
21 février 1995. À quelques heures d’un match contre Nottingham Forest, l’équipe d’Arsenal, qui peine sur cette saison à retrouver le haut du tableau dans cette toute nouvelle Premier League, vient de prendre un grand coup sur la tête. George Graham, son entraîneur depuis neuf ans, vient d’être démis de ses fonctions par le président du club Peter Hill-Wood, meurtri et abasourdi. « Ce fut mon jour le plus triste dans ce club. J’ai dit à George que j’étais désolé qu’on en soit arrivé là. Nous avons connu de grands moments ensemble, et il a amené beaucoup de succès à Arsenal. Je crois parler pour tout le monde quand je dis ça. Tout le monde admire le travail accompli, ce qu’il représente » , expliquera le doyen du club en conférence de presse. À raison. Sous George Graham, les Canonniers ont appris à renouer avec le succès : deux victoires en championnat, deux League Cup, un FA Cup, un Charity Shield et dernièrement une C2, qui font du technicien écossais l’entraîneur le plus performant de l’histoire du club. Même Graham ne peut pas ou ne veut pas croire à cette nouvelle, lui qui passera la tête dans le vestiaire juste avant le match pour lâcher à ses joueur un « Je suis toujours là ! » tandis qu’on l’escorte hors du stade. Dès lors, pourquoi avoir dégagé un entraîneur qui a permis de remettre Arsenal sur la carte du football anglais ?
Graham, un homme qui pesait à Arsenal
Parce que le désormais ex-entraîneur d’Arsenal aurait touché des pots de vin d’une valeur de 425 000 livres de la part de l’agent norvégien Rune Hauge lors de la signature de deux joueurs pour le club londonien, Pål Lydersen et John Jensen. Si Graham qualifie de « cadeaux » les sommes astronomiques touchées, le fait est que la FA suspend l’entraîneur de toute activité professionnelle dans le foot pour un an. Et même si la situation est extrêmement compliquée pour le board d’Arsenal, l’occasion fait le larron dans une saison où Arsenal ne scintille pas autant que les précédentes, tandis que Graham maintient son train de vie d’entraîneur nanti. Juste avant d’être licencié, l’entraîneur écossais signera John Hartson, Chris Kimomya et même l’ailier néerlandais Glenn Hélder, quelques heures avant d’être débarqué d’Arsenal. Ce dernier n’a plus le look de bassiste de Prince de ses années londoniennes, préférant la boule à zéro et le sourire ultra bright. Mais il se souvient très bien cette époque en sirotant un jus d’orange frais dans le prestigieux American Hotel d’Amsterdam : « George Graham me voulait vraiment. Pendant les négociations, il a fait des pieds et des mains pour m’avoir. C’était un homme très relax. Il était en confiance : ça faisait dix ans qu’il était là et qu’il avait remporté beaucoup de trophées. » Trop habitué à mettre les pieds sous la table, le Graham ?
Pas forcément. Au micro d’Aftonbladet TV, le milieu suédois Anders Limpar comparera ses quatre ans passés sous les ordres de Graham à « la vie en Irak à l’époque de Saddam Hussein. Il était dégueulasse. Un jour, tu te pointais à l’entraînement et il convoquait un joueur dans son bureau, même si tout le monde pouvait entendre ce qu’il s’y disait. Alors, Graham disait : « Je t’ai vendu à Leeds. » Et le joueur répondait : « Je ne veux pas aller à Leeds. » Graham concluait d’un « Bon, tu n’as plus qu’à faire tes valises. » » Si l’Écossais fait ce qu’il veut au pays des Canonniers, c’est aussi parce qu’il a mis en place un système efficace, quoiqu’un peu boring. Le carré magique défensif que composent Dixon, Bould, Adams et Winterburn, à la limite de la télépathie, met tous les attaquants hors-jeu. Lors du titre de 91, Arsenal n’encaissera que 18 petits buts. Pour le reste, de grandes chiches envoyées à Ian Wright dans la boîte. Le Arsenal des early nineties est alors le spécialiste du 1-0.
L’homme qui fit signer Dennis Bergkamp (et qui hurla sur Ian Wright)
Le départ de Graham d’Arsenal, c’est une page symbolique du football anglais qui se tourne. Celle d’un pays qui tourne le dos à la First Division pour épouser la jeune Premier League juste avant que l’arrêt Bosman ne transforme en profondeur les effectifs brittaniques. Stewart Houston, assistant de Graham, se chargera d’assurer l’intérim avant que le club londonien ne nomme un autre Écossais à l’été 95 : Bruce Rioch. Habitué des petites équipes (Middlesbrough, Milwall, Bolton), le technicien enfile un costume peut-être trop grand pour lui. S’il est avant tout resté dans les Ars-annales comme « celui qui a fait signer Dennis Bergkamp » , cet héritage est visiblement contesté, les recrutements de l’époque étant réalisés principalement par David Dein, le vice-président. Du coup, Rioch agit avec la colère caractéristique de ceux qui ne maîtrisent rien. « Bruce Rioch voulait construire sa propre équipe et donc se débarrasser des joueurs recrutés par George Graham coûte que coûte, rembobine Hélder. Il faisait ça avec Chris Kimomya et John Hartson. Je me rappelle une mi-temps dans le vestiaire où Rioch a hurlé sur Hartson à deux centimètres de son visage pendant de longues minutes, à lui cracher des postillons dessus, pendant que Hartson s’enfonçait dans son box. Derrière, il demande à Ian Wright de se lever et une fois que c’est fait, il lui dit : « Tu crois que t’es plus important que le club ? Dégage de ma vue, putain ! » Plus tard dans le match, il sort Ian, et derrière, Ian balance sa veste de survêtement. Et là, tout le stade : « Rioch out ! Rioch out ! Rioch out ! » 37 000 personnes, quand même. »
Forcément, en tant que dernier arrivé de l’ère Graham, Hélder subit le même traitement de faveur, en un peu plus sournois. « En début de saison, Bruce Rioch est venu me voir et ne m’a fait aucun reproche. On a joué le premier match de préparation de la saison, et Dennis Bergkamp a marqué trois buts, moi deux. Là, Rioch m’a dit : « Glenn, bravo. Tu as joué parfaitement. Tu es mon milieu gauche pour cette saison. » Le match suivant, il a mis Merson sur le flanc gauche pour voir s’il pouvait avoir un autre choix solide si jamais je venais à me blesser. À partir de ce moment, je n’ai pas rejoué un match. Donc tu me demandes comment est Bruce Rioch ? C’est un fourbe, un mec faux. Le genre de mec à te mettre une tape dans le dos alors qu’en fait, il te poignarde. »
Arsène Wenger origins
Parce qu’il préfère utiliser Dennis Bergkamp plutôt que Ian Wright, Rioch se voit donc obligé de modifier le caryotype d’Arsenal. Pas évident quand on voit les gueules de grognards de l’effectif londonien. « Quand Stewart Houston a remplacé George Graham, la façon de jouer est restée la même : dukick and rush. Avec Bruce Rioch, on a essayé le jeu au sol en passes courtes. Ça marchait bien à l’entraînement, mais en match, dès le premier ballon, poum ! Ça partait devant en cloche. En même temps, c’était difficile de changer ça puisqu’ils avaient toujours gagné de cette façon, rigole Glenn Hélder, plus habitué au jeu rapide typiquement batave. Je veux dire, la première fois que je suis allé faire un tournoi en Écosse, j’ai joué contre des mecs sans dents. Paul Merson ? Ses dents aussi s’étaient envolées. Le mec était milieu ! Normal, les mecs se mettaient des coups de coude tout le long du match. » Même si Arsenal termine à une inespérée cinquième place qualificative pour l’Europe lors de la toute dernière journée, la méthode Rioch n’est pas bonne. Le technicien écossais ne parvient pas à imposer ses idées, plus prompt à se prendre la tronche avec l’idole de Highbury Ian Wright qu’à ménager la chèvre et le chou.
Le 12 août 1996, Bruce tout-puissant est débarqué, remplacé par Stewart Houston, puis Pat Rice pendant quelques mois, le temps de chauffer la place à un entraîneur alsacien avec une dégaine de marathonien à la retraite et qui revient du Japon. « Arsène Who ? » titre même l’Evening Standard. Très rapidement, Arsène Wenger va réussir là ou Rioch a échoué, dans le fond et dans la forme. Depuis Wenger, Arsenal est synonyme de beau jeu appliqué au championnat anglais, parfois à la limite du romantisme absolu. Surtout, Wenger ne prend pas les gens en traître. Tandis qu’il ramène toute sa clique de Français, l’ancien entraîneur de l’AS Monaco fait le ménage. Un temps prêté à Benfica, Glenn le Néerlandais se retrouve concurrencé par son ancien rival en sélection Marc Overmars. « La première chose qu’Arsène Wenger m’a dite, c’est : « Glenn, j’ai beaucoup de clubs pour toi ! Tu peux signer à Strasbourg si tu veux. » Et moi : « Strasbourg, c’est où ça ? », sourit-il. Forcément, c’est pas ce que tu veux entendre. Mais il a été honnête avec moi. J’avais tout foutu en l’air, donc c’était normal. Ce club, c’est Arsène Wenger qui l’a changé. » Bientôt vingt ans que ça dure.
Par Matthieu Rostac