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  • Pédophilie dans le foot

Paul Stewart : « Je croyais que mon agresseur tenait mon rêve dans sa main, et pouvait le détruire »

Propos recueillis par Nicolas Jucha
Paul Stewart : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>Je croyais que mon agresseur tenait mon rêve dans sa main, et pouvait le détruire<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

Près de 20 ans de carrière professionnelle, trois sélections avec l’Angleterre, Liverpool, Tottenham, Manchester City, entre autres, une Coupe d’Angleterre... mais également quatre années de sévices sexuels, à partir de ses 11 ans, quand il était apprenti footballeur à Blackpool. Paul Stewart a raconté son histoire dans le livre Damaged en 2016. En 2021, il témoigne dans Football’s Darkest Secret, une série documentaire en trois épisodes sur l’un des plus grands scandales du football anglais diffusée dès ce soir par la BBC.

Comment avez-vous été approché pour participer à la série Football’s Darkest Secret
J’ai été contacté par le réalisateur Daniel Gordon et son producteur Hugh Davies, peu de temps après avoir témoigné en novembre 2016, à travers mon livre Damaged. Peut-être un mois après… On s’est vus à Manchester, pendant plus d’une heure, et j’ai rapidement accepté de faire partie de la série documentaire. Ils avaient lu mon livre et m’ont expliqué leur projet, pourquoi ils voulaient que je sois dedans. Cela a pris trois ans pour compléter le projet, car il y avait de nombreux procès encore en cours. Cela valait le coup d’accepter, j’ai vu les épisodes en avant-première, cela m’a plu. Dès le départ, le CV de Daniel Gordon avait de quoi me convaincre et me rassurer concernant la sincérité de leur projet. On ne savait pas à quoi cela allait ressembler dans la version finale, comment ils allaient utiliser mon histoire, mais j’avais une grande confiance quant à leurs intentions.

Après avoir écrit Damaged, qu’est-ce que vous pouviez apporter de plus à la cause en parlant dans le documentaire ?
Le documentaire, dès le départ, avait vocation à être différent de mon livre. Je n’avais jamais pensé à écrire une autobiographie avant, je ne pensais pas que cela pouvait intéresser les gens. Mais en 2016, j’avais une histoire à raconter, pas l’histoire d’un footballeur professionnel, mais l’histoire d’un jeune garçon ayant été abusé sexuellement, comment cela avait affecté sa vie. Le livre, c’est mon histoire, le documentaire parle du sujet dans son entièreté : le scandale à l’échelle nationale, l’absence de réaction du football de clubs, l’ampleur de la situation, bien plus importante qu’une simple victime isolée. Mon livre parle de moi, le documentaire parle du scandale dans toute sa magnitude, et surtout, il parle d’autres victimes. Quand je dis « l’absence de réaction du football de clubs », je ne suis pas dans la critique de ces clubs, je veux surtout expliquer à quel point les « survivants » (il utilise le terme « survivors » en anglais, NDLR) ont souffert, à quel point ils étaient isolés. Et à quel point les conséquences sont grandes aujourd’hui. Le documentaire préserve la portée émotionnelle, mais offre une vision plus large en même temps. Ce n’est pas seulement une histoire, c’est une enquête.

Vous avez révélé les abus sexuels dont vous avez été victime en novembre 2016, quand vous aviez plus de 50 ans, 40 ans après les faits. Pourquoi une victime a besoin d’autant de temps pour parler ? J’avais exactement 52 ans, et c’était exactement 42 ans après la « première fois ». Quand tu es un enfant, que quelqu’un menace de tuer toute ta famille si tu parles, tu y crois. Tu crois aussi que ton entraîneur tient le rêve de ta vie dans ses mains, et peut le pulvériser à tout moment. Même après être passé professionnel, j’avais peur que le fait de parler détruise ma carrière. Et après ma retraite, cela restait un sujet hautement embarrassant. Cet entraîneur, Franck Roper, était révéré, les gens l’auraient plus facilement cru lui que moi. J’ai été dérangé, torturé, pendant toute ma vie. Il y a plusieurs étapes avant de pouvoir parler, plusieurs étapes durant lesquelles tu ne peux rien exprimer. Il est vraiment important de comprendre que pour moi, comme pour la plupart des victimes dans une situation comparable, la chose la plus importante est notre rêve. Le mien, c’était de devenir footballeur professionnel, la seule chose qui comptait. Je voulais écarter tout ce qui pouvait mettre en danger ce rêve. Et comme je l’ai déjà dit, j’étais convaincu que mon agresseur tenait ce rêve dans sa main… Depuis l’époque où j’étais dans le système de formation des jeunes, le football a fait d’énormes progrès, des protocoles ont été mis en place pour prévenir ce type d’abus sur les enfants. Il y a des référents dans chaque structure, qui sont en mesure de recueillir la parole des victimes. À mon époque, cela n’existait. Les abus sexuels existent toujours dans le football de clubs, mais les choses se sont améliorées.

C’est important de ne plus être un enfant pour pouvoir parler ?Rien ne vous prépare à affronter cela quand vous êtes enfant. Les prédateurs sont généralement de très bons manipulateurs. Ils se construisent une image respectable devant vos proches, et ainsi ils arrivent à vous isoler. Les agresseurs sont malins, ils savent exactement ce qu’ils sont en train de faire, comment procéder, et à quel point ils vont nuire à leur victime. Et ils ne manipulent pas seulement la victime directe, ils manipulent toute la famille autour. Quel que soit le sport, ils utilisent nos rêves pour perpétrer leurs abus. Les survivants ont tous cette conviction profonde que leur agresseur peut ruiner leur rêve – et donc toute leur vie – à n’importe quel moment. C’est clairement une situation de domination mentale. Notre détermination à réussir est notre plus grande force dans la vie, mais aussi notre plus grande faiblesse face à un prédateur sexuel… Devant nos familles, ce sont des personnes formidables, altruistes. Mais une fois seule avec leur victime, ils se transforment en monstres.

Même après être passé professionnel, j’avais peur que le fait de parler détruise ma carrière.

Pouvez-vous expliquer comment cela a commencé avec votre agresseur Franck Roper ?Peu de temps après ma signature dans son équipe (l’équipe de jeunes du Blackpool FC, NDLR), peut-être deux semaines après, il a commencé à venir chez moi avec des cadeaux. Il disait régulièrement que j’étais formidable, et que j’avais besoin d’entraînement supplémentaire individuel pour accomplir mon énorme potentiel. C’est durant ces entraînements supplémentaires qu’il avait l’habitude d’abuser de moi, et de me menacer de tuer mes parents si je révélais quoi que ce soit. Le seul moment où je me sentais en sécurité, à partir de cette période, c’était sur le terrain. Les soixante minutes de sécurité et de paix durant mon enfance, c’était pendant les matchs. Cela a continué après avoir atteint l’âge adulte et le niveau professionnel. Hors du terrain, j’étais une âme en peine, vide, souffrante. Je n’avais pas de moment sans pensée suicidaire, excepté durant les 90 minutes d’un match de football. C’est pour cela que j’ai fini par basculer dans l’alcoolisme et la drogue… Je ne sais pas si j’aurais réussi à devenir professionnel sans lui, sans ces attaques. Je veux penser que oui, j’ai besoin de penser que j’aurais réussi même sans sa présence. Le plus terrible dans tout ça, c’est le fait qu’il était devenu comme un membre de la famille…


Sur cette photo : Paul Stewart est debout, à la 6e place en haut en partant de la gauche, et son violeur, Franck Roper, qu’il dénonce dans son livre, est tout à droite.

Diriez-vous qu’un entraîneur proposant de se « substituer » à la famille, c’est un signal ?C’est important d’être très prudent avec les entraîneurs sportifs qui prétendent assumer certaines tâches incombant à la famille. Si cela arrive, ils obtiennent le pouvoir d’isoler la victime de sa famille. Ce type de configuration est très sensible, parce que c’est la situation typique qui amène aux abus sexuels sur des enfants. C’est pour cela qu’il est bien mieux d’avoir l’enfant dans une structure officielle comme le sont les centres de formation des clubs professionnels. Les protocoles y sont normalement beaucoup plus cadrés, l’encadrement est collectif, tout ne repose pas sur un seul adulte, mais plusieurs. Depuis 2016, le monde du sport professionnel a fait de gros progrès, pas seulement le football, car ils ont compris le besoin de changer les choses, de remettre de l’ordre dans la maison.

Je n’avais pas de moment sans pensée suicidaire, excepté durant les 90 minutes d’un match de football.

Depuis fin 2016, d’autres anciens joueurs comme vous ont commencé à parler. Plus de 300 suspects ont été appréhendés, plus de 900 victimes identifiées, plus de 300 clubs sont concernés. Que pensez de ces chiffres ?Je crois qu’il y a bien plus de victimes, bien au-delà des 900, au moins le triple, rien que dans le football. C’est un sujet de société réellement effrayant. J’espère sincèrement que la série documentaire va encourager d’autres survivants à parler librement, pas seulement dans le football. On vise à faire prendre conscience aux gens quel degré de précaution ils doivent adopter. Les personnes les plus respectables en apparence n’ont pas à avoir tous les droits sur vos enfants. Un gros diplôme, une certification, une médaille, un nom, une réputation… rien de tout cela n’est une garantie suffisante. Il n’y a pas de garantie suffisante sur ce sujet. Les lois évoluent, mais on doit continuer à faire pression pour aller de l’avant. Je vois encore des parents qui confient leur enfant à des gens en qui ils ne devraient pas avoir confiance. Les parents doivent comprendre le danger. C’est le but des stages de « sauvegarde » que nous organisons avec mon association. Il faut reconnaître les signaux : votre enfant change de personnalité soudainement, d’attitude aussi, il reçoit des cadeaux indus… Dans de tels cas, il faut s’inquiéter. Il est important d’éduquer les enfants, mais encore plus urgent d’éduquer les parents. Un casier judiciaire vide ne doit pas suffire et vous pousser à avoir une confiance aveugle envers un adulte. Nos agresseurs ont eu le temps de faire du mal à de nombreux enfants avant d’être condamnés une première fois. Leurs casiers judiciaires étaient tous vides au moment d’agresser leur premier enfant. En 2021, il y a encore des prédateurs de ce type dehors. La plupart du temps, ils se donnent une très bonne apparence, et ils sont très « travailleurs » pour arriver à leurs fins. Beaucoup de choses ont été mises en place pour prévenir leurs méfaits à l’intérieur des clubs, mais ils disposent de nouveaux outils qui leur donnent un accès direct aux victimes potentielles : les réseaux sociaux. Avec les nouvelles technologies, ce sont des nouveaux outils pour les agresseurs.

Vous évoquez les parents. Quel type de père êtes-vous ?Mes enfants sont grands maintenant, ils sont adultes. Mais quand ils étaient plus jeunes, je les surveillais beaucoup. J’ai interdit beaucoup de choses, notamment les voyages scolaires. J’étais un cauchemar pour mes enfants, je n’autorisais rien à part d’inviter des amis à la maison, car je savais qu’ils y étaient en sécurité. Je pouvais les protéger sous mon toit. C’était clairement excessif, mais je ne pouvais m’en empêcher. Et je n’étais pas capable de leur expliquer la vérité non plus, pourquoi je faisais tout cela. Ils ont compris en 2016… Je disais « non » , je les rendais malheureux et ils ne pouvaient pas comprendre mes raisons. Au moins, depuis 2016, ils comprennent un peu plus. Si j’avais réussi à parler plus tôt dans ma vie, peut-être que j’aurais réussi à mieux gérer certaines choses. Je suis passé par l’alcoolisme, la drogue, les intentions suicidaires, la surprotection de mes enfants, parce que durant tout ce temps, il y avait un terrible secret caché au fond de ma mémoire. Et ce secret me torturait. C’est pourquoi nous avons le devoir de protéger les enfants, car dès lors qu’ils ont été agressés sexuellement une fois, c’est toute leur vie qu’ils en souffrent.

Propos recueillis par Nicolas Jucha

NDLR : La photo de Paul enfant et la photo d'équipe nous ont été envoyées par Paul Stewart lui-même.

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