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Grünheide, l’Appel de la forêt

Par Maxime Brigand, à Grünheide

Si l’Euro a débuté vendredi dernier, en Allemagne, certains citoyens européens n’ont pas attendu le coup d’envoi de l’événement pour se rassembler. Depuis la fin du mois de février, des militants écologistes sont en effet installés à Grünheide, à 30 kilomètres de Berlin, au milieu d’une forêt de pins, où ils luttent face à la seule usine européenne de Tesla. On est allé leur rendre visite en plein dimanche de compétition.

Grünheide, l’Appel de la forêt

Sur l’un des quais de la gare centrale de la Friedrichstrasse, à Berlin, trois Croates se battent avec une gueule de bois, dont la défaite de la Croatie face à l’Espagne (3-0), la veille, sous le grand soleil du stade olympique, n’est pas la seule responsable. Dans le même temps, alors que la capitale allemande finit de se réveiller en ce beau dimanche matin de juin, un couple de Serbes se prépare à rejoindre Gelsenkirchen, où leur nation a rendez-vous dans la soirée avec l’Angleterre. Ainsi va la douce magie d’une matinée d’Euro, cette bulle où les destins se croisent, où les yeux sont vite très fatigués et où les quais se transforment un peu plus encore en de drôles de carrefours. Dans les différentes voitures du RE1, un train régional reliant Francfort-sur-l’Oder, à l’extrémité est du pays, et Magdebourg, l’atmosphère est, en revanche, assez calme, comme déconnectée de l’Euro ayant débuté 48 heures plus tôt. Deux femmes n’hésitent, quand même, pas à se dire qu’il n’y en a (déjà) que pour le « fußball ». Entre les pins de la forêt de Grünheide, une ville a priori sans histoire posée à 30 kilomètres au sud-est de Berlin, le tournoi est même plutôt invisible. Il faut dire que les esprits y sont, depuis plusieurs mois, bien occupés. Un rapide coup d’œil en sortant à droite de la station ferroviaire de Fangschleuse suffit à rappeler pourquoi.

Les désirs de Tesla

Il y a d’abord ce parking, où deux voitures de la Polizei sont garées, portes ouvertes. Puis il y a, de l’autre côté de la route L23, ces tentes, ces pancartes, et un sentier s’enfonçant dans les bois, au-dessus duquel une banderole, tenue par des câbles, est déployée : « Willkomen inder utopien Gigafactory. No Cops. No Nazis. No Elon ». Depuis la fin du dernier mois de février, c’est ici qu’une cinquantaine d’activistes écologistes vivent dans et entre les arbres. Il y a ici des personnes de tous les âges, de tous les sexes, de tous les coins d’Europe, tous portés par un combat commun : faire face aux désirs de Tesla, qui a installé depuis 2022, au bout du sentier, sa seule « GigaFactory » européenne, qui emploie 12 000 salariés. Une usine qu’Elon Musk, le big boss du constructeur de voitures électriques, cherche à étendre de 170 hectares afin de doubler la production et ainsi atteindre plus d’un million de véhicules électriques produits chaque année. Peu importe si cela doit passer par la destruction d’une centaine d’hectares de pins, qui seront remplacés par une nouvelle gare de marchandises, une crèche et des entrepôts. Peu importe si cela affecte aussi significativement la qualité et la quantité d’eau de la région. Et peu semble importer qu’un référendum local à vocation consultative se soit opposé au projet à hauteur de 60%.

Arrivé sur le camp il y a trois mois, Luc, un Allemand d’une vingtaine d’années qui enchaîne les luttes depuis plusieurs années à travers le pays, fait la visite. Il détaille, d’abord, la raison de l’installation de cabanes aussi hautes : « Pour intervenir à une telle hauteur, les policiers sont obligés d’avoir une “habilitation grimpe”. » Il développe, ensuite, le fonctionnement d’un camp où chaque membre se voit attribuer, chaque matin, une tâche, qui va des échanges quotidiens avec la Polizei à la surveillance, en passant par la gestion des déchets. « On a, en fait, créé un univers qui vise à briser toute discrimination, qui est basé sur la solidarité, où chacun œuvre pour le bien collectif. On échange tous les jours sur les soucis rencontrés, on se file des conseils, on essaie aussi de créer un lien avec les personnes qui habitent dans les environs. » Plus tard dans la journée, un cycliste croisé sur le bord de la route ne cache pas son soutien pour « ce groupe qui [nous] aide dans cette lourde bataille face à un symbole. Le camp fait presque face à l’usine, la révolte est visible et pour nous, qui nous battons face à cette extension depuis longtemps, c’est un énorme boost. Elon Musk se fiche totalement de la conséquence de ses actes pour l’environnement, pour les gens du coin, mais elles sont réelles. On ne peut pas lui abandonner notre territoire. »

« Ça serait bien de faire une petite pause, non ? »

Les différents membres du camp ont tous déjà roulé leur bosse dans des luttes similaires, au sein d’autres forêts allemandes – pour se battre contre un projet d’autoroute ou contre l’extension de mines de charbon, par exemple –, mais l’arrivée de l’été commence à toucher les organismes. Le résultat des récentes élections européennes a également été un coup au moral. « On a notre lutte, mais on n’est, évidemment, pas dans une bulle, détaille Luc. On a suivi ce virage à droite toute, très choquant, d’une bonne partie de l’Europe et ce qui nous préoccupe, surtout, est de voir que beaucoup de jeunes Allemands ont voté pour l’AfD (le parti d’extrême droite allemand, 2e des dernières élections européennes). » Et l’Euro, alors ? A-t-il au moins une place dans les discussions ? Assez peu : « On sait que c’est une fête, qui étrangement, offre de drôles d’images, comme celle de milliers d’Allemands venant agiter le drapeau tous ensemble alors que, dans les faits, ils sont très divisés. Le foot peut unir et doit unir, mais la bataille socio-écologique et le foot sont malheureusement trop éloignés. Pour nous, après le Qatar, après avoir vu, par exemple, la Hongrie se servir de ce sport comme d’un outil de propagande… C’est difficile. On parle de ces sujets, pas vraiment des matchs. On se dit même qu’avec tout ce qu’il se passe à Gaza, en Europe, au Congo, voir tout le monde être focus sur des matchs de foot… Ça serait bien de faire une petite pause, non ? »

On sait que c’est une fête, qui étrangement, offre de drôles d’images, comme celle de milliers d’Allemands venant agiter le drapeau tous ensemble alors que, dans les faits, ils sont très divisés.

Un militant

Début mai, entre 1 000 et 2 000 manifestants se sont joints aux membres du camp pour une grande manifestation au terme de plusieurs jours d’actions diverses, qui s’est alors soldée par une tentative d’intrusion dans l’usine, débouchant sur plusieurs affrontements. En mars, la lutte était également grimpée d’un cran après un sabotage de l’usine revendiqué par un groupe extérieur – le Vulkan Gruppe – qui a plongé dans le noir les entrepôts et forcé une fermeture pendant plusieurs jours. En dehors de ces actions, si la tension n’est jamais loin, elle n’est quasiment jamais directe. Les différents membres du camp ont même condamné le sabotage de début mars, qui est arrivé seulement quelques jours après leur installation. De retour au bord de la L23, plusieurs employés Tesla attendent leur navette. L’un d’eux dit alors : « Honnêtement, je comprends très bien leur combat, et on a même des échanges. Ils disent souvent que leur lutte n’est pas dirigée contre nous et savent très bien qu’on doit, nous aussi, nous battre pour gagner notre vie. Ça passe par travailler à l’usine. » Quel peut être alors l’avenir ? Non loin d’un drapeau où un célèbre mème de Drake est reproduit et à quelques mètres d’une table de tennis de table artisanale, Luc répond :  « On a remporté tellement de batailles qu’on ne pensait pas gagner… Celle-ci sera une marche de plus pour un combat climatique et social qui est plus global. On se dit qu’on peut changer quelque chose. On le fait en luttant, on le fait en accueillant des enfants des écoles de Grünheide ou en échangeant avec les habitants, en se serrant les coudes… » À cinq minutes à pied d’ici, l’Euro a déjà repris son cours. Sur un quai de gare, cinq adolescents se massent au-dessus d’un téléphone. Le coup d’envoi de Pologne-Pays-Bas sera donné dans un peu moins d’une heure. Des destins qui se croisent, encore.

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Rebellions, hommages et coups de massue : tout n’est pas à jeter dans cette semaine internationale
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