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Tronchet : « J’ai une espèce de névrose footballistique »

Propos recueillis par Maxime Renaudet
8 minutes
Tronchet : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>J’ai une espèce de névrose footballistique<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

Persuadé qu’on joue comme on est, Tronchet était un ailier gauche timide et angoissé par les rencontres officielles. Pourtant, le père de Jean-Claude Tergal peut se vanter d’avoir joué presque partout. Que ce soit dans le bassin minier, la forêt amazonienne ou un terrain cabossé à Madagascar. Autant de parties impromptues qui ont (presque) soigné son rapport névrotique au ballon rond.

Dans votre nouvelle BD, Footballeur du dimanche, vous vous mettez en scène pour brosser les moments tragi-comiques du foot d’en bas. Vous préférez le foot du dimanche à celui qu’on voit à la télé ? Non, je n’ai pas de préférence, même si en règle générale, je préfère jouer que regarder car dans le football élémentaire, une pureté s’est conservée, celle du goût du jeu et du ballon. Mais attention, le foot ce n’est pas du tout de la rigolade. Il faut un minimum de tenue, de jeu, et de volonté de gagner. Si on n’a pas envie de se battre pour jouer et l’emporter, on ne prend pas de plaisir. C’est quelque chose de pervers qui est extrêmement difficile à expliquer aux gens qui nous accusent d’être trop sérieux.

J’aimais bien les entraînements, mais dès que c’était un match, il y avait un côté officiel pesant.

Quel a été votre premier lien avec le foot ?Comme je le mets en scène dans ma BD, je n’ai pas eu ce père qui m’initie au foot. J’ai donc dû aller tout seul vers ce jeu qui m’intéressait, mais qui me faisait peur. Comme le terrain est un petit théâtre où on a tous notre partition à jouer, dès qu’on a le ballon, on est sous le faisceau de tous les regards. Et ça, c’était difficile pour moi. Je n’étais pas très bon, et je suis finalement allé m’inscrire dans l’équipe du village, à côté de Béthune, dans le Pas-de-Calais. Mais je n’ai pas connu de grands moments, et c’était beaucoup de souffrance. J’aimais bien les entraînements, mais dès que c’était un match, il y avait un côté officiel pesant, et s’il y avait des spectateurs, c’était encore plus terrifiant.

Vous étiez le genre de joueur à vous cacher ?Oui, j’avais un peu peur de recevoir une passe alors qu’on devrait naturellement être attiré par le ballon. S’il m’arrivait dans les pieds, j’étais en danger et c’est là que je pouvais faire une connerie. Donc je passais mon temps à ne pas me mettre dans les zones où il y avait le ballon, et j’étais transparent. C’est très paradoxal et assez mystérieux. Je me demande bien ce qui me poussait à aller vers tant de difficultés.

Vous souffriez aussi en regardant un match à la télé ?J’ai connu beaucoup de souffrance et de joie avec le foot, mais si je fais la balance entre les deux, je crois que la souffrance prédomine. J’ai vu tous les matchs de l’équipe de France depuis que je suis en âge de les regarder, et malheureusement, j’ai assisté à des catastrophes à répétition, et notamment Séville 1982. Alors que la nouvelle génération a déjà deux étoiles. C’est quoi cette histoire ? Moi, j’ai connu pendant plus de 40 ans les méandres du football international.

Malgré nos deux victoires sur la scène internationale, on dit souvent que la France n’est pas un pays de football. Vous, en tant que supporter du RC Lens, vous avez baigné dans un paysage où la culture foot était forte.Quand j’étais jeune, il y avait deux villes de foot au-dessus des autres, et où il y avait un engouement populaire. C’était Lens et Saint-Étienne. Deux clubs qui n’ont jamais eu de lutte entre eux et qui étaient plutôt en communion l’un avec l’autre. Ce n’est pas un hasard si ce sont deux pays miniers.

Lens jouait en D2, et j’allais voir les matchs avec mon voisin qui m’emmenait en bagnole au stade. On arrivait à 16h30, alors que le match était à 20h30.

Vous vous souvenez de votre première fois à Bollaert ?C’était quand j’étais minime. À l’époque, le club jouait en D2 et j’allais voir les matchs avec mon voisin qui m’emmenait en bagnole au stade. On arrivait à 16h30, alors que le match était à 20h30. J’attendais pendant quatre heures avec un pauvre sandwich, mais ce n’était pas un problème parce qu’il y avait quelque chose de grandiose qui allait se passer. Ce qui ne m’empêche pas de me demander ce que je pouvais bien faire pendant ces quatre heures d’attente.

Vous avez vécu trois ans en Amérique du Sud entre 2008 et 2011, et notamment à Quito, où vous avez découvert la ferveur footballistique du peuple équatorien. C’est comparable à Lens ? C’est au-dessus. Ce sont des Latins, il y a un engouement qu’on ne peut pas imaginer ici. Les jours de match de l’équipe nationale, toute la population est habillée avec le maillot de la sélection. Que ce soit les banquiers ou les postiers, tout le pays est dévoué à la cause de l’équipe nationale. Après, ce tout petit pays existe quand il bat le Brésil ou l’Argentine, et c’est peut-être en ce sens que c’est comparable avec la ferveur lensoise.

Quand je suis arrivé en Équateur, ma première préoccupation était de savoir avec qui j’allais jouer, où, quand et comment.

Vous avez joué au foot là-bas ?Quand je suis arrivé en Équateur, ma première préoccupation était de savoir avec qui j’allais jouer, où, quand et comment. Mais en fait, c’est facile de se créer un réseau via le foot. J’ai joué sur des terrains dans le centre-ville avec des Allemands, des Américains, des Colombiens et des locaux, c’était formidable. Puis je suis allé en Amazonie pour un séjour, et au cas où, j’avais emmené dans mon sac une paire de chaussures de foot, un short et des chaussettes. Quand je suis arrivé, il y avait un petit tournoi qui opposait différentes communautés d’Indiens. Je les regardais jouer et je me disais : « Rahhh… C’est pas possible. J’aimerais quand même bien jouer. » Puis il y en a un qui m’a recruté, car il manquait un joueur dans son équipe. C’était grandiose, mais aussi lamentable, car j’ai été hyper mauvais. Je n’arrivais pas à jouer avec leur ballon, qui était à moitié en plastique, et le terrain en terre rouge était détrempé à cause de la pluie. Je n’ai pas rendu grâce au football européen et à sa réputation.

Finalement, c’était presque un match du dimanche ?Pour moi oui, mais pour eux, c’était du sérieux. C’est ça que j’aime bien. Ils jouaient dans les règles, avec tout le décorum du vrai football : des maillots magnifiques, des spectateurs et un arbitre. Or, quand on levait les yeux, on voyait la densité d’arbres autour, les maisons en bois, c’était très étrange. Je me suis dit : « Mais le foot est allé jusqu’en Amazonie pour conquérir des cœurs indiens et les rallier à sa cause ? » J’ai aussi joué à Madagascar sur un terrain crevassé par les ouragans. Les Malgaches ont une belle ardeur sur le terrain, mais ils sont tellement déconneurs. Quand il y en a un qui rate un but tout fait, ça les fait marrer.

Je voudrais rendre hommage à tous mes ailiers gauches du monde.

Vous jouiez quel poste ? Ailier gauche, mais à l’époque, ce n’était pas tout à fait le même poste. J’ai vécu la solitude de l’ailier gauche, c’est-à-dire d’être totalement décentré et disparaître progressivement du match. Je ne sais pas pourquoi, mais les joueurs qui portent le ballon et qui ont le choix de le glisser à droite ou à gauche, au dernier moment ils choisissent toujours la droite. J’en ai tellement souffert que je voudrais rendre hommage à tous mes ailiers gauches du monde. Je me suis peut-être trompé d’époque, car aujourd’hui, c’est la mode des faux-pieds.

Vous faites partie de ceux qui pensent que le foot c’était mieux avant ? Pas du tout, je prends autant de plaisir à regarder le football aujourd’hui. Je trouve que ça n’a pas perdu en intérêt, au contraire.

Vous avez profité du confinement pour revoir des matchs mythiques ? Pas vraiment. Enfin si, je suis tombé sur France-Espagne 2006 sur La Chaîne L’Équipe. J’ai regardé deux secondes et comme un couillon je suis allé jusqu’au bout alors que je connais tous les passages par cœur. Sinon, j’ai beaucoup de mal à regarder des matchs en différé. Ça n’a aucun sens pour moi si le résultat est connu. Les rituels de match sont très compliqués pour moi… Je ne veux pas les voir avec des gens que ça n’intéressent que moyennement, qui vont au frigo ou qui parlent sans arrêt. J’ai une espèce de névrose footballistique qui peut énerver les gens autour de moi, car il n’y a pas d’investissement personnel plus fort pour moi.

Le confinement m’a coupé dans mon élan. Je vais pleurer tout ce que j’ai si jamais je ne rejoue pas.

Même le dessin ?Même le dessin, qui est une activité cérébrale et non pas physique. Il m’est arrivé de dessiner des histoires de foot, mais ça ne remplacera jamais le fait d’y jouer. Malheureusement, je ne sais pas si je vais pouvoir rejouer au foot, et je pourrais en pleurer. Pour moi, ne plus jouer, c’est synonyme de mort directe.

Publié aux éditions Delcourt, Footballeur du dimanche est disponible en librairie depuis le 21 janvier. Puis en mai, Tronchet et Jérôme Jouvray publieront Les Fantômes de Séville, une truculente fiction sur le match historique entre la RFA et la France.
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