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Pourquoi Honest Ahanor ne peut pas (encore) être convoqué par l'Italie ?

Par Tristan Pubert
7 minutes

À 17 ans, Honest Ahanor est considéré comme l’un des grands prospects du football italien. Le défenseur de l'Atalanta, brillant contre l'OM la semaine dernière, voit sa carrière internationale freinée par des problèmes administratifs. Il est né et a grandi en Italie, mais il doit attendre sa majorité pour obtenir la nationalité italienne. Un cas loin d'être isolé dans le sport et la société du côté de la Botte, au contraire.

Pourquoi Honest Ahanor ne peut pas (encore) être convoqué par l'Italie ?

Mercredi dernier, au Vélodrome, l’Atalanta crée la sensation en s’imposant 1-0 face à l’Olympique de Marseille. Une victoire polémique durant laquelle un certain Honest Ahanor a particulièrement attiré l’attention des passionnés de ballon rond. Positionné à gauche de la défense à trois de la Dea, le Genovese a écoeuré Aubameyang et compagnie par ses interventions rigoureuses et son sens de l’anticipation. À 17 balais, le néo-bergamasque est considéré comme l’un des joyaux du football de la Botte, après être devenu le premier joueur « italien » né en 2008 à être titulaire en Serie A.

Seulement six matchs avec le Genoa ont suffi à séduire les plus grosses écuries de la Botte, et donc l’Atalanta, qui a sorti 22 millions d’euros pour rafler la mise l’été dernier. S’il est considéré comme un grand espoir, Ahanor ne compte actuellement aucune sélection, ni chez les A, ni chez les jeunes. Une non-convocation qui est la conséquence d’un problème administratif : le joueur est né et a grandi en Italie, mais il ne peut pas (encore) posséder la nationalité italienne.

L’écho de Balotelli

Sur la scène mythique de Sanremo, en février 2024, le rappeur Ghali avait décidé d’interpréter le titre L’italiano de Toto Cutugno. L’occasion pour l’artiste d’origine tunisienne de faire passer un message politique : que ça vous plaise ou non, je suis un Italien, un vrai. Cette question de l’italianité fait écho au cas Honest Ahanor. Comme plus d’un million de mineurs en Italie, ce dernier est victime de la bureaucratie et du principe de Ius sanguinis, le droit du sang en VF. Il est né et a vécu (sans interruption) sur le sol italien depuis sa naissance, mais le natif d’Aversa, en Campanie, n’est pas considéré juridiquement comme italien, ses parents étant nigérians et ne disposant pas de la nationalité italienne. Si en France, un mineur né dans l’Hexagone et ayant vécu au moins 5 ans sur le territoire français, mais de parents étrangers, obtient automatiquement la nationalité à ses 18 ans avec le principe du droit du sol ; de l’autre côté des Alpes, cette naturalisation n’est pas automatique.

C’est blessant de se dire que tu es considéré officiellement comme italien seulement à 18 ans. Quand j’étais petit, c’était quelque chose que j’avais du mal à accepter. Je suis né et j’ai grandi en Italie, pas au Ghana.

Mario Balotelli

« Ce droit n’a aucun sens et il est injuste, introduit Daniele Papa, avocat à Palerme spécialisé dans le droit de l’immigration. Malheureusement, ce n’est pas le premier ni le dernier sportif italien à être victime de ce système. On dit souvent que le sport est une société à part, où le racisme et la discrimination n’existent pas, qu’on accepte tout le monde, peu importe ses différences. Sur le papier, c’est beau. Mais en réalité, et l’exemple d’Ahanor le démontre, c’est autre chose. »

Comme le souligne l’avocat palermitain, Honest Ahanor n’est pas le premier, ni le dernier sportif italien a être confronté ces dernières années. Ce fut notamment le cas d’un certain Mario Balotelli, qui a dû lui aussi attendre ses 18 ans avant d’obtenir la nationalité italienne. « C’est blessant de se dire que tu es considéré officiellement comme italien seulement à 18 ans. Quand j’étais petit, c’était quelque chose que j’avais du mal à accepter. Je suis né et j’ai grandi en Italie, pas au Ghana », témoignait le copain de Patrick Vieira dans un entretien accordé en 2018 à Avvenire. De quoi s’attirer les foudres de Matteo Salvini. « Amuse-toi derrière un ballon et c’est tout », gazouillera le leader de la Ligue du Nord, parti d’extrême-droite.

Mario Balotelli lors de l’obtention de sa carte d’identité, en août 2008. – Italie Photo: Aldo Liverani / Icon Sport – Photo by Icon Sport
Mario Balotelli lors de l’obtention de sa carte d’identité, en août 2008. – Italie Photo: Aldo Liverani / Icon Sport – Photo by Icon Sport

Pour en revenir au cas Honest Ahanor, le défenseur italio-nigérian devra donc attendre le 23 février prochain, jour de sa majorité, pour faire sa demande de nationalité. Un processus que le Genoa avait essayé d’entreprendre l’année dernière, en vain. « Au-delà du côté injuste de cette loi, elle est aussi et surtout contre-nature. La société italienne évolue depuis 30 ans et ce droit du sang ne permet pas d’intégrer de la meilleure des manières ses nouveaux ressortissants », fustige Daniele Pappa. Un agacement qui s’est également fait ressentir du côté de la Nazionale. En effet, Gennaro Gattuso souhaitait convoquer Ahanor en octobre dernier, mais la réalité bureaucratique l’en a empêché. Pendant ce temps-là, le Nigeria, le pays de ses parents, suit la situation avec intérêt.

Un droit du sol à reconsidérer

Honest Ahanor, Mario Balotelli, Ange Ogbonna, Fausto Desalu, Great Nnachi ou encore Myriam Sylla, pour ne citer qu’eux : la liste des sportifs italiens confrontés à cette injustice est longue. Myriam Sylla en garde encore des traumatismes. « J’ai des souvenirs marqués des moments où je devais me rendre au commissariat pour renouveler mon titre de séjour, raconte la volleyeuse championne d’Europe 2021 et finaliste du Mondial 2018 avec l’Italie. C’est une vraie épreuve : arriver à 5 heures du matin, faire la queue et inscrire son nom sur une feuille en espérant qu’il n’y ait pas trop de monde, sinon, il fallait revenir le lendemain. »

C’est vraiment difficile de vivre ça, j’en garde un très mauvais souvenir, de devoir prouver que je suis italienne.

Myriam Sylla, volleyeuse italienne

Celle qui est devenue par la suite internationale italienne estime que ce droit du sang est purement discriminatoire : « C’est vraiment difficile de vivre ça, j’en garde un très mauvais souvenir, de devoir prouver que je suis italienne. Sur les réseaux sociaux, je vois encore des témoignages de ma génération qui n’ont toujours pas le passeport italien et ça m’exaspère. Des gens qui sont nés et ont grandi ici, mais à qui on refuse la nationalité, sans raison valable. »

Myriam Sylla. – Photo by Icon Sport
Myriam Sylla. – Photo by Icon Sport

Qu’est-ce qu’être Italien ? Avoir un arrière-grand-père italien, mais n’avoir jamais vécu en Italie ou bien être né et avoir passé toute sa vie sur le sol italien ? Une question à laquelle a voulu répondre Danielle Frédérique Madam. En 2020, sur son compte Facebook, la lanceuse de poids avait pointé du doigt cette injustice avec le cas Luis Suarez (dont la femme est d’origine italienne), qui avait obtenu la nationalité italienne dans des circonstances discutables : « Il y a des étrangers de rang A et des étrangers de rang B. Je vis en Italie depuis l’âge de 7 ans, j’y ai fait toute ma scolarité, j’ai toujours rêvé un jour de défendre les couleurs de l’Italie. J’espère qu’un jour, quelqu’un au pouvoir, prendra conscience de l’injustice que nous sommes victimes nous, italiens de seconde génération sans citoyenneté. »

C’est injuste pour ces enfants de l’Italie pour qui il est plus difficile d’obtenir la nationalité italienne que d’autres qui sont nés et ont vécu aux USA, en Argentine ou au Brésil, obtiennent la nationalité plus facilement, car ils ont des ancêtres italiens »

Daniele Papa, avocat italien spécialisé dans le droit de l’immigration.

Dans la réalité des faits, il est plus facile pour un Argentin ou un Brésilien qui a des grands-parents italiens d’obtenir la nationalité italienne que pour un gamin qui est né et a grandi en Italie en ayant des parents étrangers, comme peuvent en témoigner les exemples Jorginho, Thiago Motta, João Pedro, et tous les autres. « C’est injuste pour ces enfants de l’Italie de voir que d’autres qui sont nés et ont vécu aux USA, en Argentine ou au Brésil, obtiennent la nationalité plus facilement, car ils ont des ancêtres italiens », constate Daniele Papa.

À la différence de bons nombre de jeunes sans-papiers, Balotelli, Ahanor ou encore Sylla ont la chance d’être des sportifs de haut niveau, ce qui facilite l’obtention de la nationalité italienne. Pour les autres, c’est un véritable parcours du combattant : selon une étude menée par AISE, une agence de renseignement et de sécurité extérieure, le nombre de mineurs obtenant la nationalité est étonnamment faible par rapport à leur présence quantitative dans le pays : sur la période 2019-2023, 295 000 mineurs étrangers ont obtenu la nationalité italienne, alors que plus d’un million de mineurs considérés comme « étrangers » résident en Italie.

Alors que la société italienne se « créolise » au fil des années, le droit du sang vient en quelque sorte freiner l’intégration de ces mineurs, phénomène qui se veut plus médiatisé lorsqu’il concerne des personnalités publiques et donc des sportifs. « Le cas d’Ahanor doit servir d’exemple pour montrer l’injustice de ce droit du sang et son caractère discriminatoire. Il doit faire bouger les choses, en tout cas, je l’espère », conclut Nicolas Papa. En février prochain, il devrait obtenir la nationalité italienne, mais ce problème social, lui, n’aura pas disparu.

L’Atalanta a trouvé le successeur d’Ivan Jurić

Par Tristan Pubert

Propos de Daniele Papa et Myriam Sylla recueillis par TP.

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