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Le challenge dans le football : fausse bonne idée ou vraie révolution ?
Alors que les tensions entre arbitres, clubs et instances atteignent un nouveau sommet et qu’une réunion est prévue ce lundi, une idée s’invite dans le débat : permettre aux entraîneurs de challenger une décision arbitrale. Inspiré d’autres sports, comme le basketball ou le volley-ball, ce mécanisme pourrait-il apaiser le climat... ou accentuer les fractures ?
Ce lundi 1er décembre, Anthony Gautier, le directeur de l’arbitrage à la FFF, va ressusciter ce que beaucoup pensaient enterré : le comité de liaison entre arbitres et clubs. Une instance réintroduite à l’été 2024 en France pour apaiser les tensions, puis désertée au cœur de la saison 2024-2025 quand les polémiques ont tout emporté. La réactiver aujourd’hui tient presque de l’acte désespéré : remettre un peu de dialogue dans un climat où chaque décision déclenche une controverse. Dans cet écosystème où plus personne ne se parle, une idée réapparaît par ricochet, parfois comme une blague qui n’en est plus vraiment une : et si le football introduisait un challenge pour les entraîneurs ?
Un carton vert, comme celui testé récemment lors des Coupes du monde U17 et U20, qui leur permettrait de demander à l’arbitre d’aller revoir une action. Une fois par match, renouvelable en cas de décision confirmée. Rien d’officiel, rien de prévu par l’IFAB, mais une période pour y réfléchir, et interroger ceux qui vivent avec le challenge depuis longtemps, dans d’autres sports.
Volley, basket… ces sports ont déjà sauté le pas
Laurent Tillie, ancien sélectionneur de l’équipe de France de volley-ball, a vu le système de challenge apparaître dès 2014 au niveau international, en même temps que l’arbitrage vidéo. Dans son sport, le challenge a profondément modifié l’ambiance. « Il n’a pas changé le jeu, mais il a changé le confort des arbitres et celui des coachs, parce qu’on ne peut plus contester l’image », explique-t-il. Au volley, le ballon circule à près de 130 km/h sur moins de dix mètres. Les mains, les doigts, le filet sont sollicités en permanence. L’arbitrage humain n’a, seul, pratiquement aucune chance.
C’est un point positif qui a changé à 100 % l’attitude des coachs, des arbitres et des joueurs. Il y a plus de confiance, un climat plus détendu avec le corps arbitral et les décisions.
Le challenge a donc fait disparaître une grande partie des tensions. « C’est un point positif qui a changé à 100 % l’attitude des coachs, des arbitres et des joueurs. Il y a plus de confiance, un climat plus détendu avec le corps arbitral et les décisions », poursuit Tillie. Il rappelle même que, lors de certaines compétitions à l’étranger, les juges de ligne locaux pouvaient « arranger » la réalité : « Aujourd’hui, avec les caméras, on ne peut plus tricher. »

Le basket, lui, vit avec le challenge depuis environ 4-5 ans. Frédéric Fauthoux, sélectionneur de l’équipe de France, le décrit comme un outil ambivalent : utile, mais loin d’être miraculeux : « C’est à la fois un outil de justice et un outil tactique. » Ballon sorti, faute antisportive, chrono à vérifier : le challenge peut réparer une injustice. « Ça peut être une arme, reconnaît-il. Il faut savoir le garder pour les moments importants, surtout en fin de match, parce qu’on n’en a qu’un par rencontre, renouvelable si on a raison. Il y a donc une vraie gestion du challenge. »
Au volley, où les entraîneurs disposent de deux challenges par set, Tillie reconnaît aussi s’en servir comme outil de management : « Souvent, je l’utilise pour calmer mes joueurs. Ils me hurlent : “J’AI PAS TOUCHÉ ! J’AI PAS TOUCHÉ !” On challenge… et finalement ils ont touché la balle. Après, c’est réglé : c’est moi qui décide, se marre-t-il. C’est une façon d’apaiser et de mieux gérer l’humain. » Même si, selon l’expérience de Fauthoux, la possibilité d’avoir recours à un challenge ne fait pas disparaître la frustration : « Elle est toujours là, parce qu’on aimerait challenger beaucoup plus souvent. Le basket va très vite, il y a énormément de contacts, autorisés ou non. Et le basket est un sport d’erreurs : le but du jeu est d’en faire le moins possible. » Avec le challenge, la frustration devient simplement plus rationnelle.
Ce que le foot pourrait y gagner
Le foot est l’un des derniers grands sports où l’usage de la vidéo reste encore trop opaque, centralisé sur les arbitres et infantilisant pour les acteurs. La VAR intervient, ou n’intervient pas, selon la mystérieuse notion d’« erreur manifeste », terme tellement flou qu’il alimente davantage de paranoïa que de transparence. Les arbitres vidéo, eux, restent invisibles, retranchés dans un camion, à mille lieues du terrain. Les entraîneurs hurlent sans savoir si quelqu’un écoute. Et les présidents jouent les clients mécontents, à l’image d’Olivier Létang menaçant l’arbitrage d’aller voir le responsable du restaurant Monsieur Čeferin.
Prenez le stade Vélodrome : même avec une explication, est-ce que tout le monde accepterait la décision ?
Le challenge pourrait renverser cette méfiance. Il réintroduirait de la responsabilité partout : à l’entraîneur qui demande une vérification ; à l’arbitre qui va voir l’image ; aux joueurs un peu plus encouragés à ne pas chercher à duper les arbitres ou leur coach. Et pourquoi ne pas aller plus loin et créer un véritable métier d’arbitre vidéo, éventuellement composé d’anciens joueurs, plus sensibles à l’interprétation des actions ? Dans les meilleurs cas, le football redeviendrait un espace où les acteurs assument leurs décisions, leurs doutes et leurs demandes.

Le meilleur exemple de l’utilisation du challenge a eu lieu lors de la finale du Mondial U20. Le premier but marocain, inscrit sur coup franc direct par Yassir Zabiri, n’aurait jamais existé sans le fameux carton vert. La faute à l’origine du coup franc n’avait pas été sifflée initialement et ne devait pas être revue, puisqu’elle ne concernait ni un penalty ni un carton rouge. Mohamed Ouahbi, sélectionneur marocain, et son staff avaient tout vu et ont demandé à l’arbitre d’aller consulter la vidéo. Les ralentis ont rendu la faute évidente : carton jaune pour le gardien argentin, coup franc… et ouverture du score dans la foulée.
Pour annoncer sa décision, l’arbitre a ensuite pris la parole au micro afin d’expliquer son choix au stade et aux téléspectateurs. Une démarche pédagogique déjà pratiquée dans certains championnats, comme la Serie A, et depuis longtemps en basket. Mais Fauthoux reste prudent : « C’est très intéressant pédagogiquement, expliquer la règle et le processus. Ça éduquera une partie du public. Mais il y en aura toujours une autre qui ne comprendra pas. Prenez le stade Vélodrome : même avec une explication, est-ce que tout le monde accepterait la décision ? »
« Certaines légendes viennent d’erreurs humaines »
Le challenge ne réglerait pas tout. La question de l’interprétation restera centrale. Qu’il s’agisse de la VAR ou d’un challenge, la zone grise existera toujours. L’exemple récent de la possible faute de Vitinha sur Tanner Tessmann lors de la victoire du PSG au Groupama Stadium (2-3) l’illustre bien. Benoît Bastien n’était pas allé voir les images, se fiant aux informations transmises depuis le camion VAR. Si, à la suite d’un challenge demandé par Paulo Fonseca (ou Jorge Maciel), Benoît Bastien avait visionné les images puis maintenu sa décision, la controverse aurait été sans fin. Surtout depuis les corrections de la DTA après chaque week-end, qui ravivent la frustration des supporters et des clubs.
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Fauthoux alerte également sur les dérives du challenge en fin de match. En NBA, les dernières secondes peuvent durer un quart d’heure. Le challenge peut aussi devenir un moyen de hacher le jeu, voire d’agir de manière opportuniste. « Ça nous sert parfois de temps mort déguisé, assume-t-il. On casse le rythme quand il ne nous est pas favorable. C’est une autre dimension tactique du challenge. » Plus largement demeure cette crainte, presque taboue, que la technologie finisse par aseptiser le sport. « Certaines légendes viennent d’erreurs humaines », rappelle Fauthoux. Dès que les images sont à disposition, ces erreurs ne sont plus tolérées.
Aujourd’hui, la VAR transforme les arbitres en prestataires plus qu’en partenaires. Introduire un challenge, ce serait une tentative de rééquilibrage, tout en admettant que l’utopie de la perfection arbitrale est ridicule et impossible. Le football se juge et se jauge à vitesse réelle. Et si, finalement, ce petit carton vert devenait le premier pas vers un football qui recommence à se parler ?
Wesley Fofana, des Blues aux Bleus ?Sacha François



























