Viva la Guadeloupe (2) !
Pour sa première sortie sur la scène internationale, l'improbable sélection antillaise avait réussi à assurer son ticket pour les demi-finales de la Viva Gold Cup. Elle affrontait cette nuit les redoutables Mexicains à Chicago. Et s'est inclinée 1-0. Retour sur cet hallucinant parcours et explication de texte avec l'incontournable Jocelyn Angloma, qui revient dans la lumière cinq ans après l'arrêt de sa carrière professionnelle.
Le 27 mai 2006, l’équipe de France du néo-bleu et pas encore ‘Ti Franck Ribéry bat paresseusement 1 à 0 le Mexique en match de préparation de la Coupe du monde, dans un Stade de France plein d’un silence poli que ne renieraient pas Albert et ses copains de Louis II. Il est vrai que la compétition, la vraie, n’a pas encore commencé et El Tri n’a rien d’un sparring partner très excitant, malgré un classement FIFA honorable puisque présente parmi les vingt voire dix premières nations depuis maintenant plusieurs années. Au même moment, Jocelyn Angloma se la coule douce en Guadeloupe, où il est revenu depuis sa fin de carrière à Valence en 2002 pour profiter d’une retraite méritée.
Cette nuit, un peu plus d’un an plus tard, la sélection centraméricaine va tenter d’oublier un énième Mondial décevant (huitième de finaliste, comme d’hab’), en tentant de ravir un nouveau titre continental dans une région où elle règne en maître (quatre titres sur huit éditions).
La Gold Cup, puisqu’il s’agit bien d’elle, voit s’affronter depuis le début du mois les meilleures nations d’Amérique du Nord, du Centre et des Caraïbes. Nations, vraiment ? Pas tout à fait, en fait. La Guadeloupe, sélection régionale bénéficiant d’une dérogation, s’est invitée pour la première fois dans la cour des grands. Emmenée par un Jocelyn Angloma quarantenaire – reconverti pour l’occasion en milieu offensif – l’île des Antilles est incontestablement devenue l’attraction de la compétition. Une jolie curiosité qui faisait doucement sourire au début, qui étonne et détonne aujourd’hui, puisque forte d’un remarquable parcours (nul contre Haïti 1-1, victoire contre le Canada 2-1 et courte défaite contre Costa Rica 0-1 en poule, victoire et qualification en quarts contre le Honduras du néo-milaniste David Suazo 2-1). Sans vraiment trembler, Jocelyn et ses potes – soit des amateurs de l’île, soit d’honnêtes soutiers venus d’Europe (Sommeil, Capoue, Tacalfred, ce genre de terreurs…) – se retrouvent ainsi à poursuivre leur rêve américain, dans le dernier carré, face à ces incontournables Mexicains !
A Chicago, dans le New Soldier Field des Bears, récents finalistes de la NFL, les demi-finales verront donc s’affronter cette nuit Ricains et Canadiens, suivi de Mexique–Guadeloupe. Cherchez l’erreur… En France, tout le monde se contrefout des performances de cette joyeuse bande de rasta-rockets. Il faut pourtant bien reconnaître que les ‘Gwadaboys’, leur surnom, ont au moins le mérite de faire perdurer un peu de football en ce mois de misère où ce sont cette fois les Bleus qui se dorent la pilule sur les plages de sable fin. Voilà enfin de quoi enfin s’exciter sur El Tri. Avec un an de retard.
Au Mexique en tout cas, on s’interroge sur la sélection antillaise, baptisée « Lupita », le diminutif en espagnol du prénom Guadalupe, qui est aussi la sainte patronne du Mexique. « Lupita, qu’est-ce qui se passe?« , s’interroge ainsi le quotidien El Universal. « Ils jouent pour le plaisir (…) Ils ne sont pas payés pour jouer, ils sont menuisier, mécanicien ou postier » , s’étonne pour sa part le journal Record. « Notre objectif numéro un en débarquant aux Etats-Unis, c’était d’abord de ne pas être ridicules et de représenter au mieux la Guadeloupe, explique Richard Socrier, attaquant brestois et buteur en quarts face au Honduras. On n’avait aucun vécu commun et c’est pour la plupart notre première compétition internationale, donc on n’espérait rien » .
Trois premiers matches à Miami, un autre à Houston, une demi-finale cette fois à Chicago, et l’aventure de se transformer en un vrai périple. Contacté depuis son hôtel, l’excellent Jocelyn Angloma ( « Un exemple qui prend du plaisir sur un terrain comme s’il avait 20 ans » , dixit Socrier) revient sur cette étonnante fin de carrière.
Voir la Guadeloupe dans le dernier carré, ça semble très surprenant vu de France. Toi, tu y croyais avant le début de la compétition ? Il faut bien avouer que pour nous aussi, c’est une surprise. Pour différentes raisons, je dirais. Déjà certains joueurs ne se connaissaient pas avant de partir pour les Etats-Unis, une partie de la sélection est constituée de joueurs locaux qui n’ont en principe pas le niveau requis, même si on se rend compte que ce sont quand même de bons joueurs. Et puis finalement, l’amalgame s’est fait au fur et à mesure de la compétition et le groupe fonctionne bien.
Comment une sélection régionale qui n’avait jusque là participé à aucune compétition internationale s’est-elle retrouvée aux Etats-Unis ? En fait, les qualifications pour cette Gold Cup se sont déroulées uniquement avec les joueurs locaux, exceptés pour le dernier tournoi à Trinidad et Tobago, où quelques joueurs évoluant en Europe nous ont rejoints, comme David Sommeil (Sheffield Utd), Franck Grandel (Utrecht, Pays Bas) ou Fabien Raddas (Poissy, CFA). Ça a permis d’apporter un petit plus. Et puis la Ligue et l’entraîneur ont décidé de solliciter plusieurs professionnels pour la Gold Cup afin d’étoffer l’équipe. Aujourd’hui, tout ce travail en amont et l’enthousiasme des joueurs qui participent à leur première compétition avec la Guadeloupe permet d’obtenir ces résultats. On peut dire qu’on s’est vraiment liés d’amitié dans ce groupe, c’est vraiment une histoire de cœur et…c’est beau !
Et toi, le capitaine… (Il coupe) Non mais je ne suis pas capitaine en fait (rires). J’ai bien vu que les médias français croient tous que je le suis, mais ce n’est pas moi. En fait, c’est Alain Vertot, un ‘local’ comme on dit dans l’équipe. C’est le libéro.
Et donc toi, à titre personnel, ça semble plutôt bien se dérouler, avec deux buts au compteur, dont un magnifique inscrit contre le Canada qui commence d’ailleurs à pas mal circuler sur Internet… Ah oui, ce but, il est pas mal, hein (rires) ? C’est vrai que pour moi ça s’est bien passé jusque là. J’ai marqué, ce que je ne faisais pas beaucoup avant, comme quoi il y a encore de l’espoir ! Non, sérieusement, moi comme le reste de l’équipe, on ne se prend pas la tête, on voit venir les matchs les uns après les autres. Quand on joue contre des équipes à priori supérieures comme le Canada, le Costa Rica ou le Honduras, notre but premier en arrivant sur le terrain, c’est d’abord de tenir, parce qu’en face, on sait qu’on a de grands joueurs et des équipes qui ont un groupe constitué depuis longtemps. C’est ça la différence entre eux et nous. C’est difficile, mais avec beaucoup de cœur et d’abnégation, on se rend compte que ça marche.
Comment évaluerais-tu le niveau de compétition de cette Gold Cup. C’est l’équivalent d’une Ligue 2 française ? (Rires) Oh, niveau D2, peut-être pas quand même ! C’est difficile à évaluer…
Quoi, c’est plus ? C’est moins ? Non, c’est plus ! Tu sais, le Costa Rica, le Mexique, c’est costaud, le niveau de ces équipes est relevé. Après, c’est vrai, voir la Guadeloupe en demi-finales, on peut se poser des questions (rires). Mais je t’assure que ça joue pas mal, même si c’est vrai que ça n’a pas la résonance d’une Copa America par exemple…
Comment se déroule cette compétition, dans un pays pas franchement attiré par le soccer ? L’ambiance est assez surprenante en fait, il y a un vrai engouement. On profite de la présence des supporters mexicains, costaricains, haïtiens…Ces communautés sont très fans de leur équipe et la suivent, il y a beaucoup de monde dans les stades. On a joué devant 40 000 et même 65 000 personnes pour le dernier match, c’est énorme ! Pour le match face au Canada par exemple, c’est marrant parce qu’il y avait plein de monde au stade, mais c’était pas vraiment pour nous, le stade se remplissait au fur et à mesure pour le Haïti–Costa Rica qui suivait juste après notre match. Mais peu importe, je peux te dire qu’au niveau des émotions, voir autant de monde en tribunes, c’est fort pour des joueurs habitués à évoluer en championnat guadeloupéen.
Et les Américains, ils vous suivent ? En fait, non, ils ne s’y intéressent pas beaucoup, c’est une compétition très hispanique. Moi qui parle espagnol par exemple, je suis énormément sollicité par les télés mexicaines et costaricaines, ils veulent découvrir la Guadeloupe, ils ne connaissent pas. Pour ça aussi, c’est bien, on fait parler de la Guadeloupe. Et en bien.
L’Equipe de France a toujours été constituée de très bons joueurs guadeloupéens. Il y a dix ans, c’était toi, aujourd’hui, c’est Thuram, Henry, Gallas…Tu penses qu’ils peuvent prendre exemple sur toi et venir jouer pour la Guadeloupe une fois leur carrière pro terminée ? Oh je sais pas, j’espère que cette Gold Cup va pas changer les choses non plus…Faudrait pas dénaturer la sélection, elle est aussi là pour permettre aux joueurs évoluant en championnat guadeloupéen de jouer au haut niveau. Moi par exemple, j’ai attendu cinq ans entre l’arrêt de ma carrière pro et mes débuts en sélection, je crois que c’est une nécessité pour pas tout mélanger.
Parlons un peu de toi maintenant : à plus de 41 ans, on te retrouve à jouer une compétition internationale, plus de dix ans après ta dernière avec la France (l’Euro 96). Tu n’as donc jamais vraiment arrêté le foot après tes cinq ans passés à Valence ? Si, si, j’ai bien arrêté ma carrière pro, je te rassure ! Et ça n’a d’ailleurs pas été évident au début. Il faut se remettre à vivre normalement, mais le fait de revenir au pays m’a justement permis de trouver un équilibre. J’ai continué à jouer en amateurs, essentiellement pour pas grossir (rires). Sinon je travaille maintenant pour Lille… Pas l’île Guadeloupe, hein, Lille, le LOSC (rires) ! Je fais pour eux de la détection de jeunes en Martinique et en Guadeloupe. Et sinon j’entraîne les 13 ans de mon club, l’Etoile de Morne-à-l’eau.
Et qu’en est-il de l’après-Gold Cup ? Tu reprends une licence ? Non, c’est fini après, j’arrête. J’ai bientôt 42 ans quand même, à un moment il faut savoir dire stop.
Cinq ans après avoir arrêté, as-tu gardé des contacts avec tes anciens coéquipiers ? Oui, j’ai surtout gardé de supers contacts avec Valence, et particulièrement avec Carboni, qui est depuis devenu directeur sportif du club (il vient de se faire virer cette semaine, NDLA). Sinon, je suis surtout resté très ami avec Marcel (Desailly) bien sûr. Ah Marcel… Il m’a appelé hier, pour me féliciter et pour me dire « Faut pas perdre ! » , il a toujours la mentalité qu’on connaît, c’est resté un compétiteur. Pour le reste, étant donné que je me suis désormais installé en Guadeloupe, c’est difficile de rester en contact, je m’en rends compte… Pour l’instant, je suis bien là, mais si ça prend pas, peut-être que je reviendrai en Europe…
Que penses-tu de l’engagement politique et militant d’autres Antillais tels Thuram et Gallas, notamment dans la lutte contre le racisme et pour la mémoire de l’esclavage ? Tu as été sollicité ? Oh tu sais, moi, j’ai jamais été un joueur très médiatique, même quand je jouais, alors maintenant encore moins ! On ne m’a jamais sollicité non, mais je trouve ça bien ce qu’ils font. Enfin, Thuram en tout cas, Gallas, j’étais pas au courant qu’il était aussi impliqué. C’est important de parler de tout ça, mais moi ça n’a jamais été mon truc de l’ouvrir. Cela étant, bien sûr que je suis d’accord avec eux, il faut savoir reconnaître ce qui a été fait dans le passé, prendre conscience des conséquences de l’époque de l’esclavage, la reconnaissance des souffrances, c’est bien qu’aujourd’hui on puisse en parler. Thuram a raison…
Régis Delanoë
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