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Les joueurs doivent jouer au foot et se taire, vraiment ?

Par Tristan Pubert
8 minutes

En critiquant ouvertement la Coupe du monde des clubs et le calendrier surchargé, Jules Koundé s’est attiré les foudres de nombreux suiveurs de foot, pour lesquels un footballeur professionnel n’aurait pas le droit de se plaindre. Mais alors, les joueurs sont-ils condamnés à uniquement taper dans la balle et à la fermer ?

Les joueurs doivent jouer au foot et se taire, vraiment ?

Vendredi dernier, alors qu’il profitait des derniers moments de ses vacances passées en Jamaïque, Jules Koundé a décidé de lâcher deux tweets, qui ont fait l’effet d’une bombe. « C’est tellement bien d’être en vacances », suivi quelques minutes plus tard d’une publication claire : « Il y a des équipes leur saison, elle a commencé mi-juillet 2024… On est le 4 juillet 2025 et ils jouent encore… » Deux messages qui ont suscité de nombreuses réactions, et parmi elles, cette idée qu’il serait indécent de se plaindre quand on est un footballeur professionnel, que l’on vit de sa passion et que l’on gagne des millions d’euros pour taper dans un ballon.

On peut bien sûr regretter que ces prises de parole régulières contre les cadences infernales (pour une minorité de joueurs évoluant dans les meilleures équipes, en tout cas dans les cinq grands championnats) ne soient pas accompagnées d’actes concrets ou de mouvements collectifs de joueurs qui finissent toujours par se plier à la volonté de leurs employeurs, désireux de remplir leurs caisses et de prendre les millions, quitte à enchaîner les compétitions.

Au-delà de l’aspect physique, il ne faut pas oublier qu’un joueur doit bien aller mentalement pour être performant.

Johan Djourou

Pour autant, faut-il exiger des joueurs qu’ils se taisent ? Doivent-ils seulement être bons à se présenter sur un terrain, jouer au foot et la fermer dans la vie de tous les jours ? À une époque où la communication ultra-contrôlée est à la mode, partager son avis devrait être encouragé. « Il est tout à fait légitime de critiquer cette compétition, il est dans son droit de le faire, pose Johan Djourou, l’ancien défenseur devenu consultant. Et même s’il ne participe pas directement à la compétition, il est l’un des principaux concernés par ce calendrier surchargé. Pourquoi il n’aurait pas le droit de se plaindre ? »

« Koundé montré qu’il est possible de dire ce qu’on pense »

En se qualifiant pour la finale du Mondial des clubs avec le Paris Saint-Germain, Achraf Hakimi a disputé pas moins de 75 matchs depuis juillet 2024, entre le PSG, le Maroc et la sélection olympique marocaine. « Il faut être honnête, quand on est joueur, on préfère jouer tous les trois jours plutôt que de s’entraîner cinq fois dans la semaine et jouer un match par semaine », estime Djourou. Mais pour l’ancien défenseur d’Arsenal, cette Coupe du monde des clubs est de trop : « Quand tu es joueur, tu restes un compétiteur donc forcément, tu vas disputer cette compétition à 100%, c’est normal. Mais mentalement, ne pas avoir de coupure et enchaîner les matchs, ça peut devenir très usant. Les gens ne se rendent pas compte de l’exigence que ça demande d’être toujours au top. Au-delà de l’aspect physique, il ne faut pas oublier qu’un joueur doit bien aller mentalement pour être performant. »

D’où l’importance des vacances pour recharger les batteries, couper pendant quelques semaines, passer du temps avec les siens, tout ce qui est essentiel à un être humain pour aller mieux. Ce calendrier surchargé, l’international français n’est pas le seul à s’en plaindre, de Toni Kroos, à Pep Guardiola, en passant par Jürgen Klopp, Raphaël Varane, ou encore Kevin De Bruyne. En septembre dernier, avant un match de Ligue des champions contre l’AS Monaco, Koundé soulignait déjà l’inaction des instances à propos des cadences : « Ça fait trois ou quatre ans qu’on le dit et personne ne nous écoute. Il va arriver un moment où on va faire grève. » Pour la grève, on attend toujours.

Pour beaucoup, les arguments avancés par le latéral blaugrana sur le calendrier surchargé ne sont pas valables. Néanmoins, et jusqu’à preuve du contraire, les footballeurs restent des travailleurs (certes pas tout à fait comme les autres) et ont donc le droit de demander des meilleures conditions de travail. « Être footballeur professionnel, ça ne donne pas des droits supplémentaires, mais ça n’en enlève pas non plus », introduit Gilles Vervisch. Le philosophe et auteur du livre De la tête aux pieds – philosophie du football précise : « Ce sont les premiers concernés donc heureusement qu’ils peuvent s’exprimer. On reproche souvent aux joueurs d’être déconnectés, mais Koundé montre qu’il est possible de dire ce que l’on pense ouvertement, dans un système qui contraint souvent les joueurs à se taire. Surtout que dans ce cas précis, il dénonce un système qui tend à exploiter en quelque sorte les joueurs. »

La liberté de penser des footballeurs

Pour Gilles Vervisch, l’argument « ils sont millionnaires donc ils ne peuvent pas se plaindre » ne tient pas : « Qu’on le veuille ou non, les footballeurs restent des employés, les pions d’un système, ce ne sont pas des chefs d’entreprise qui gagnent des millions sur le dos des autres en exploitant leur travail. Bien sûr, ils gagnent des sommes colossales en comparaison aux autres. On aime bien se moquer des footballeurs, dire que ce sont des milliardaires qui courent derrière un ballon. Mais si les gens continuent à regarder, c’est qu’il y a quand même toute une fonction symbolique d’unification, d’espoir, d’enthousiasme, d’émotion. Ils émeuvent les foules sentimentales et sont un peu payés à la hauteur des émotions qu’ils procurent. »

Comme n’importe quel employé du monde entier, Koundé a le droit de demander des meilleures conditions de travail.

Gilles Vervisch, philosophe et auteur

Au travers de ses prises de parole, Jules Koundé n’a – à aucun moment – laissé sous-entendre que le métier de footballeur est plus difficile que celui de sage-femme ou de cariste, là n’est pas la question. Bien qu’il fasse partie d’un système ultra-capitaliste et qu’il en profite directement, le Barcelonais est dans son droit le plus fondamental de demander de meilleures conditions de travail, en l’occurrence ici de diminuer la cadence des matchs, au même titre que n’importe quel travailleur. Comme disait Michel Foucault, « là où il y a pouvoir, il y a résistance ». Autrement dit, il est possible de critiquer un système tout en bénéficiant de celui-ci. « Je peux comprendre que d’un point de vue extérieur, on trouve ça démesuré qu’un footballeur puisse se plaindre, tempère Djourou. On se dit : “Mais putain, autant d’argent pour ce joueur dans ce monde de football alors que des gens meurent en Palestine ou en Ukraine.” Mais en vérité, Koundé ne dit pas que le métier de footballeur est trop dur, il ne se plaint pas, mais demande simplement de baisser la cadence, c’est tout. »

Bien qu’être footballeur soit un métier passion, l’ancien international suisse devenu coordinateur sportif de la sélection féminine suisse actuellement engagée à l’Euro aime aussi rappeler les difficultés du métier : « Être athlète de haut niveau, ce n’est pas donné à tout le monde. Certaines personnes disent que pour 10 millions d’euros par an, elles le feraient. Mais je vous assure que ce n’est pas simple, être loin de sa famille, s’entraîner tous les jours, faire constamment attention à son corps, les critiques, la concurrence, être footballeur, c’est un vrai travail. » Un constat partagé par Gilles Vervisch : « Certes, être footballeur et gagner des millions d’euros, ça fait rêver, mais ça ne veut pas dire que c’est facile. Et comme n’importe quel employé du monde entier, Koundé a le droit de demander des meilleures conditions de travail. »

Sois footballeur et tais-toi

À l’heure d’un football de plus en plus aseptisé, où les clubs ferment leurs portes aux médias et que les joueurs sont entourés par toute une équipe de communication, Koundé est en quelque sorte un électron libre, qui n’a pas peur d’affirmer sa personnalité (notamment dans son style vestimentaire) et de dire ce qu’il pense (même si obtenir un entretien avec lui reste une épreuve). Au-delà du calendrier surchargé, l’international tricolore n’hésite pas à prendre position sur différents sujets, comme la Palestine, lors des législatives en appelant à faire barrage à l’extrême droite, ou encore lors du meurtre du jeune Nahel Merzouk par un policier.

Nous sommes des personnes et des citoyens avant d’être des footballeurs.

Jules Koundé dans Clique

« C’est le seul joueur français actuellement qui dit ce qu’il pense, sans se cacher », se félicite Gilles Vervisch. Pour le philosophe, qui monte actuellement sur scène, cette liberté est à louer : « On ramène souvent les footballeurs à leur condition et on les rabaisse dès qu’ils décident de parler. Mais Koundé lui n’a pas peur, il va au front et se mouille. » Sur le plateau de Clique, l’ancien Bordelais expliquait justement cet attachement à la liberté d’expression : « On aime bien enfermer les footballeurs dans une boîte dans laquelle on serait interdit de donner notre avis sur les sujets qui nous concernent au même titre que tout autre citoyen. Car oui, s’il fallait le rappeler, nous sommes des personnes et des citoyens avant d’être des footballeurs. »

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Une liberté d’expression qu’apprécie également Djourou : « Les footballeurs sont tout à fait légitimes pour parler de certains sujets qui les touchent directement ou indirectement. Et puis, si on veut vraiment parler de légitimité, des journalistes nous mettaient des notes chaque week-end alors qu’ils n’avaient jamais joué au football de leur vie. On réduit toujours les footballeurs au football, on ne veut pas forcément qu’ils s’expriment sur différents sujets. Jusqu’à preuve du contraire, un footballeur, c’est un citoyen qui est dans son droit de parler de ce qu’il veut. »

Âgé de 28 balais, Koundé fait partie de cette nouvelle génération de joueurs qui n’ont pas leur langue dans leur poche, au même titre que Héctor Bellerín, Marcus Rashford, Alphonso Davies ou encore Leon Goretzka. Une liberté qui fait du bien et qui doit être encouragée. Alors oui, Jules Koundé ne révolutionnera pas le football et son système capitaliste, mais le simple fait de parler librement montre qu’il est tout à fait possible, en tant que footballeur multimillionnaire, de ne pas être lisse et déconnecté des réalités.

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Par Tristan Pubert

Propos de Johan Djourou et Gilles Vervisch recueillis par TP.

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