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Le silence des agneaux

Par Théo Denmat
Le silence des agneaux

La rumeur est épaisse comme une laine de mouton en plein hiver : le Dinamo Tbilissi égorgerait à l'occasion des ovins sur ses terrains d'entraînement pour se porter chance. La presse l'affirme, le club nie, mais pas si fort que ça, et l'UEFA est même venue fourrer ses cornes dans l'histoire. Récit du vrai silence des agneaux.

On ne sait pas grand-chose. En tout cas, pas grand-chose de plus que ces quelques lignes publiées dans un journal local. Le texte est aujourd’hui introuvable et la rédaction fermée, mais la rumeur, elle, persiste. Étrange rumeur, d’ailleurs : le Dinamo Tbilissi, club le plus titré de l’histoire géorgienne, égorge-t-il des moutons pour booster ses résultats sportifs ? Le mot, lancé dans l’air froid de la capitale dans le courant de la saison 2015-2016, fait toujours tiquer le pays un an plus tard. Surprenant, car si la pratique est censée être condamnée par une religion chrétienne ultra majoritaire dans le pays, elle « fait partie des cultures locales » , explique-t-on avec simplicité sur place. Mais accommodée au milieu du football et au caractère supposé plus développé de la capitale, ça ne passe pas. Après la publication du papier il y a un peu moins d’un an, la population s’indigne sur les réseaux sociaux. Comme souvent, la flamme prend vite, même dans un pays où la température moyenne dépasse rarement les 5°C en plein hiver. Tblissi voit s’abattre une pluie de commentaires haineux sur internet, et en premier ceux de la PETA (People for the Ethical Treatment of Animals), un mouvement pro-animalier prêchant pour plus d’éthique dans le traitement des animaux. Pourtant, le club nie. De la traque aux tueurs de mouton a donc surgi une nouvelle polémique : qui est le menteur de l’histoire ?

« Nier, c’est leur stratégie de communication »

« Merci pour votre email et votre intérêt, mais j’aimerais mentionner que rien de tel n’est jamais arrivé sur nos terrains d’entraînement. L’information que vous avez trouvée sur internet ne doit rien être d’autre qu’une simple blague. » Par mail, le ton est cordial. Par téléphone, il l’est un peu moins. Et si Tea Shamatava, responsable de la communication du Dinamo Tblissi, n’oublie pas de conclure chacune de ses interventions en précisant qu’elle aura plaisir à aider sur toute autre question concernant le club, ce n’est pas pour y répondre pour autant. Qu’en est-il de ce cliché montrant un ovin sur la pelouse du centre d’entraînement ? Pourquoi ne pas avoir publié de communiqué contradictoire ? « Rien de plus à dire sur le sujet. » Bon. « Nier, c’est leur stratégie de communication, explique Thorniké Gordadzé, professeur à Sciences-Po Paris et ancien ministre d’État géorgien chargé de l’intégration européenne.Ne me faites pas dire que ça s’est passé, je n’affirme rien. Mais sur tous les réseaux sociaux, il y a eu cette nouvelle, c’était largement relayé. Personnellement, disons que cela ne m’étonnerait pas si cela avait eu lieu. En tout cas, c’est ce que les gens croient. »

À l’époque, le Dinamo est englué dans une série de mauvais résultats : éliminé de la Coupe d’Europe, incapable de gagner en championnat depuis quatre matchs… Octobre sonne, de même qu’une rencontre couperet à venir sur le terrain du Guria Lanchkuti. Certains membres du staff, répondant à une tradition bien caucasienne, décident de rompre le mauvais sort en utilisant la manière forte. Et comme il est coutume de le faire lorsqu’un membre de la famille est cloué au lit par la maladie ou que des malheurs s’abattent en chaîne sur un individu, une gorge de mouton est tranchée. Le geste n’est pas filmé, pas médiatisé, du moins le croient-ils. Car une photo filtre et le lendemain, un journal vend la mèche. « Cela a attiré énormément de réactions de la part des intellectuels et des gens issus d’une certaine couche sociale, se souvient Gordadzé, qui suit alors l’affaire depuis la France. C’était une réaction de moquerie, voire de mépris. Beaucoup de gens ont pris ça à la rigolade. » Loin de faire marrer tout le pays, la nouvelle fait le tour du comté et atterrit même sur l’ordinateur de Tornike Zurabashvili, rédacteur en chef du quotidien Civil Georgia Online. Contacté par mail, ce dernier affirme « ne pas savoir distinguer le vrai du faux » de l’histoire, mais confirme l’existence de la rumeur, non traitée par son canard centré sur la politique. Il invite toutefois à se tourner vers la trajectoire d’une autre équipe, le Shakhter Karangandy. Là, paraît-il, il y aurait à picorer.

Un sacrifice au Celtic Park

Le «  » se situe au Kazakhstan. Dans la quatrième ville du pays plus précisément, à Karaganda, une ancienne colonie pénitentiaire stalinienne mise en lumière par une chanson d’Hubert-Félix Thiéfaine sur son dernier disque, Stratégie de l’inespoir. Le 20 août 2013, le club de la ville reçoit le Celtic en match de barrage pour l’accession à la Ligue des champions. Au terme d’un match pauvre, infiniment pauvre, les Écossais s’inclinent à la surprise générale face à des Kazakhs survoltés. La raison invoquée ? La veille de la rencontre, l’équipe a égorgé un mouton sur sa pelouse. Le gardien Alexander Mokin explique à l’époque aux journalistes : « Nous avons pour tradition de sacrifier un mouton avant d’importantes échéances. Nous l’avons fait avant le début du championnat et avant le tour de qualifications de Ligue des champions. C’est une tradition qui a porté chance et qui nous aidera aussi cette fois. » Manque de pot, la PETA s’en mêle et envoie un courrier recommandé à Michel Platini à la tête de l’UEFA. L’institution met la main sur le dossier et répond publiquement juste avant le match retour, dans un communiqué : « Si certaines pratiques peuvent être enracinées culturellement, elles n’ont pas leur place dans une arène sportive. Dans ce contexte, je tiens à vous faire prendre conscience que l’abattage des animaux sur un terrain de football avant, pendant ou après un match de compétition UEFA est totalement inapproprié et ne sera pas toléré. »

Le tempérament des peuples de l’Est étant ce qu’il est, le coach kazakh Victor Kumykov enchaîne à son tour les provocations, bien décidé à zigouiller une bête à laine sur la pelouse du Celtic Park : « Chaque club a ses propres traditions et ses rituels d’avant-match, débute-t-il en conférence de presse. Le Celtic doit avoir les siens. Nous allons essayer de respecter nos traditions, qui étaient d’ailleurs là avant nous. Et puis, en Écosse, l’agriculture est très développée, on ne devrait pas avoir de mal à trouver un mouton. » Finalement repoussés dans leurs vingt-deux mètres, aucun abattage ne sera fait la veille de la rencontre… et le Celtic l’emportera 3-0 pour la qualification. Alors, maraboutés, les Cosaques ? Perturbés dans leur préparation, pour sûr. À vrai dire, cette prégnance de la religion dans les pays de l’Est date surtout de la chute du communisme au début des années 1990. Le début du « nouveau monde » entraîne paradoxalement à l’époque un retour vers les valeurs dominantes de l’ancien, dont le christianisme, proclamé religion officielle de Géorgie dès le IVe siècle. Gordadzé : « Les gens ont souvent l’habitude d’attendre des réponses toutes prêtes à leurs interrogations. Avant c’était le communisme, maintenant c’est l’église orthodoxe. C’est également à relier avec les failles du système éducatif, car les résultats de l’éducation nationale sont assez inquiétants. » Mais alors, pourquoi autant de foin pour un mouton ? Sûrement parce que l’affaire a confirmé l’influence de l’Église sur la société géorgienne, et les conflits d’intérêts qui vont avec.

« L’église ne veut pas gouverner directement, elle veut de l’influence. Et elle l’a déjà »

Semaine dernière : il fait chaud au pays de Katie Melua. Chaud et sec. Un incendie ravage des dizaines d’hectares dans les montagnes escarpées à l’Ouest de la capitale. Les membres de l’Église se rendent en masse sur place et débutent des journées de prières façon danse de la pluie. Et forcément, « au bout d’un moment, il a plu, poursuit l’ancien vice-ministre des Affaires étrangères. Ils ont voulu mettre ça dans leurs actifs. (Rires) » Sauf que comme d’habitude, une fois l’eau écoulée, les politiques commencent à barboter dedans. Car cadenassé par une Église infiltrée dans tous les pores de la société, le gouvernement lui offre annuellement des financements, des terres, des biens, et refuse de lui apporter la moindre opposition. « C’est mon avis personnel, mais les hommes politiques donnent un exemple très négatif en se soumettant eux-mêmes à l’église, et en allant prier publiquement devant les écrans de télévision par exemple, explique Thorniké Gordadzé. L’église ne veut pas gouverner directement, elle veut de l’influence. Et elle l’a déjà. » La religion contrôle donc la société et l’État, qui subventionne à tour de bras la Fédération de football – 86 millions d’euros attribués pour les prochaines années tout de même, un chiffre colossal – qui rend bien la pareille au sacré.

Allez donc demander à Klaus Toppmöller, coach allemand de la sélection géorgienne entre 2006 et 2008. Durant un rassemblement pendant le mois de Carême, les joueurs retenus du Dinamo refusent catégoriquement de s’alimenter en produits animaux. Il hallucine, débat et perd le combat. « Ça l’avait rendu fou. » Fous ou sains d’esprit, habités ou dépassés par des reliques païennes, les joueurs du Dinamo Tblissi détiennent en tout cas la clé du secret du mouton égorgé. Seule certitude : le sort avait décidé le lendemain d’arrêter de s’acharner sur la capitale. Une victoire 2-0 face au Guria Lanchkuti pour relancer la saison, éteindre temporairement les critiques, et donner assez de crédit à l’opération pour recommencer la prochaine fois. Enfin, si jamais elle a eu lieu un jour. Interdite, mais tolérée. Comme quoi, tout ne monde n’a pas le couteau sous la gorge.

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