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Marouane Chamakh : « Je n’ai jamais eu une connexion comme avec Gourcuff »

Propos recueillis par Jérémie Baron et Rayane Amarsy, à Casablanca
25 minutes

Il est 0h50 lorsque Marouane Chamakh, 41 ans, encore dégoulinant de sa session de padel, débarque en trombe à la réception de l’hôtel Gauthier de Casablanca, se confondant en excuses pour son retard. Vivant aujourd’hui « en autarcie » dans son pays d’origine du côté de Marrakech, la légende des Girondins se fait discrète, depuis l’annonce de sa retraite en 2019. Notre entretien s’éternisera ainsi jusqu’au petit matin, le temps de se livrer sur cette carrière mythique et les petites histoires qui l’ont émaillée. Du titre de 2009 aux déboires en Angleterre. De Yoann Gourcuff à Jean Lassalle en passant par Arsène Wenger, Bobo Baldé, Sam Allardyce ou Jean-François Larios.

Marouane Chamakh : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>Je n&rsquo;ai jamais eu une connexion comme avec Gourcuff<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

Tu t’es fait discret, depuis l’annonce de ta retraite en 2019.

C’est peut-être dans ma nature de ne pas être attiré par la caméra. En sept ou huit ans, j’ai pu passer énormément de temps avec mes filles, j’ai priorisé un peu la vie familiale. J’ai une fille autiste sévère (âgée de 9 ans, NDLR), elle ne parle pas encore, donc c’est compliqué. Je l’ai toujours dit : pour moi, jouer au football était incompatible avec une vie de famille. J’ai eu beaucoup de pression depuis l’âge de 19-20 ans au Maroc. Pour ma première CAN en 2004, on a fait finale. C’est de la bonne pression, mais surtout, j’ai vécu des choses beaucoup plus graves, ce qui fait que j’arrive à relativiser.

Tu as notamment perdu ton petit frère, lorsque tu étais encore jeune.

Exactement, ça y a contribué. Ça m’a rendu costaud parce qu’il y a la perte, et aussi ce qui a suivi. On était restés un peu tout seuls en France avec mes frères (il a grandi à Aiguillon, dans le Lot-et-Garonne, NDLR), parce que mes parents étaient obligés de partir l’enterrer au Maroc. Cette période, franchement, ça m’a bien endurci.

Certains sont tombés amoureux des Girondins avec notre titre de 2009, moi c’était en 1999.

Marouane Chamakh

Tu supportais déjà Bordeaux, avant d’en intégrer le centre ?

C’était mon équipe préférée quand j’étais jeune. J’ai commencé à apprécier les Girondins à l’époque de Zizou, Duga, 1996. Le titre de 1999, c’est ce qui m’a rendu encore plus fou des Girondins. Ils ramènent ce titre à la dernière journée, avec Pascal Feindouno. Je me souviens du match, j’étais dans un bar du village chez moi. Ce match était fou. Certains sont tombés amoureux des Girondins avec notre titre de 2009, moi c’était en 1999. Quand je signe aux Girondins, c’est un choix du cœur, car j’avais l’opportunité d’aller à Lens, Lorient, Toulouse, Sochaux, plein de clubs.

Il y avait qui à Bordeaux, dans ta génération ?

Rio Mavuba, on a passé énormément de soirées et de nuits blanches ensemble, au centre de formation. Il y avait Fabien Farnolle, Benoît Trémoulinas, Mathieu Valbuena. Et aussi Juan-Pablo Francia, un Argentin. Il n’a pas fait beaucoup de temps avec nous. Après, il a fui, il a vécu un cambriolage un peu difficile et il a été traumatisé. C’est un mec avec qui j’ai été formé, super joueur, ça devait devenir un phénomène. Il s’est barré du jour au lendemain, on n’a rien compris.

Tu as côtoyé pas mal d’attaquants de renom à Bordeaux. Lequel t’a fait la plus forte impression ?

Pauleta, à l’époque aux Girondins, c’était un truc de fou. J’avais le même poste que lui. Il me donnait énormément de conseils, et putain, ça m’a beaucoup changé. J’ai vraiment apprécié l’homme en plus du joueur. Je ne comprenais pas parce qu’il faisait des contrôles orientés, il tirait, ça rentrait direct. Mais comment tu vois le but qui est derrière toi ? Il me dit : « Quand je suis de dos, je regarde le but d’en face (Chamakh montre la direction avec sa main) et je me repère comme ça pour savoir où est l’autre. Tu n’as pas besoin de regarder le but, tu te retournes et tu tires. » Il y a beaucoup de détails comme celui-là que j’ai intégrés, et je sais que ça vient de lui. Je le vois encore souvent, on parle de cette Coupe du monde 2030 qu’on aura en commun avec le Portugal et l’Espagne.

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On voulait te montrer une vidéo (voir ci-dessus). Qu’est-ce que tu peux nous dire dessus ?

J’étais jeune ! Je rentre dix minutes plus tôt, en plus. En fait, l’année d’avant, il n’y a pas encore ce règlement. Sur mes premiers buts, j’enlevais à chaque fois mon maillot. Je mettais parfois des mots pour le Maroc, ma maman ou ma famille, mais entre le moment où je l’écrivais et celui où je marquais, le truc avait pris l’eau, le message s’était effacé. Mais c’était sympa parce que tu avais le droit, à l’époque. Je ne l’ai pas refait une deuxième fois. Ça m’a servi de leçon.

Les coiffeurs au Maroc me disaient que les gens demandaient “la coupe à la Chamakh”.

Marouane Chamakh

Comment tu définirais ton style de jeu ?

Je ne sais pas comment le définir. Quand j’étais jeune, je ne demandais pas le ballon en profondeur, je demandais dans les pieds. Le coach n’avait pas besoin de me dire que j’étais le premier défenseur, j’étais un joueur qui donnait tout sur le terrain. Je ne marquais pas beaucoup, mais si les coachs me mettaient titulaire, c’est que je devais être utile d’une autre manière. Je suis bon de la tête, je garde bien le ballon, c’étaient mes premières qualités. On pouvait mettre sur moi et surtout compter sur moi. Je sais qu’en sélection, Youss’ (Hadji) et d’autres appréciaient de jouer avec moi. Peut-être parce que je n’avais pas uniquement l’objectif de marquer, je voulais déjà gagner, que tout le monde soit heureux et après si je pouvais marquer, j’étais content. À Bordeaux, Laurent Blanc m’a dit qu’il fallait que j’aie plus de stats, donc j’ai essayé de forcer ma nature pour changer ça. Et ça a été le cas, mais je ne pouvais pas tout changer. J’étais plus dans la complémentarité, et ça m’allait comme ça.

Les cheveux gominés, ça aide pour le jeu de tête ?

Au contraire, ça m’a dérangé parce que parfois, j’avais un peu de gel qui tombait et ça me brûlait les yeux. C’est vrai qu’à l’époque, je faisais des coupes un peu bizarres, et ça arrivait jusqu’au Maroc. Les coiffeurs me disaient que les gens demandaient « la coupe à la Chamakh ». Il y a 15 ans, il n’y avait pas un coiffeur qui ne me le disait pas. C’était juste n’importe quoi ici.

Soigner ton look, c’est quelque chose que tu aimais bien.

Ouais, au départ j’aimais bien. Après, ça m’est resté collé, j’ai beaucoup été chambré. C’est quelque chose que j’accepte.

Quand as-tu découvert que tu avais un bon jeu de tête ?

Je ne l’ai jamais travaillé en jeunes, c’est arrivé sur le tard, entre la réserve et les pros. C’est quelque chose que je maîtrisais, sans savoir d’où ça venait. C’est une histoire de timing, dans ton saut. Ça, c’était mon domaine. J’ai marqué beaucoup de buts de la tête. Parfois, je ne sais même pas comment j’ai fait parce qu’à l’époque, c’était dur dans les 16 mètres. Tu te faisais tirer, griffer, c’était incroyable. Avant la VAR, les défenseurs nous marchaient sur les pieds, ils nous faisaient la misère et malgré ça, on essayait de se faire une petite place pour marquer. Les défenseurs costauds, quand ils mettent le bras, tu le sens ! Maintenant il y a la VAR, c’est mieux.

Avec Cris, on s’est fait la guerre pendant deux ou trois ans. Je sortais des matchs contre Lyon avec des griffures, des bleus…

Tu rendais les coups ?

Bien sûr. Avec Cris, on s’est fait la guerre pendant deux ou trois ans. En dehors du terrain, on s’appréciait. J’apprécie l’homme, j’apprécie le personnage. Mais il y a eu quatre ou cinq matchs, entre 2008 et 2010 (sept en réalité, NDLR)… Sur le terrain, on se donnait des coups de coude à fond. Parfois, je sortais des matchs contre Lyon comme si je m’étais battu, avec des griffures, des bleus… C’étaient des vrais combats, et j’en garderai un bon souvenir parce que j’aimais. Et lui m’appréciait dans mon combat. On se poussait, on se marchait sur les pieds… Il me faisait la misère et j’essayais de lui rendre. J’aimais bien jouer contre Lyon parce que je savais que ça allait être dur, tendu. Moi, j’avais quelque chose à prouver avec Cris, lui avait quelque chose à prouver avec moi. Il y avait aussi ce putain de Hugo Lloris qui arrêtait tout.

Tu as connu ça avec d’autres défenseurs ?

Ouais, souvent. Les défenseurs d’aujourd’hui, ce ne sont pas les défenseurs que j’ai connus. Souleymane Diawara, Bobo Baldé… Lui, quand je l’ai joué face à la Guinée, il aurait dû prendre de la prison ferme. C’était compliqué. J’étais maigre, j’étais prêt à mettre la tête là où les gens ne mettaient pas le pied. Quand je sortais d’un match avec lui, laisse tomber. Il y avait aussi Hilton. Il était à Bastia, il m’avait surpris parce que je me demandais d’où il sortait. Il n’était pas encore connu. Il anticipait tout, il m’impressionnait beaucoup par son intelligence. Jean-Louis Gasset est venu me voir à la mi-temps, il me dit « Marouane, t’en as pas marre d’insister avec lui ? Tu vois pas que tu passeras jamais ? Essaie de l’oublier et va ailleurs. » Je suis allé ailleurs et on a gagné le match 2-0.

Pour revenir sur l’OL, c’est vous qui avez brisé cette hégémonie.

On est bien contents, ouais ! On a enchaîné les victoires, c’était pratiquement irrationnel. Le match à Rennes (but de la victoire signé Yoann Gourcuff à la 90e+3, lors de la 33e journée), celui à Monaco (victoire 3-4 après avoir été mené 3-0, deux réalisations et une passe décisive de Chamakh)… plein de matchs. Même si on prenait beaucoup de buts, c’était beau à voir jouer.

La première fois que vous accédez à la première place, c’est à la 36e journée. C’était vraiment un objectif avant le début de saison, le titre ?

Au début de saison, on se dit qu’il faut aller jouer le titre, on ne se cache pas. Les six premiers mois, ça ne se passe pas aussi bien qu’on le voulait. Mais à la fin, on était pratiquement une machine inarrêtable. Avoir remporté ce titre face aux Lyon et Marseille de l’époque, c’était un truc de fou. Après, Deschamps est arrivé à l’OM, et ça a été compliqué.

Pour Gourcuff, le football était beaucoup plus qu’une passion. C’est quelque chose qui lui tenait à coeur et qui le prenait émotionnellement, contrairement à moi.

On se souvient tous de ta relation avec Yoann Gourcuff. Quand il arrive à l’été 2008, tu sens qu’il va se passer quelque chose ?

Personne ne s’attend à ce que ça prenne cette ampleur. Ça ne se passait pas très bien pour lui à Milan, il vient à Bordeaux et là, il y a quelque chose qui se passe chez lui, et c’est peut-être un peu contagieux. Il amène quelque chose, et nous, derrière, on suit. C’est vrai que c’est une personne un peu introvertie, mais sur le terrain, il était clairvoyant. J’avais un peu connu Johan Micoud juste avant, ça se passait déjà très bien dans le jeu. C’était dommage, parce qu’au moment où je commençais à super bien m’entendre avec lui, il ne prolonge pas. Gourcuff, c’était pratiquement dans le même style que Johan, mais beaucoup plus frais, beaucoup plus jeune et avec une motivation incroyable. C’est une connexion que je n’ai jamais eue avec d’autres joueurs. C’est devenu plus qu’un ami. Pour lui, le football était beaucoup plus qu’une passion. C’est quelque chose qui lui tenait à cœur et qui le prenait émotionnellement, contrairement à moi. Quand on perdait, que je jouais mal, je m’en foutais. J’arrivais à relativiser. La pression, le stress, ça me touche beaucoup moins.

Tu te souviens de votre triple une-deux contre Rennes ?

Je m’en souviens très bien. Je dois la mettre ! Il y a plein d’actions avec lui qui me reviennent. C’est ça qui était bien avec Yoann, que ce soit dans les petits espaces, très éloignés, sur des centres : les yeux fermés, on pouvait se trouver. C’est quelqu’un qui pue le football et moi aussi, j’aime ces jeux de passes. Même si la finition, ça n’est pas mon plus gros point fort.

La saison suivante, vous vous écroulez à partir du mois d’avril.

C’est ce match de Coupe de la Ligue qui nous a cassés psychologiquement, avec cet enfoiré de Souley qui marque contre nous. Le samedi, on perd contre Marseille, et trois jours plus tard, il y a la Ligue des champions. Laurent Blanc hésite beaucoup pour savoir s’il va nous mettre titulaire sur la finale ou s’il va faire tourner. Il décide de mettre l’équipe, on ne prend pas le titre. Trois jours après, on perd contre Lyon (3-1 à Gerland), dans un match qui est discutable. Le retour aussi, on doit le gagner (Bordeaux l’emporte 1-0, en vérité, mais est éliminé, NDLR), parce que franchement, on a pratiquement fait le match parfait. On perd contre des équipes à notre portée. On était un peu fatigué aussi. Peut-être que le groupe n’était pas assez étoffé, il fallait faire tourner. Le parcours en Ligue des champions, il était exceptionnel. On s’arrête en quarts, mais je pense qu’on peut aller plus loin. À l’aller, on a la balle du 2-2, mais Lloris nous fait des arrêts… Il y a des buts que j’ai inscrits qui ne m’ont pas marqué, mais ses arrêts me hantent encore. Wendel, Gouffran, moi… Hugo Lloris les a qualifiés à lui tout seul, pratiquement. Quand on regarde le parcours, c’est sûr, c’est un peu rageant. En plus, j’ai marqué beaucoup de buts.

Il y a des buts que j’ai inscrits qui ne m’ont pas marqué, mais les arrêts de Lloris me hantent encore.

Marouane Chamakh

Tu marquais souvent dans les dernières minutes.

C’était bizarre parce que je me sentais beaucoup mieux à la fin. Au début, je galérais physiquement, et à la fin, je n’avais même plus envie de m’arrêter. Je donnais tout ce que j’avais. Parfois, je rentrais chez moi et je n’arrivais même plus à marcher. J’étais cabossé de partout, mais on avait des bons kinés pour nous remettre en place le lendemain. Me donner à fond, c’est dans ma nature. Le jour où j’ai perdu cette motivation, je ne pouvais pas faire semblant. C’est pour ça que j’ai arrêté tôt. Quand je rentre sur le terrain, je me dis toujours que c’est une chance pour moi. J’arrive d’un village de 4 000 habitants, je réalise mes rêves de jouer aux Girondins, à Arsenal, en équipe du Maroc. Je ne peux pas demander plus.

C’était quoi, le secret de cette équipe de Bordeaux ?

C’est cette alchimie qu’on a créée. Après, ça a mal fini parce que bon, il y a eu le départ de Laurent Blanc en équipe de France, moi je devenais libre, des trucs en interne qui ont joué. Avant tout ça, rien ne pouvait nous empêcher de gagner. Ce que j’aimais bien avec Laurent Blanc, c’est qu’il subissait des coups de pression au-dessus, mais il me disait : « Ne t’inquiète pas, tant que t’es bon, tu joueras. » C’est quelqu’un qui aura toujours mon respect. Laurent Blanc et Arsène Wenger, ce sont les deux coachs qui m’ont marqué.

Ce départ libre, c’est le seul petit bémol de ton passage à Bordeaux.

Les supporters ne sont peut-être pas au courant des tenants et des aboutissants. À la base, j’étais prêt à prolonger. C’est la façon dont ils ont voulu me prolonger que je n’ai pas appréciée. Au moment où on gagne le titre, on commence les échanges avec Arsène, qui perdait Adebayor à l’époque. En fait, il y avait un antécédent avec Triaud, car Wiltord avait fait grève pour passer de Bordeaux à Arsenal (en 2000). Notre président, il l’avait comme ça. (Il pince sa gorge.) Je me retrouve au milieu de quelque chose dont je n’étais pas au courant. Je suis un dommage collatéral de tout ça. Donc il ne me laisse pas partir à Arsenal et je me concentre sur les Girondins. Il y avait une offre autour des 9-10 millions d’euros à un an de la fin de mon contrat, c’était raisonnable. Je lui dis qu’avec le titre, c’est peut-être le moment de partir, il me dit que non car il y a la Ligue des champions. Ça n’est pas une question d’argent, mais de vouloir partir sur une bonne note. J’avais un agent. Le président avait promis, je crois, 1,8 million d’euros à celui qui arriverait à me faire prolonger. Il y a des gens comme (Jean-François) Larios qui étaient venus me menacer.

Larios m’appelait à 3-4 heures du matin tous les jours pour que je prolonge, mais il était peut-être sous substances.

Marouane Chamakh

Comment ça ?

Il m’appelait à 3-4 heures du matin tous les jours pour que je prolonge. Alors que ça n’était pas mon agent, mais il était peut-être sous substances. Au bout de deux ou trois semaines, je l’ai dit à Gasset, il a passé un coup de fil, et derrière c’était fini. Et il n’y a pas que ça, il y a plein de choses qui ont fait que je devais partir. Je suis peut-être gentil, mais je ne suis pas con. J’aurais pu jouer avec le frein à main (lors de sa dernière saison), mais j’ai tout donné pour essayer de partir sur une bonne note. Ça ne s’est pas passé comme prévu sur l’indemnité versée aux Girondins. Moi, j’avais tout fait pour que ça se passe bien.

Tu avais vraiment ce souhait de rejoindre Arsenal.

Une fois que j’ai confirmé aux Girondins, c’était tout pour la Premier League. J’avais l’opportunité de rejoindre mon club préféré, même si c’était celui qui me faisait la moins bonne offre. J’avais des offres en Italie, en Russie, avec des primes à 12 millions d’euros. J’ai pratiquement tout refusé parce que c’était une conviction, que je sois titulaire ou pas. À l’époque, Arsenal était connu pour ne pas offrir de gros salaires. Liverpool me proposait quasiment deux fois plus.

Il vient d’où, ton amour pour Arsenal ? La période des Invincibles ?

Exactement. C’était bien sûr Arsène, Thierry Henry, Wiltord, Pirès, Vieira, Bergkamp. C’était une équipe de fous à l’époque. Et depuis ça, je suis resté un Gunner. (Sourire.)

Quand tu arrives là-bas, tu sens que tu grimpes d’un step ?

Bien sûr. Il y avait Van Persie et un Danois, comment il s’appelait putain ? (On lui souffle Nicklas Bendtner.) Voilà, donc j’allais me battre avec eux. J’ai eu la confiance du coach, donc ça s’est très bien passé. Au début en tout cas. J’ai eu beaucoup de réussite à mon arrivée. Samir Nasri m’a pris sous son aile, c’est là que notre amitié s’est créée. On est plus que des frères, même s’il nous a quittés un an après, cet enculé est parti pour City. Mais il habitait toujours à Londres, il faisait des allers-retours en train. On se voyait souvent.

S’il n’y avait pas eu Robin van Persie, tu penses que tu te serais imposé à Arsenal ?

Déjà, s’il n’y avait pas eu Robin van Persie, je pense qu’Arsène aurait recruté un autre joueur. Parce que dans ce profil, Robin était beaucoup plus fort que moi. C’est quelque chose que j’ai toujours accepté, je ne suis pas fou. Je ne pouvais pas me permettre d’aller voir Arsène et de dire : « Je dois jouer à la place de Robin. » Moi, ce que je voulais, c’était d’avoir beaucoup plus de temps de jeu. Jamais je n’ai essayé de me comparer à lui, parce qu’on avait un jeu différent, et lui était un joueur de classe mondiale. Il a quelque chose de spécial, Robin. J’en ai profité quand il n’était pas là (gêné par les blessures, Van Persie n’a connu qu’une seule titularisation avant décembre), et quand il est revenu, il a marché sur l’eau pendant un an et demi et il a pris le trophée de meilleur joueur de Premier League (en 2012). Je relativise comme ça. Je suis resté trois saisons à Arsenal, j’ai réalisé mon rêve, marqué quelques buts. C’est quelque chose qui restera, dans ma vie. Je finis sur un match de référence contre Reading (victoire 5-7). Ce match, il nous a fait perdre la tête. C’est un match mémorable, pour le club et aussi pour moi, parce que je marque deux buts et je m’en vais un mois après.

Elle était comment, ta relation avec Robin ?

C’était super d’entrée. Bon, il est néerlandais, il a un caractère un peu spécial, mais je m’entendais super bien avec lui. Je ne pouvais qu’être spectateur et applaudir. Ça marchait très bien, parce que sa femme est d’origine marocaine. J’étais surpris parce que quand je suis arrivé, il m’a parlé en marocain. Podolski, pareil, je me dis : « C’est quoi ce truc de fou ? » Il parlait mieux que moi. Après, j’ai appris que sa femme était marocaine et qu’il avait grandi dans un entourage marocain.

Et ta relation avec Wenger, elle s’est détériorée sur la fin ?

Oui, beaucoup, parce qu’il n’y avait plus de communication. De manière générale, je ne suis pas là pour me faire ami avec le coach. C’est sa femme qui m’appréciait beaucoup en dehors, je m’en souviens. Ce que je demandais, c’est de jouer un peu plus, je ne lui demandais pas de changer de tactique. On est rentrés dans un dialogue de sourd. J’étais patient, mais avec le meilleur joueur de Premier League à côté, je n’avais pas les arguments. Ça s’est quand même terminé sur une bonne note. Au moment où Crystal Palace me veut, je fais tout pour aller là-bas parce que je voulais vraiment rester à Londres. Mais c’était compliqué avec le directeur sportif d’Arsenal et quand j’ai appelé Arsène, il a réglé la situation en cinq minutes. Il voulait me faire plaisir, il avait compris que c’était ce qu’il me devait. C’était un super coach, un érudit. On s’entraînait sur une pelouse spéciale le vendredi : la même pelouse qu’à l’Emirates, avec les mêmes distances, au détail près. Il ne néglige rien. Avec Arsène, tu apprends beaucoup sur la tactique.

J’étais blessé et le président voulait que je vienne assister à la finale de Cup. Je lui dis : “Qu’est-ce que j’en ai à foutre ?” J’avais prévu de partir à Cuba avec mes beaux-parents.

C’est son management que tu déplores ?

Quand il faut prendre une décision, il va peut-être enlever la personne qui lui posera le moins de problèmes. Énormément de joueurs me disaient : « Pourquoi tu ne joues pas ? Pourquoi t’es pas dans le groupe ? » Samir, Abou (Diaby), tout le monde. Je ne comprenais pas moi-même. Mais c’est le football. Aujourd’hui, si je devais signer pour la moitié de la carrière que j’ai faite, je le ferais. Même toute une carrière en Ligue 2, je signe demain. Mon plus grand regret, ce n’est pas de ne pas avoir fait de Coupe du monde, mais de ne pas avoir fait de CAN au Maroc. Je voulais finir en beauté en 2015, pour boucler la boucle. Mais finalement, on ne la fait pas à cause d’Ebola (n’ayant pas obtenu le report de la compétition, le pays avait renoncé à l’organiser, en raison de l’épidémie). Je vous jure, c’est sûr qu’on l’aurait gagnée.

Durant ton passage en Angleterre, il y a aussi eu West Ham.

Je me fais prêter de janvier à mai, mais je prends la plus grosse carotte de l’histoire, par Sam Allardyce, qui d’ailleurs s’était fait virer quand il était sélectionneur, parce qu’il avait fait des magouilles. Moi, il m’a niqué. Je ne voulais pas parler parce que j’aurais pu tuer sa carrière. Il m’appelle tout le mois de décembre, pratiquement tous les jours, pour me dire qu’il me veut en prêt parce qu’Andy Carroll s’est blessé. J’arrive là-bas, je joue un ou deux matchs, et après, c’est à peine s’il me parle. Il m’avait dit qu’Andy Carroll serait absent trois ou quatre mois, et il revient au bout de trois semaines. C’était irrationnel. Ce mec m’a dégoûté du football. Tant mieux qu’il ne soit plus dans le milieu du foot. Alou Diarra m’avait dit avant d’arriver : « Attention, entre ce qu’ils disent et ce qu’ils font, il y a un gros fossé. » Si je l’avais écouté, j’aurais peut-être fait un autre choix.

Ça s’est mieux passé pour toi à Crystal Palace.

Je découvre un Londres différent, populaire. C’était un club un peu plus relax, qui me ressemble plus. Le challenge du président, c’était de se maintenir deux fois d’affilée, ce que le club n’avait jamais fait. Et on l’a tenu. On nous appelait l’équipe de légende. Il a fallu se battre pour la survie, c’était ça tous les jours. On était une équipe casse-couille à jouer, et moi j’appréciais ça. C’est nous qui enlevons le titre à Liverpool. J’ai toujours connu des équipes avec le ballon, haut de tableau, où c’était à l’adversaire de jouer par rapport à nous. Là, c’était le contraire. Dès le lundi, on faisait de la vidéo pour savoir comment les bloquer. Parce qu’on était conscients qu’on leur était inférieurs. Dans le jeu, il me mettait un peu plus en retrait, pour essayer de faire le relais avec les milieux. Je pars sur la finale de FA Cup, même si je refuse d’être dans le groupe. J’étais blessé, et le président voulait que je vienne assister à la finale, je lui dis : « Qu’est-ce que j’en ai à foutre, fais plaisir à un jeune, mets-le dans le groupe. » Je ne savais pas qu’on irait en finale, j’avais prévu de partir à Cuba avec ma famille et mes beaux-parents.

J’ai regretté, parce que ce n’était pas moi. Mais c’était la meilleure façon de se faire respecter.

Au sujet de sa baston avec son coéquipier Dean Moxey, à Crystal Palace

Comment s’est passée ton intégration là-bas ?

L’un de mes premiers matchs, c’est à Southampton, et je m’en souviendrai toute ma vie parce que ce jour-là, je me bats avec un coéquipier. Un mec qui s’appelle Moxey, latéral gauche (Dean Moxey, également passé par Derby County et Bolton, NDLR). Pendant le match, il ne fait que mal me parler, il dit que je ne défends pas. Au bout de 20-25 minutes, je ne suis même plus dans mon match. À chaque fois que je descends, je m’embrouille avec lui. À la mi-temps, je vois rouge. Je l’attends, bagarre, on nous sépare. Même Pochettino (alors coach adverse, NDLR) était venu, tout le monde. J’ai regretté, parce que ce n’était pas moi. Mais c’était la meilleure façon de se faire respecter. Le coach me dit : « Viens te battre avec moi, laisse-le. » Mais je ne vais pas me battre avec toi ! Je crois qu’il va me sortir, mais en fait il me laisse dans le match. Je m’en suis sorti avec une amende. Je ne me serais jamais imaginé me battre et je n’ai plus jamais eu à le faire. Quand j’ai commencé, aux Girondins de Bordeaux, j’ai vu Dugarry et (Eduardo) Costa se battre, j’avais jamais vu ça de ma vie, j’en tremblais. Et je me suis retrouvé acteur en 2014. Mais derrière, j’ai tout donné, on s’est maintenus, et on voit où ils en sont aujourd’hui, c’est juste exceptionnel.

En 2010, tu t’es engagé en politique.

C’est mon plus gros regret. D’ailleurs, c’était le parti de François Bayrou… Vous voulez que je vous raconte ? Quand j’étais à Bordeaux, j’ai fait la connaissance d’Alain Cazabonne, qui est aujourd’hui sénateur d’ailleurs. On a créé une amitié entre 2004 et 2009. Là, il y a les régionales. Moi, je m’intéressais à la politique. Mais c’était impossible de soutenir un candidat, parce qu’il n’y a que des mythos. Je ne voulais pas être leur marionnette. Alain Cazabonne me dit : « Fais un repas avec Jean Lassalle, et tu verras. » Je ne le connaissais ni d’Adam ni d’Ève, mais je fais un repas avec lui. Le mec, il m’assassine. Il était trop naturel. Un mec qui pourrait donner sa vie pour la cause. Vraiment un campagnard comme moi. Après le restau, je dis à Jean Lassalle : « C’est bon, tu peux me mettre dans ta liste. » Je n’étais pas éligible, parce que je signe à Arsenal. Il me dit qu’il y a une conférence de presse le lendemain, je lui dis ok. Je ne savais pas que j’étais si important que ça. C’est une décision après un repas auquel on m’a forcé à aller, moi je ne voulais pas me mettre dedans. Mais l’homme est juste exceptionnel. On fait la conférence de presse, je rentre le soir même, et je vois ma tête sur iTélé avec un bandeau rouge, je fais la une partout… je me demande dans quoi je me suis mis. Je reviens à l’entraînement, le président me dit : « Ne te mélange pas. » Moi, je ne savais pas, je lui ai dit : « Écoute, Jean Lassalle, c’est un super mec, il m’a l’air différent des autres. » Il m’a dit : « Non, franchement essaie de l’éviter. » Je suis quand même resté dans sa liste, et on a fait un bon score.

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Tu regrettes ?

Ce que j’ai regretté, c’est l’ampleur. C’est là où je me suis dit que la politique, c’était un jeu dangereux. Depuis, je n’ai plus refait ça, déjà parce que je n’ai pas rencontré quelqu’un d’aussi bien que Jean Lassalle, qui a vraiment des convictions et qui est prêt à mourir pour ça. Ça n’est pas possible de ne pas le suivre.

Tu regardes encore les matchs des Girondins ?

Pas cette année. C’est de la torture, ce qu’ils ont fait au club. Il faut accepter, de toute façon on n’a plus le choix, on est dos au mur. Avant, je faisais souvent des allers-retours pour aller voir Bordeaux. Même en Ligue 2, j’avais fait les trois ou quatre derniers matchs de la saison.

Ça te ferait kiffer, de coacher un jour Bordeaux ?

Ouais. C’est ce qui va arriver de toute façon, dans le futur. En fait, mon objectif, c’était d’un jour entraîner les Girondins, mais là… Pourquoi pas commencer par un club ici au Maroc, pour la pratique. J’en ai parlé avec un coach d’un club du coin, pour la pratique, après intégrer petit à petit la fédération. Je passe mon diplôme B, bientôt le A à valider et une fois que je l’aurai, on verra ce qu’on fera. Aujourd’hui, j’ai aussi quelques business : un restaurant, un peu dans l’immobilier, dans l’agriculture, j’ai un call center. Mon rêve, c’est d’être président, prendre un club. Ça arrivera dans le futur. Bordeaux, c’était un objectif, mais je vais les laisser se reconstruire, déjà.

Un nouveau France-Maroc en demi-finales de Coupe du monde !

Propos recueillis par Jérémie Baron et Rayane Amarsy, à Casablanca

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