L’envers du nord
A propos du livre de Jean-Jacques Eydelie et Michel Biet : "je ne joue plus !". L’affaire VA/OM ou les contradictions du football hexagonal et les états d'âme d'un repenti.
Hasard du calendrier ou besoin de remplir le creux des parutions littéraires du mois de février, toujours est-il que deux récents ouvrages se télescopent dans les bacs.
D’abord une enquête sur Vahid Halilhodzic co-écrite par Laurent Jaoui et Lionel Rosso. Ensuite le témoignage de Jean-Jacques Eydelie sur l’affaire VA/OM.
D’un côté l’ancien Roland du camp des loges, l’Ajax bosniaque, l’Achille du LOSC. De l’autre, Jean-Jacques Eydelie, le chevalier blanc de la vérité retrouvée, l’ancien porteur d’enveloppes, qui offre sa version de l’histoire révélée d’une affaire de corruption. Jean-Jacques Eydelie, le joueur de l’OM qui servit d’intermédiaire pour arranger le match Valenciennes / OM. Jean-Jacques Eydelie, l’homme qui contacta le 19 mai 1993 Christophe Robert, Jorge Burruchaga, Jacques Glassmann. Tout le monde connaît la suite. Seul le livre du joueur martyr retiendra notre attention.
Nous ne jugerons pas la question que pose cette parution au seul nombre de publications qui lui sont consacrées. Il suffit pour s’en convaincre de relire les papiers et commentaires produits dans le prolongement de l’interview teasing donnée par l’ancien marseillais au supplément magazine du samedi du journal l’Equipe le 21 janvier 2006. Cette importance d’avis contradictoires suffit d’ailleurs à s’interroger sur l’intérêt de la présentation d’une synthèse, voire d’une lecture, puisque tout aurait été dit et écrit.
Deux raisons paraissent justifier l’entreprise. La somme des commentaires des acteurs de l’affaire et l’évocation parcellaire des procès-verbaux de l’enquête policière ont jusqu’à aujourd’hui fait un écran de fumée. S’interroger sur la place de révélations qui n’en sont pas réellement et la portée cathartique de l’ouvrage présente également un sens. Malheureusement les attentes sont déçues.
En préambule Jean-Jacques Eydelie déclare qu’il a menti à la justice et qu’il a aujourd’hui décidé de dire la vérité. A le croire, le joueur de l’OM qu’il était, le prévenu qu’il fut, le condamné qu’il devint, était marqué du sceau du mensonge afin de se protéger de la vérité. Un mensonge fabriqué par la vie de joueur qu’il vécut. Un mensonge qui devint sa vérité. Un mensonge dicté par une mauvaise décision. Parce que « personne ne nous apprend ça dans les écoles de foot. Penser. Décider. » (pp. 207). Accepter d’être le bras d’une corruption pour disputer la finale de la Coupe d’Europe des clubs champions millésime 1993. Accepter d’exécuter un ordre « pour remporter le plus prestigieux des trophées » (pp. 207). Selon Jean-Jacques Eydelie, son seul malheur aura été d’être lâche afin de protéger un homme : Bernard Tapie.
Bernard Tapie, le président d’alors de l’OM dont Jean-Jacques Eydelie écrit après la finale victorieuse de 1993 : « A aucun moment Tapie ne pose les yeux sur moi. Malgré la plus intense des émotions, malgré l’ivresse du plus grand des succès, j’ai le sentiment de ne plus exister pour lui (pp. 85). » Bernard Tapie et sa nervosité la veille du début du procès O.M/V.A. Bernard Tapie qui noie son angoisse dans le whisky (pp. 164 : « Pour la première fois, il boit de l’alcool devant moi. Il enchaîne les verres de whisky). » Bernard Tapie dont le plus grand tort aura été pour Jean-Jacques Eydelie de ne pas tenir ce qu’il lui avait promis.
Le livre de Jean-Jacques Eydelie n’est qu’un réquisitoire contre la malhonnêteté des dirigeants du football français, l’hypocrisie des fédérations, la médiocrité des amis d’un joueur aujourd’hui revenu de tout mais surtout de lui-même. Alternant moments clés de l’affaire et le rappel historique du contexte, Jean-Jacques Eydelie et son collaborateur de rédaction (Michel Biet) dénoncent les matchs « achetés » , les joueurs dopés, l’influence du milieu, les ramifications mafieuses autour de l’OM ( « le côté obscur » pp. 41 à 49).
Jean-Jacques Eydelie se perd souvent dans des réflexions générales. Les maux du foot français (pp. 69 à 75), le dopage (pp. 91 à 95) par exemple. Suivant une technique de récits croisés, Jean-Jacques Eydelie parle de ses coéquipiers : Didier Deschamps ou Marcel Desailly sont présentés comme des êtres « calculateurs » (pp.32) ; de son annonce faite aux dirigeants de l’OM de prochaines perquisitions au siège du club au lendemain d’un interrogatoire (pp. 110) ; de François Mitterrand, Avocat de Tapie (pp. 133 à 135) ; de Marc Fratani, intermédiaire de Bernard Tapie lorsqu’il s’agissait de lui verser une somme globale de 500.000 FF ; de sa rencontre avec Diego Maradona ; d’un engagement impossible avec le club de Boca Juniors en août 1993 en raison d’une suspension de 18 mois ; de son second avocat lors du procès pour corruption qui débuta le 13 mars 1995, cet avocat qui lui avait été recommandé par le juge d’instruction. « Après le choix du Boss [Bernard Tapie], Lefebvre est un peu celui du juge d’instruction. J’ai donc droit au bâtonnier, commis d’office. A près de soixante ans, c’est l’apogée de sa carrière (pp.128). »
Lire les propos de Jean-Jacques Eydelie, le comprendre, entendre son désarroi, sa colère, sentir sa précarité, son gaspillage, c’est l’excuser. Mais tout de même. Une repentance, le mot est à la mode, aussi tardive. Etait-ce bien nécessaire ? Car un malaise diffus étreint le lecteur. « Je ne joue plus » occulte l’essentiel : le courage de Jacques Glassmann qui au jeu de la loyauté et de sa carrière a choisi la première alors que Jean-Jacques Eydelie faisait l’inverse. Asymétrie de l’information au moment de faire ce choix fondé sur une logique économique pour l’auteur et non sur la morale et l’honneur ?
Jean-Jacques Eydelie parle parfois de lui à la troisième personne, à moins qu’il ne soit dépossédé de lui-même, de son histoire. Jean-Jacques Eydelie a menti sur la foi de belles promesses de Bernard Tapie. Pour de l’argent et pour rien d’autre. Les belles promesses n’ont pas été tenues. Donc Jean-Jacques Eydelie parle, se met à table. Et tant pis s’il faut qu’il s’offusque du jour où Jean-Pierre Bernès craque à l’audience. « Il est faible. Nous devions tous protéger le club et assumer nos actes sans mouiller le boss. Il n’avait qu’à tout prendre sur lui si il aimait vraiment l’OM. » (pp. 172-173)
Aux rapports entre les hommes fondés sur la force, Jean-Jacques Eydelie choisit sur le tard la vérité. Mais lui qui s’est enfermé dans une posture folle pour le bien de sa famille, qu’offre t-il de plus ? Une vérité à découvrir ou une vérité à construire ? Où est l’accord de la pensée avec le réel ? Jean-Jacques Eydelie ne joue t-il pas encore le mythe de la caverne, confondant l’ombre projetée avec le sujet en pleine lumière ?
A sa façon, Jean-Jacques Eydelie offre sa parabole du petit rapporteur. A l’insu de son plein gré ? Nul ne le saura jamais. Mark Twain disait que la « vérité est la chose la plus précieuse que nous ayons… Economisons là ! » Jean-Jacques Eydelie a liquidé son compte…
Jean-François BORNE
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