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  • CAN 2025

La CAN, encore une compétition décoloniale ?

Par Tristan Pubert
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Depuis bientôt 70 ans, la CAN est devenue le rendez-vous incontournable tous les deux ans pour les amoureux du football (africain). Et plus que toute autre compétition, la Coupe d’Afrique des nations a une portée historique forte et décoloniale. En 2025, la CAN peut-elle toujours se targuer d’être décoloniale ?

La CAN, encore une compétition décoloniale ?

Le 14 décembre 2022, au stade Al-Bayt, le Maroc s’inclinait en demi-finales de la Coupe du monde face à l’équipe de France (0-2), avec les honneurs. Les Lions de l’Atlas viennent alors d’entrer dans l’histoire, devenant la première sélection africaine à atteindre le dernier carré du Mondial. Un exploit, vitrine d’un football africain qui ne cesse de progresser à vitesse grand V. Bien que l’Afrique ait toujours eu de grandes sélections et des joueurs mythiques, le niveau global et la compétitivité n’ont jamais été aussi élevés, avec des équipes qui n’ont plus rien à envier aux Européens et aux Sud-Américains : Sénégal, Maroc, Côte d’Ivoire, Algérie, Nigeria, Égypte, pour ne citer qu’eux. Plus que jamais, le football africain s’affirme sur le rectangle vert et la CAN vient en attester. Mais malgré tout, la Coupe d’Afrique des nations est encore aujourd’hui globalement méprisée dans le football occidental. Pourquoi ? Rembobinons.

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Congrès FIFA, Apartheid et Nkrumah

8 juin 1956, Lisbonne. Dans la capitale portugaise se déroule alors le 30e congrès de la FIFA où est présente une délégation de sept Africains (trois Égyptiens, trois Soudanais et un Sud-Africain). Parmi eux, Abdelaziz Salem, qui est en quelque sorte le représentant du football africain auprès de la FIFA, lui qui est alors membre du comité exécutif de la FIFA. Et ce dernier voit les choses en grand pour son pays et pour le continent africain : la création d’une confédération africaine de football (la future CAF) et d’un tournoi continental. Mais les Occidentaux s’y opposent. « À ce moment-là, le continent africain est encore colonisé, très peu de pays sont indépendants. L’Égypte de Nasser est un moteur de décolonisation et la volonté de créer une compétition 100% africaine, les Européens n’en veulent pas », rappelle Saïd El Abadi, auteur du livre L’Histoire du football africain.

Face à ce refus, Abdelaziz Salem répondra de manière sèche : « Si ici, nous ne sommes pas respectés et pas tous traités de manière égalitaire, notre présence parmi vous est inutile. » Après plusieurs mois de négociations, la CAF voit le jour en 1957, et la première édition de la CAN – nommée alors le tournoi Abdelaziz Salem – est annoncée pour le mois de février au Soudan avec quatre pays conviés (à cette époque, seulement neuf pays sur le continent sont indépendants) : le Soudan, l’Égypte, l’Éthiopie et enfin l’Afrique du Sud, qui sera suspendue pendant plus de 30 ans en raison de l’Apartheid. Une décision forte et anticoloniale. Par son existence, la CAN devient – au début des années 1960 – une compétition décoloniale. « La création de la CAN visait à affirmer l’égalité des Africains avec les Européens, qui colonisaient encore à ce moment-là une grande partie du continent », souligne Peter Alegi. Pour cet historien spécialiste du football africain, la Coupe d’Afrique des nations « a mis la lumière sur les idées panafricaines, permettant à celles-ci de s’affirmer et d’avoir une portée encore plus grande. »

Si ici, nous ne sommes pas respectés et pas tous traités de manière égalitaire, notre présence parmi vous est inutile.

Abdelaziz Salem, représentant de la délégation égyptienne de football, lors du 30e congrès de la FIFA.

Et en effet, en passant de trois participants en 1957 à huit en 1968 avec l’indépendance de nombreux pays, « la CAN a permis à ces pays d’affirmer leur identité et de revendiquer en quelque sorte leur existence, en participant à une compétition sportive majeure. Participer à cette compétition avait une portée politique sur la scène internationale », analyse Saïd. De nombreux pays comprennent le rôle émancipateur du sport et donc de la CAN. Parmi eux : la Guinée de Sékou Touré et le Ghana de Kwame Nkrumah. Panafricains convaincus, Touré et Nkrumah font du sport un outil d’émancipation et d’affirmation de leur indépendance. Le président guinéen opère dans les années 1970 un important chantier dans les domaines du sport et de la culture, avec comme résultat une deuxième place lors de la CAN 1976, derrière le Maroc. La Guinée s’inspire du Ghana de Kwame Nkrumah qui, dix ans auparavant, avait remporté deux CAN consécutives en 1963 et en 1965. Un symbole jusqu’au maillot porté, avec la fameuse étoile noire, référence directe à Black Star Line de Marcus Garvey. Autre symbole : l’Afrique du Sud, de nouveau autorisée à disputer la CAN en 1996, remporte la compétition.

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Ambiance – 03.02.1996 – Ghana / Zambie – Match de classement Coupe d’Afrique des nations 1996 Photo : Eric Renard / Icon Sport – Photo by Icon Sport

Si au fil des années, « sa portée décoloniale s’est peu à peu diluée », comme le rappelle Peter Alegi, la CAN reste une compétition qui dérange toujours l’establishment footballistique occidental, de par son organisation (une édition tous les deux ans, en hiver très souvent pour des raisons climatiques) : « Encore aujourd’hui, la CAN dérange les clubs européens, c’est une compétition politique malgré elle », constate Saïd El Abadi.

Et aujourd’hui ?

« En 1990 et 1994, il y avait deux équipes africaines, maintenant il y en a huit. Il faut revoir les critères. » C’est avec cette analyse que Gennaro Gattuso a voulu justifier la situation dans laquelle se trouvait la Nazionale dans les qualifications au Mondial. Une déclaration qui témoigne d’un mépris, pour ne pas dire d’un racisme latent, de l’Europe concernant le Sud. Mais le sélectionneur italien n’est pas le seul à être méprisant concernant le football africain. À chaque début de CAN, de nombreux éditorialistes, entraîneurs, dirigeants, clubs témoignent de leur dédain concernant cette compétition internationale, la troisième plus suivie dans le monde. Dernier exemple en date, le cas Assane Diao et Cesc Fàbregas. « Les mots prononcés par Fàbregas et l’affaire dans sa globalité démontrent qu’encore aujourd’hui, de nombreux Européens n’ont aucun respect concernant l’Afrique », constate Saïd.

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Dans un reportage pour Deux Nuits avec, Gédéon Kalulu rappelait aussi le manque de considération de son entraîneur de l’époque, Régis Le Bris, concernant la CAN : « Quand je reviens de la CAN où j’estime avoir été performant (avec la RDC, Kalulu atteindra les demi-finales de la compétition, éliminé par la Côte d’Ivoire, NDLR), j’ai un entretien avec lui où il me dit qu’il n’a pas regardé la CAN, pas un seul de mes matchs, alors que je réalise un super parcours avec mon pays. Dans cet entretien, il confond le Congo et le Gabon, il voulait me faire comprendre qu’il n’en avait rien à faire de la CAN. » Avant même de savoir que la CAN aura désormais lieu tous les quatre ans pour se plier aux ordres de la FIFA, Saïd El Abadi pointait du doigt la « responsabilité de la CAF qui ne se montre pas assez ferme face à la FIFA ». Finalement, la Coupe d’Afrique des nations est un exemple concret du rapport post-colonial entre le Nord et le Sud. La compétition est souvent reléguée au second plan par les instances internationales. Pour rappel, la CAN devait initialement avoir lieu l’été dernier, mais a été repoussée en raison de la fabuleuse Coupe du monde des clubs. Une énième preuve du mépris de l’Occident envers l’Afrique.

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Par Tristan Pubert

Propos de Saïd El Abadi et Peter Alegi recueillis par TP.

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