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Ados et pros : « La seule chose qui peut te sauver, ce sont tes pieds »

Propos recueillis par Corentin Delorme et Julien Faure

Depuis ses débuts en 2022, Warren Zaïre-Emery collectionne les honneurs. Le milieu parisien aura même l’occasion de devenir le plus jeune international français de l’histoire, samedi ou mardi prochain. Des records qui feraient presque oublier une question : qu’est-ce que c’est que d’être un jeune de 16 ou 17 ans dans un vestiaire pro ?

Ados et pros : « La seule chose qui peut te sauver, ce sont tes pieds »

Comment s’intègre-t-on à 16 ans dans un vestiaire professionnel ?

Anthony Le Tallec (débuts en pro à 16 ans avec Le Havre) : Ça n’est pas évident, il ne faut pas le cacher. Quand t’as 16 ans, 17 ans, et que tu arrives dans un groupe où il y a des trentenaires, des joueurs qui ont de la bouteille, il faut se faire accepter.

Laurent Paganelli (débuts en pro à 15 ans avec Saint-Étienne) : On voit rapidement le caractère d’un joueur. Certains sont plus aptes. Warren Zaïre-Emery, on sent qu’il est bien mature, on sent quelqu’un de prêt. Ceux qui ne sont pas aptes, ils vont se mettre un peu à l’écart. Tu le vois à l’échauffement, pendant et après le match, dans les rapports avec les joueurs phares.

Laurent Fournier (débuts en pro à 16 ans à Lyon) : Le plus important, c’est de faire preuve d’humilité. Lui (Warren Zaïre-Emery, NDLR), il le fait correctement, il s’intègre rapidement, il est respectueux, et je pense que c’est pour ça que les anciens l’acceptent beaucoup plus facilement. Il a le talent, donc c’est bien plus facile.

Paganelli : Il y avait un gouffre énorme entre le monde des jeunes et le monde pro. Quand j’ai fait mon premier match en pro, c’était l’angoisse. Je n’avais qu’une hâte : rentrer pour me dire que j’étais chez moi, que c’était passé. La seule chose qui peut te sauver, ce sont tes pieds. Mais même là, je me suis rendu compte qu’il y avait un décalage. Les pros étaient préparés pour ces matchs-là, c’était des adultes ; moi, j’étais un gamin qui jouait comme dans la cour de récré.

Fournier : Si vous faites les choses correctement, sans avoir le cigare, en n’essayant pas de déloger les plus anciens, je pense qu’ils vous aident. Si vous êtes polis et respectueux, les anciens seront là pour partager.

Il faut comprendre que si le coach pense que vous pouvez apporter plus à l’équipe, il faut y aller.

Laurent Fournier

Quel souvenir gardez-vous de votre premier match ?

Fournier : Un jour, Jean-Pierre Destrumelle a décidé de me faire jouer à la place de Joël Muller à Lyon. D’abord, vous êtes surpris, parce que normalement, c’est un titulaire indiscutable. Ensuite, il faut comprendre que si le coach pense que vous pouvez apporter plus à l’équipe, il faut y aller. Il n’y a rien à dire.

Le Tallec : J’ai joué mon premier match, puis j’ai marqué mon premier but lors de ma première titularisation, et quand j’ai enchaîné les performances, les autres étaient obligés de l’accepter.

Paganelli : Mon premier match, j’avais 15 ans et demi. Robert Herbin me met sur le banc, on joue au Parc. Il m’appelle et me dit : « Je t’ai fait venir pour que tu comprennes, que tu vois le haut niveau. » Je remplace Rocheteau qui était une star, et à la fin du match, j’étais très abattu parce que je n’avais pas été bon, je n’avais pas pu m’exprimer comme d’habitude parce que c’était totalement différent. Mais au moins, je savais où il fallait que j’aille, qu’il fallait que je progresse, que je devienne un adulte. Ensuite, il m’a fallu un an et demi avant de rejouer en pro.

Laurent Paganelli en 1980.
Laurent Paganelli en 1980.

Est-ce compliqué de gérer la concurrence à cet âge-là ? 

Paganelli : Quand tu t’entraînes avec les pros, il faut terminer premier, parce que tu es le jeune. Tu travailles dix fois plus que les autres. Le coach a bien aimé ce que je faisais aux entraînements, il a eu un coup de cœur. Il y avait deux ou trois blessés, et il avait besoin d’un peu de fraîcheur et voulait voir comment je pouvais vivre la chose de l’intérieur.

Le Tallec : J’ai ressenti de la frustration de la part des joueurs qui ne jouaient pas beaucoup et qui avaient le même poste que moi. Après, c’est la concurrence. Devant moi, il y avait le capitaine, Alain Caveglia, qui avait 33-34 ans, et Thomas Deniaud, qui avait 30 ans. J’avais mon insouciance, je m’en foutais de tout ça. Et puis j’étais mis dans des conditions idéales, parce que Jean-François Domergue savait que c’était dur pour un joueur de s’intégrer dans un groupe confirmé qui en plus jouait la montée en D1.

Fournier : Ça me rappellera toujours ce que Joël Muller m’a dit : « Ce n’est pas à toi que j’en veux, c’est au coach qui ne me fait pas jouer. Toi, fais ton match et joue le correctement. » Ça dépend beaucoup de l’état d’esprit des anciens, parce qu’il y en a certains qui sont pourris. Il faut dire aussi qu’il y a des jeunes qui se prennent pour des cadors et qui n’en sont pas.

Le Tallec : J’étais aussi un peu frustré ou énervé parfois, parce que je voulais tout le temps jouer, j’étais impatient. Mais le coach a réussi à me donner du temps de jeu quand il fallait. Ça a plutôt bien marché parce que j’ai eu des stats, j’ai été performant, et puis on est monté. Il y a eu un bon mix entre les plus jeunes et les plus vieux. Il faut féliciter le staff pour ça aussi.

Paganelli : Un jeune joueur avait demandé le sel à un ancien, et il lui avait répondu : « Tu as piqué ma place, donc le sel, tu te le prends tout seul. » Une fois avec les pros, on se déplaçait en bus et je jouais au tarot avec trois coéquipiers. On s’arrête, je sors passer un coup de fil, le bus repart sans moi. Les copains savaient bien que je n’étais pas dans le bus !

La première bière que j’ai bue, c’est quand on est montés en Ligue 1.

Anthony Le Tallec

Y a-t-il quand même un peu de bienveillance de la part des anciens ?

Le Tallec : Au début, je ne demandais pas qu’on vienne me chercher à l’entraînement. J’avais la chance d’habiter à côté du centre et j’en avais pour 15-20 minutes à pied. Parfois, les joueurs me prenaient sur le bord de la route quand ils me voyaient. C’était assez folklo !

Fournier : J’ai été super bien accompagné. Je dois leur dire merci, à tous ces anciens, parce qu’après les matchs, ils m’emmenaient au restaurant parce qu’ils mangeaient ensemble, et que je n’avais pas le permis. Après, ils me ramenaient chez mes parents parce qu’il était tard. Quand vous avez des joueurs qui ont ce respect-là, il n’y a aucune honte à avoir.

Le Tallec : La première bière que j’ai bue, c’est quand on est montés en Ligue 1. C’est sympa de vivre des moments comme ça avec Souleymane Diawara, Nicolas Douchez, Alain Caveglia, Maamar Mamouni, Yazid Mansouri, Pascal Chimbonda. C’est avec eux que j’ai connu ces premiers moments de fête.

Anthony Le Tallec en 2002.
Anthony Le Tallec en 2002.

Progresse-t-on plus vite quand on est surclassé ?

Le Tallec : Tu as besoin des conseils des plus anciens. Moi j’en ai eu, il faut le dire, et j’allais aussi en demander.

Fournier : Quand tu évolues avec de très très bons joueurs, c’est beaucoup plus facile. C’est ce qui s’est passé pour moi à Lyon. J’ai progressé deux fois plus rapidement, et c’est ce qui se passe avec Warren Zaïre-Emery au PSG. Vous progressez à vitesse grand V.

Paganelli : Quand tu es dans un grand club avec des grands joueurs, c’est plus facile d’un côté, sur le plan sportif, parce que les mecs peuvent t’entraîner dans leur sillage. Mais c’est aussi difficile parce qu’il faut toujours garder un niveau très élevé.

Le Tallec : En match, j’ai entendu plein de noms d’oiseaux de la part des adversaires, qu’ils voulaient me casser les jambes. Ça fait partie du truc, et j’ai du caractère, donc j’aimais ça. Limite, ça me motivait plus. Donc ça m’a bien forgé pour la suite de ma carrière.

Fournier : À l’époque où on pouvait aller jouer à Nîmes ou Bastia, dans des matchs très très engagés, les anciens étaient là pour me protéger.

On te met très très haut, et tu ne comprends pas pourquoi, d’un coup, tes qualités deviennent des défauts.

Laurent Paganelli

Vous êtes-vous sentis accompagnés, protégés, face à cette pression ?

Paganelli : C’est sûr que c’était angoissant. J’étais jeune, je ne maîtrisais pas, j’étais timide. Aujourd’hui, les jeunes s’entraînent avec et comme des pros, ils sont préparés à ça. Tout est fait pour que tu arrives au bon moment, dans le bon tempo. Tout est organisé sur tous les plans.

Le Tallec : Je n’ai pas été accompagné, il faut dire ce qui est. Il n’y avait pas d’accompagnement à ce moment-là. Aujourd’hui, les joueurs ont tout à disposition. Je leur dis, aux jeunes au HAC (il est désormais adjoint de la réserve, NDLR) : ils ont tout pour eux. Nous, on n’avait pas tous ces outils. Ça m’aurait aidé, ça aurait été plus facile.

Fournier : À l’époque, il faut aussi dire qu’il y avait moins de pression parce que le foot était moins médiatisé. Si vous êtes protégés, c’est bon. Mais on a vu des joueurs bien commencer et mal finir.

Paganelli : Pareil pour l’école. Mes cours de seconde, par correspondance, je les ai reçus au mois de décembre. Du coup j’ai pratiquement arrêté ma scolarité là. T’es content parce que tu fais du foot, mais si c’était à refaire, je passerais forcément mon bac.

Laurent Fournier en 1981.
Laurent Fournier en 1981.

Le plus dur, c’est de confirmer ?

Fournier : La question pour Zaïre-Emery, c’est de savoir comment il va gérer ça, parce que là tout est beau, vous avez Mbappé, des grands joueurs qui l’aident. Moi, j’avais Jean Tigana ou Serge Chiesa, c’était facile avec eux. Après, quand ces joueurs-là partent, c’est vous qui avez des responsabilités, les gens attendent un peu plus de vous, et ça devient peut-être un peu plus compliqué.

Le Tallec : J’étais en équipe de France espoirs, ça parlait de moi pour les A, il y avait quand même cette petite pression-là. On m’a monté très très vite et après, on m’a vite fait redescendre. Donc j’ai beaucoup appris dans ces moments-là, et ça m’a fait du bien de partir à l’étranger derrière, c’est sûr.

Paganelli : On te met très très haut, et tu ne comprends pas pourquoi d’un coup, tes qualités deviennent des défauts, tu n’y arrives plus, les gens pensent que tu ne vas plus le faire, t’es bouffé par tout ce qu’il se passe autour de toi, alors que t’as pas changé. Quand t’arrives à 15 ans dans le monde pro, à 20 ans on a l’impression que ça fait 25 ans que tu joues. Il vaut mieux arriver à 22 ans, sinon t’as intérêt à avoir la carrière de Kylian Mbappé.

Propos recueillis par Corentin Delorme et Julien Faure

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