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Coupe du monde à 48 : un tournoi inclusif, vraiment ?

Par Mathis Blineau-Choëmet
8 minutes

Avec sa nouvelle formule à 48, la FIFA cherche à rendre sa compétition accessible aux petites nations du football. Mais derrière cette réforme aux allures d’inclusivité, surtout motivée par des enjeux financiers, de nombreux pays confrontés à des crises politiques, sécuritaires ou économiques restent toujours exclus. À l’instar de l’Érythrée, forfaite ce mercredi face au Maroc.

Coupe du monde à 48 : un tournoi inclusif, vraiment ?

Dans le quartier Tiravolo d’Asmara, les enfants érythréens tapent le ballon entre les maisons à l’architecture héritée de l’époque coloniale italienne. Contrairement à la majorité des jeunes footeux du globe, ces kids n’osent même pas penser qu’ils porteront un jour les couleurs de leur pays à la Coupe du monde, ni même en qualifications. D’ailleurs, aucun d’entre eux n’a chanté à la gloire de l’équipe nationale lors des éliminatoires du Mondial 2026 ce mercredi. À la suite du forfait de la sélection acté en novembre 2023 par le pouvoir en place, le match de gala contre le Maroc qui devait se disputer ce 8 octobre au stade Cicero a été annulé.

Un triste rappel que, malgré une formule élargie à 48 équipes censée ouvrir les portes du tournoi aux petites nations, certains pays n’ont toujours pas la chance d’entrevoir la Coupe du monde. Pas même dans les rêves les plus fous des Red Sea Boys, surnom d’une équipe qui paye les folies du dirigeant de son pays, Isaias Afwerki. Passé de héros de l’indépendance en 1991 après le départ des Éthiopiens à dictateur féroce, « le Kim Jong-un africain », à la tête du pays depuis 34 ans, aurait fait pression sur la Fédération érythréenne de football pour qu’elle se retire des éliminatoires de la zone africaine en octobre 2023. La raison : la peur que certains internationaux profitent des déplacements sur le continent pour fuir le pays de la Corne et demander l’asile politique ailleurs. Un refuge où ces manieurs de ballon ne seraient plus sous le contrôle total de ce mégalomane de service.

À cause des craintes d’un seul homme, l’Érythrée a donc été éliminée de la Coupe du monde sans y avoir participé. Pour cette édition 2026, trois autres pays ont vécu ce genre de destin, mais pour des raisons bien différentes. La Russie a été logiquement suspendue par la FIFA en raison de son invasion de l’Ukraine, alors que la République du Congo et le Pakistan ont été mis sur le banc de touche début 2025, respectivement pour ingérence politique et problème démocratique au sein des fédérations. Ces deux équipes sont tout de même revenues à la compétition ces derniers mois. Néanmoins, faute de résultats et à cause des matchs perdus sur tapis verts, elles ont été éliminées. Des suspensions certes légitimes, mais qui montrent que la FIFA doit encore bosser sur l’accessibilité de sa compétition phare.

L’illusion comique

En ouverture du conseil de la FIFA la semaine dernière à Zurich, Gianni Infantino l’a dit en référence à la possible suspension d’Israël : « La FIFA ne peut pas résoudre les problèmes géopolitiques, mais elle peut et doit promouvoir le football à travers le monde en exploitant ses valeurs unificatrices, éducatives, culturelles et humanitaires. » D’accord, la FIFA n’a pas pour mission première d’apporter la paix et la prospérité économique aux quatre coins de la planète. En revanche, elle peut instaurer une politique concrète et des règlements contre les inégalités entre les fédérations pour favoriser les nations mineures du football, et ainsi réellement permettre l’inclusion annoncée en grande pompe.

Joie Afghanistan – 20.08.2013 – Afghanistan / Pakistan – Match Amical Photo : Photoshot / Icon Sport – Photo by Icon Sport
Joie Afghanistan – 20.08.2013 – Afghanistan / Pakistan – Match Amical Photo : Photoshot / Icon Sport – Photo by Icon Sport

À l’aube du contesté Mondial 2022, le chauve le plus puissant du football avait pourtant déclaré « qu’à l’été 2026, le monde entier allait envahir le Canada, le Mexique et les États-Unis avec une vague de joie. Parce que c’est ça, le football. Il est aussi le sport des immigrants, celui de l’inclusion et du vivre ensemble ». Outre enfin penser aux migrants après l’organisation de sa Coupe du monde au Qatar qui, rappelons-le, a causé la mort de 6 500 d’entre eux d’après une enquête du Guardian, le comique Gianni n’a pas pensé aux forfaits. Il oublie aussi les éliminations des équipes modestes, qui malgré tous leurs efforts, n’accéderont jamais à la Coupe du monde tant que la FIFA continuera de privilégier les puissants. Oui, même avec un format à 48 et ses quelques équipes surprises (il y en avait aussi à 32), la compétition reste réservée aux fédérations élitistes, présentes depuis des années en phase finale. Des fédés stables, politiquement fréquentables et surtout richissimes. Car – au-delà des discours –, c’est ça qui intéresse la FIFA : le fric.

L’objectif de la FIFA est d’être présente partout aux quatre coins du monde pour avoir le monopole du produit football. En revanche, elle s’en fiche si tous les pays et toutes les couches sociales ne sont pas pleinement intégrés.

François da Rocha Carneiro, historien et auteur de livres sur le football

Aucun des hommes en blanc de Zurich n’oserait l’avouer, mais ce format a été imaginé pour augmenter les profits. Vous connaissez la musique : plus d’équipes, plus de matchs, plus de droits TV. Depuis leur annonce, Infantino et sa bande martèlent que le Mondial à 48, et bientôt à 64, permettra aux petites nations, et donc aux populations les plus défavorisées de la planète, de se sentir enfin concernées par la Coupe du monde. Selon l’historien et auteur de plusieurs bouquins sur le football François da Rocha Carneiro, ce constat ne tient pas la route : « L’objectif de la FIFA est d’être présente partout aux quatre coins du monde pour avoir le monopole du produit football. En revanche, elle s’en fiche si tous les pays et toutes les couches sociales ne sont pas pleinement intégrés. Regardez les prix exorbitants des places dans les stades américains, canadiens et mexicains. Le spectacle est encore plus réservé aux élites qu’avant. »

Égalité n’est pas équité

D’après le chercheur au CREHS, la FIFA s’est aussi orientée vers le développement du football dans les pays du Golfe au détriment d’autres pays émergents et peu développés. « Elle a réussi à faire progresser le football dans la péninsule Arabique en leur attribuant deux Coupes du monde. Les Qataris et les Saoudiens disposent de ressources financières considérables, et la FIFA en profite pour accroître ses revenus. À l’inverse, elle s’investit beaucoup moins en Afrique, un continent avec moins de moyens. » De son côté, le chercheur au CNRS-Paris School of Economics Luc Arrondel l’avoue : « L’organisation de la Coupe du monde est réservée aux pays les plus riches et les mêmes équipes sortiront des phases de poules, même avec la nouvelle formule à 48. Aujourd’hui, on doit surtout se demander s’il n’était pas préférable d’organiser un tournoi plus restreint mais véritablement compétitif. Grâce à une vraie politique de redistribution, la majorité des équipes du monde se serait rapprochée des meilleures, même dans les qualifications. À la place, ils ont élargi l’accès à une phase finale d’un niveau limité. En choisissant cette option, la FIFA mène une politique d’égalité plutôt que d’équité. »

Théoriquement, la mission première de la FIFA est de développer le football dans les régions les plus en difficulté.

Luc Arrondel, chercheur au CNRS-Paris School of Economics

Dans le monde des Bisounours, l’argent empoché, notamment grâce aux bénéfices des Coupes du monde, devrait permettre de réduire ces inégalités. « Dans l’histoire des Mondiaux, il y a vraiment eu un saut énorme des revenus sur la période 1998-2002, déclare Luc Arrondel. Les droits TV ont explosé et la croissance n’a jamais arrêté. 7 milliards de revenus totaux sur le quadriennal 2019-2022 et les estimations tournent autour d’11 milliards de dollars pour 2023-2026. »

Redistribuer le jeu

Si la FIFA souhaite vraiment que le football devienne « le sport de l’inclusion », elle pourrait mieux redistribuer ces revenus colossaux vers des fédérations fragiles politiquement et économiquement, continuer à investir dans les infrastructures ou encore contribuer davantage à l’éducation de la jeunesse par les valeurs unificatrices du football. « Elle dispose déjà d’un vaste programme de développement visant à professionnaliser le football dans de nombreux pays avec des fonds redistribués aux fédérations, précise Arrondel. Sur la période 2019-2022, 1,5 milliard sur les 7 milliards de revenus a été distribué. Théoriquement, la mission première de la FIFA est de développer le football dans les régions les plus en difficulté. »

Malgré cet effort, la redistribution pourrait être renforcée, tant les résultats en matière d’inclusion restent pour l’instant insuffisants. Comme autre levier, elle pourrait aussi prohiber, ou du moins arrêter de faciliter le changement de nationalité sportive d’un joueur, d’une nation mineure à une nation blindée. Ce phénomène affaiblit les plus petites équipes, victimes des départs de leurs meilleurs talents pour des contrées lointaines, parfois sans aucun lien avec leur histoire personnelle et leur patrie d’origine. Grâce à cette politique aux élans solidaires, la FIFA, outre regagner l’estime du monde entier, élargirait en plus ses parts de marché avec l’intégration des nations jusqu’ici exclues. Pour que, cette fois-ci, tout le monde en sorte réellement gagnant.

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