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Brest, génération coupe d’Europe

Par Clément Gavard, au Roazhon Park

Il faudrait inventer de nouveaux mots pour décrire la saison du Stade brestois, assuré de jouer la Coupe d’Europe pour la première fois de son histoire après son triomphe irrationnel à Rennes, ce dimanche. Une anomalie ? Peut-être, mais quelle belle anomalie.

Brest, génération coupe d’Europe

Le Stade brestois n’est pas près d’oublier ce derby ni cette saison, entrée définitivement dans l’histoire du club breton après son succès fou à Rennes (4-5), sur une terre où il n’avait plus gagné depuis 37 ans et face à un adversaire qui restait sur une série de quatorze matchs sans perdre contre son voisin finistérien. Il y avait cette impression, ce dimanche au Roazhon Park, que rien ne pouvait arriver à Brest, comme souvent cette saison. En passant de 2-4 à 4-4, les Ty Zef auraient pu s’effondrer, c’est ce qui s’était passé à Lyon quinze jours plus tôt. Ils ont cette fois fait en sorte que la dimension irrationnelle de la rencontre bascule en leur faveur pour offrir des scènes de joie mémorables devant des Rennais abattus par la cruauté du scénario et plombés par leurs limites.

Le héros du jour, Lilian Brassier, formé au Stade rennais, l’a raconté en zone mixte après la partie en soulignant le rôle de Kenny Lala dans ce happy end : « En fait, ce qui se passe, c’est que Kenny passe devant moi avant qu’on tire le coup franc. Moi je dis : “Allez les gars, on joue le nul.” Mais Kenny me dit : “Quoi ? Monte devant !” Il a eu raison. » C’est aussi le latéral droit qui a conseillé à Mathias Pereira Lage de chercher le deuxième poteau, là où Brassier a surgi pour placer une tête victorieuse qui a éteint une partie de l’enceinte rennaise, laissant la fête et la folie à des Brestois conquis et conquérants. Un match peut se jouer à peu de choses, à des petits détails, pas une saison. Celle de Brest, 15e budget de Ligue 1, est exceptionnelle. Pour la première fois de son histoire, le SB29 disputera une Coupe d’Europe la saison prochaine. Ce sera peut-être la Ligue des champions, peut-être une autre, mais ce sera surtout mérité. C’est une grande nouvelle pour les Brestois, ça en est aussi une pour le football français et notre championnat.

L’école de la simplicité

Une petite musique commençait à monter ces derniers temps chez une minorité d’observateurs, qui veulent nous faire croire que la réussite de Brest serait en fait une mauvaise chose. Un terrible désaveu pour la France du foot. Une horrible perspective pour la saison à venir. Ils n’étaient pas à Rennes ce week-end, ils n’ont pas vu le spectacle proposé par cette équipe sur un nuage ni le bonheur contagieux sur tous les visages. Il y a une forme de pudeur, aussi, dans ce club simple à souhait, où les tenues pourraient être celles d’une bande de copains du dimanche. Où le nombre de salariés ferait sans doute rire les armées déployées par les habitués de la Ligue des champions. C’est un éloge de la simplicité, de plus en plus rare dans un milieu de plus en plus déconnecté de la réalité.

Pour être honnête, j’attendais ma bière à la fin, je ne l’ai même pas eue. Là, j’ai grand soif, dans le bus on aura peut-être une surprise.

Pierre Lees-Melou, assoiffé

Il y aura le temps de s’inquiéter pour la saison d’après, il était seulement question de profiter, ce dimanche, sur la pelouse du Roazhon Park et dans le vestiaire où la musique a accompagné les passages en zone mixte. Comme celui de Pierre Lees-Melou : «  Le “Stade brestois Coupe d’Europe”, ça nous embêtait qu’ils le chantent avant, car ce n’était pas officiel. Mais oui, on s’est lâchés. On leur doit tellement. Ils ne nous ont jamais lâchés depuis que le coach est là. C’est en partie pour eux tout ça, et comme le parcage était plein, on leur devait ça. Maintenant on peut le chanter, le “Stade brestois Coupe d’Europe” (il se met à chanter). Pour être honnête, j’attendais ma bière à la fin, je ne l’ai même pas eue. Là, j’ai grand soif, dans le bus on aura peut-être une surprise. On va essayer de ne pas avoir de regrets, ce qu’on retient, c’est toujours la fin, même si là, on a envie de retenir la saison. » 

Ils peuvent la retenir, la graver dans le menhir, cinq ans après la remontée dans l’élite et quinze mois après l’arrivée d’Éric Roy sur le banc brestois. « L’année dernière, à trois matchs de la fin, je crois qu’on obtenait un maintien. Aujourd’hui, c’est la Coupe d’Europe. Le chemin parcouru en un an est assez incroyable, il ne faut pas banaliser ça, disait-il en conférence de presse, tout en retenue. C’est quelque chose que personne, ni nous ni vous, ne pouvait imaginer. On est troisièmes au classement derrière les deux mastodontes Paris et Monaco. C’est compliqué de faire le tri dans tout ça, il y a tellement d’émotions, tellement de fierté. » Le technicien de 56 ans avait heureusement déjà les cheveux blancs qu’il aurait pu gagner ces dernières semaines, au rythme des scénarios incroyables, de la victoire 4-3 contre Metz à celle dans le derby ce dimanche. « On s’était dit qu’on voulait être dans les meilleures défenses, se marrait Lees-Melou, qui a vu son équipe encaisser treize buts sur les quatre derniers matchs. Finalement, on peut l’oublier malheureusement. Mais est-ce qu’on ne s’en fiche pas un peu ? On a une Coupe d’Europe, c’est le plus important. On ne va pas cacher notre plaisir. »

Culture brestoise

Pour la première fois depuis 2004, la France va envoyer un novice sur la scène européenne, ce qui symbolise un peu plus la performance remarquable de ce Stade brestois, qui espère vibrer aux quatre coins de l’Europe et, il faut l’espérer, dans son stade. «  La Coupe d’Europe, c’est à Le Blé », entonnait le parcage ty zef après l’ivresse de la victoire. Pour l’instant, l’UEFA a dit non, mais en coulisses, il se disait que l’espoir était encore permis, sans cacher que voir le Real Madrid ou Manchester City débarquer au bout de la terre était compromis. Loin de toutes ces considérations, Mathias Pereira Lage a glissé la recette du succès : « On est un vrai groupe, une équipe. Il n’y a que des joueurs qui sont sains, qui bossent et ça marche. »

Quand on n’a pas l’habitude d’être à cette place, le plus difficile est de gérer ses émotions. Des équipes sont préparées, nous, ce n’est pas du tout le cas.

Grégory Lorenzi

Une culture club entretenue par des garçons comme Brendan Chardonnet ou Hugo Magnetti, tous les deux brestois depuis des années (14 pour le premier, 7 pour le second), ou encore Yvan Bourgis (ancien joueur aujourd’hui préparateur physique, au club depuis 21 ans), Bruno Grougi, Julien Lachuer et Grégory Lorenzi, dont le travail avec des moyens très limités accouche d’une réussite hors normes. « Quand on n’a pas l’habitude d’être à cette place, le plus difficile est de gérer ses émotions. Des équipes sont préparées, nous, ce n’est pas du tout le cas et on apprend à travers la compétition, racontait le directeur sportif brestois ce dimanche. On a travaillé dur pour en arriver là aujourd’hui. Je sais que dans le foot, il faut garder cette humilité. Je suis très fier, c’est vrai que je ne suis pas quelqu’un de démonstratif, mais je sais l’apprécier dans ma vie secrète et privée. Je suis très heureux, ce qu’on a fait, c’est historique. » C’est un bol d’air frais, un pied de nez à la Superligue et à ceux qui rêvent d’une élite plus fermée qu’elle ne l’est déjà. C’est le rappel que la glorieuse incertitude du sport, du foot, n’est pas morte. Le Stade brestois, lui, n’a jamais été aussi vivant.

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