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Coman, le gars mûr de Didier Deschamps
À 29 ans, Kingsley Coman est proche de valider sa soixantième sélection en équipe de France. Mais s’il ne sera qu’un joker que Deschamps n’hésitera pas à dégainer, lui ne demandera rien d’autre que du respect. Pour lui et pour le collectif.

La fidélité, le dévouement, l’altruisme, la patience. Toutes ces qualités, Kingsley Coman peut les afficher sans sourciller dans n’importe quel bilan personnel, en club comme en sélection. C’est après dix tours de soleil qu’il s’est résigné à quitter le Bayern Munich – alors qu’il se voyait bien y rester – pour cuire sous celui de la péninsule Arabique, avec les couleurs d’Al-Nassr. Le 13 novembre prochain, il repensera à sa première avec l’équipe de France, intervenue dix ans plus tôt. Personne n’aura la tête à fêter cet anniversaire, puisque tous les esprits seront occupés à commémorer les 125 victimes des attentats perpétrés au Bataclan, dans plusieurs bars et restaurants parisiens ainsi qu’au Stade de France, là où il avait fait son entrée en jeu à la 69e minute de ce France-Allemagne hors du temps.
Première convocation en A pour Kingsley Coman qui a déjà un palmarès bien fourni à seulement 19 ans ! #AllezLesBleus pic.twitter.com/eYxnhZvojW
— Equipe de France ⭐⭐ (@equipedefrance) November 6, 2015
Aujourd’hui, l’ailier n’a plus sa queue-de-rat à l’arrière du crâne, mais il a toujours son rond de serviette à Clairefontaine. À 29 ans et 59 capes au compteur, il serait même en droit de revendiquer un statut de cadre dans l’ossature de Didier Deschamps. Sauf que la réalité est tout autre : un homme ni du passé, ni du présent, ni du futur.
Le discours d’un King
C’est cette curiosité qui est au cœur de son interview publiée mercredi dans L’Équipe et, notamment, sa relation avec le boss des Bleus, mise à l’épreuve en 2024, après un championnat d’Europe à 15 minutes de jeu. « Après l’Euro, je n’étais pas le plus content, c’est vrai, confesse-t-il. J’avais besoin de parler avec le sélectionneur, de lui dire ce que j’avais sur le cœur. On n’a pas pu le faire pendant la compétition, car il n’avait pas le temps. Donc je suis resté avec une idée en tête. Mais le problème s’est réglé en se parlant. Il a compris ce que je pensais et j’ai compris son point de vue. »
Je ne souhaite surtout pas être un poids pour le coach. Il ne faut pas que la frustration prenne le dessus une fois dans le feu de l’action.
Cette année-là, pour la première fois depuis 2013, il n’avait pas été sacré champion national au printemps avec un de ses clubs, que ce soit le PSG, la Juventus ou le Bayern. Mais surtout, « King » était à nouveau empêtré dans des pépins physiques. « Je revenais de blessure. Le coach pensait que j’allais être apte et à fond tout de suite, alors que j’ai eu beaucoup de blessures et que je savais comment revenir. Je connais mon processus, raconte-t-il. On avait une vision différente. » Cette situation aurait pu devenir explosive avec plus d’un, mais qui a été appréhendée sans esclandre, à froid et dans le dialogue.
Ce témoignage remet en question la gestion des ressources humaines dans une sélection nationale. « Quand c’est ton premier Euro, que tu es jeune, ce n’est pas pareil. Là, c’était mon troisième. J’ai déjà vécu l’expérience, j’ai joué une finale d’Euro (en 2016, NDLR). Donc être là, ça ne change pas ma vie, développe le gamin de Moissy-Cramayel. Avec l’expérience, je préfère que le cadre soit défini avant une compétition. Je ne souhaite surtout pas être un poids pour le coach. Il ne faut pas que la frustration prenne le dessus une fois dans le feu de l’action. » Une manière d’étaler ses états d’âme, sans qu’on puisse associer cette sortie à des pleurnicheries ou des revendications.
Non, dans ces paroles transpire une forme de sagesse et de pondération, dont nous ont assez rarement gratifiés les footballeurs. Au même titre que ses accélérations fulgurantes, c’est en ça que Kingsley Coman est un joueur rare, sachant où placer l’ego et les limites du respect : « Je pense toujours à l’équipe. Je sais quel joueur je suis, ce que je mérite, mais je ne vais jamais me mettre en avant par rapport à l’équipe. »
La conscience du professionnel
On serait tenté de dire que l’équipe de France aurait tort de ne pas profiter d’un garçon comme lui. Appelé en septembre pour dépanner après les blessures d’Ousmane Dembélé et de Désiré Doué, et entré en jeu contre l’Islande, il avait encore une fois montré son utilité pour fissurer des blocs et faire danser les stoppeurs. Un mois plus tard, il est à nouveau convoqué sans se bercer dans l’illusion de boucler enfin son premier match complet avec l’EDF. « C’est peut-être plus facile de me sortir, sous-entendu par rapport à d’autres joueurs. Je ne pose pas de problème. » Qu’on lui octroie 10, 30 ou 75 minutes de jeu, il s’appliquera de la même manière. Il en a conscience : cette partition du temps peut être bénéfique à tous, à un coéquipier qui peut faire ses preuves, comme à lui. « Je sais aussi qu’il faut parfois me gérer, car avec mon explosivité, il faut savoir accepter de ne pas toujours jouer pour être à fond. » Le gars se connaît et connaît les rouages d’un collectif.
Je préfère même ne pas faire une Coupe du monde pour laisser la place à un jeune si c’est pour venir et ne rien faire.
Quand tous les titulaires seront sortis de l’infirmerie, rien ne dit qu’il sera dans les 23 ou 26. Lui-même n’en demande pas tant. « Je préfère même ne pas faire une Coupe du monde pour laisser la place à un jeune si c’est pour venir et ne rien faire. » Tout le monde s’accorde, lui compris, sur le fait qu’il lui manque quelques matchs références dans de grandes compétitions pour être une évidence.
Alors, pourquoi insister avec Coman en 2025 ? Parce qu’ils ne sont pas si nombreux à avoir une telle lucidité sur leur carrière et sur eux-mêmes. Parce qu’il reste malgré son déménagement à Riyad, n’en déplaise à certains, un sacré joueur. Parce que, qui sait, dans une Coupe du monde à 48 pays, avoir des éléments qui viennent de jouer des matchs de Coupe d’Asie contre des équipes tadjikes ou irakiennes peut servir. Parce que dans ce renouvellement générationnel, il peut être un point d’équilibre entre les habitués de Deschamps (ce qu’il est), les wonderkid en pleine effervescence (ce qu’il a été), et les anciens qui reviennent ou attendent de revenir (ce qu’il a pu être ou sera). Parce qu’il connaît le goût de la victoire avec ses clubs : avec 27 titres collectifs en carrière, il est le deuxième plus gros palmarès du foot français derrière Karim Benzema (34) – tiens, tiens, un autre exilé en Arabie saoudite à la trajectoire internationale cabossée. Parce qu’il mérite maintenant de goûter à un titre international. Parce qu’enfin, s’il fait tout ça, c’est justement pour « les célébrations collectives, les moments à partager ce qu’il y a de plus beau pour moi ». Alors Didier : garde le dialogue avec Kingsley.
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