U-20, bilan d’un mondial sans passion
Le Canada va-t-il devenir une terre fertile pour le football ? Avec plus d'un million de billets vendus pour le mondial des -20 ans, on pourrait penser que oui. Mais quand on y regarde de plus près, on se dit que ce n'est pas gagné d'avance, cette affaire...
Nos sociétés sont traversées par des frontières invisibles. Dans l’Occident globalisé où se rejoignent des communautés du monde entier, une compétition de football peut les mettre en évidence.
La grande inconnue de cette exotique édition canadienne du Mondial des moins de vingt ans était l’accueil que le public allait réserver à l’événement. Avec plus d’un million de tickets vendus, le tournoi affiche la seconde meilleure performance de la catégorie depuis la création de l’épreuve en 1977.
Mais ici, au Canada, cet engouement marque avant tout une coupure culturelle dans la société entre, d’un côté, les Canadiens pur érable – de lointaine ascendance française ou britannique, pour faire court –, et de l’autre, les immigrés des dernières décennies pour lesquels l’attachement à la patrie des parents est toujours extrêmement fort.
Si les médias locaux ont correctement relayé l’événement footballistique – à l’exception notable de la télévision publique francophone qui a acheté les droits de retransmission pour ne diffuser en tout et pour tout que trois matchs du Canada en différé –, les Canadiens ont peu répondu présents. Leur équipe nationale a joué à Edmonton, dans le plus grand des six stades hôtes, devant des tribunes aussi vides que son compteur final : zéro point et zéro but en trois matchs. Du jamais vu pour un pays organisateur.
Pendant ce temps, dans les autres villes, on se donnait rendez-vous par communauté. Portugais, Polonais, Mexicains et Chiliens ont ainsi envahi en masse le Stade olympique de Montréal. Cette présence avait cependant quelque chose de paradoxal. Pour beaucoup de ces spectateurs, citoyens canadiens parlant français avec un accent québécois à couper au couteau, ce n’était pas tant le football qui attirait que l’événement communautaire.
Les nombreuses Polonaises âgées de 40 à 50 ans venues d’aussi loin que Chicago – plus grosse communauté polonaise en Amérique avec deux millions d’individus – ignoraient tout de la règle du hors-jeu et du pedigree de Janczik, le crack en rouge. La vie dans les tribunes s’en est ressentie.
Muni de son petit drapeau, chacun est allé se placer au siége qui lui était réservé, en arrivant souvent avec de longues minutes de retard, les stades n’affichant vraiment complet qu’à la fin de la première mi-temps. Dans une enceinte que l’on peut parcourir d’une extrémité à l’autre sans aucune entrave physique ou administrative, il n’est venu à l’esprit de personne de se rassembler dans un virage pour faire plus de bruit ensemble.
Les organisateurs n’ont pas aidé à faire émerger la culture supportériste. Les Coréens, qui avaient conçu une belle animation musicale avec gongs traditionnels et chef d’orchestre tournant le dos au terrain façon capo, furent priés de remballer leur matos au coup d’envoi du troisième match. Les Chiliens, qui se tenaient debout devant leurs drapeaux tombant depuis l’étage supérieur du stade, ont été sommés de s’asseoir par des stewards peu avenants. Idem pour des Mexicains on ne peut plus pacifiques qui, le soir de leur qualif’ pour les quarts de finale, ont été escortés dans le métro par deux policiers très surpris de constater qu’il y avait une vie après le match.
Cette vie qui précisément s’empare d’une ville lors d’un grand tournoi international n’a, ici, pas existé. Aucun spectateur n’étant venu de l’étranger, il n’y avait pas de point de ralliement au centre-ville avant ou après les matchs, chacun saluant le succès des siens par une parade onaniste au son du klaxon de sa propre bagnole avant de rentrer chez soi. Puisque chez soi il y avait.
Ces manifestations, aussi inabouties qu’elles puissent paraître aux yeux d’un amateur de foot européen, soulignent fortement le fait communautaire dans la société canadienne. D’un bout à l’autre du pays, on a attendu la venue de SON équipe, à la manière des Portugais qui, bien que décevants dans l’animation des tribunes, ont presque rempli à eux seuls le Stade olympique. A travers sa présence au stade, chaque communauté a pu se compter, ce qui l’a placée à la fois dans une situation d’exclusion face au reste de la société, et dans une situation d’inclusion puisqu’il s’agissait pour chacune de se montrer pour mieux prendre place dans un pays cosmopolite où le fait communautaire est largement accepté voire encouragé comme facteur de d’intégration pour l’individu déraciné.
Jean Damien Lesay, à Montréal
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