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Joël Thibault : « Quand je vois Neymar avec un bandeau 100% Jésus, je m'interroge »
Pasteur protestant évangélique, Joël Thibault accompagne plusieurs sportifs de haut niveau dans leur quête de spiritualité. Dans l’ouvrage « L’aumônier des champions » (Les éditions du cerf), il raconte tout ce qui touche à sa mission.
Vous êtes aumônier du sport accrédité depuis 2014, en quoi consistent vos missions ?
Comme dans les hôpitaux, les prisons ou dans les armées, l’aumônier du sport est là pour apporter une assistance spirituelle, notamment dans les gestions de crise. C’est aussi quelqu’un qui doit être présent pour proposer une écoute bienveillante. Souvent, le sportif est réduit à sa seule performance. Il a du mal à trouver des personnes neutres dans son entourage, auprès desquelles il peut vraiment parler et se confier sans que cela risque de fuiter dans la presse. Nous sommes également là pour encadrer des temps collectifs de prière, de lecture ou de découverte de la foi.
Vous intervenez aussi dans le cadre de grands événements sportifs, comme les Jeux olympiques ou les Mondiaux d’athlétisme. Les athlètes ressentent-ils le besoin d’être encore mieux accompagnés, lors de ces grandes échéances ?
Oui. Pour certains, il s’agit de la première grande compétition mondiale. Il y a un manque d’expérience du stress, de la pression. Les sportifs vivent en vase clos, restent entre eux pour aller de l’hôtel au stade, puis du stade à l’hôtel. Toujours les mêmes blagues, les mêmes discussions, les mêmes chambrages… Ça peut être compliqué d’avoir des discussions sérieuses. Comme ils ont du temps à tuer, on peut trouver un moment pour échanger sur la foi. Même si je suis aumônier protestant évangélique, je suis ouvert à la discussion avec n’importe qui quelle que soit sa confession.
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— Joel (@ThibaultJoel) March 15, 2023
Vous avez une longue expérience dans le football en tant que joueur et éducateur, maîtriser les codes de ce milieu est-il un atout ?
Je suis quelqu’un du sérail. Ce que ces champions ont vécu, je l’ai vécu moi-même. À des degrés différents, bien sûr. La pression, on peut se la mettre pour jouer devant un stade plein ou devant trois spectateurs, ce sont les mêmes mécanismes. Mon parcours m’a aidé à comprendre les codes du milieu, certains sportifs me demandent même ce que j’ai pensé de leur match !
En lisant votre livre, on constate que les sportifs vous sollicitent surtout quand ils traversent des périodes difficiles, par exemple liées à des blessures. En quoi pouvez-vous leur être utile, dans ces moments-là ?
La foi rassure, elle permet de se mettre au calme et de chercher la paix ou de prendre de la hauteur sur les événements sans être envahi par les émotions négatives. La colère est légitime, mais il ne faut pas se laisser emporter par la haine. Sinon, cela pollue tout. Je pense à David Alcibiade, j’ai été là pour l’aider au moment où il aurait pu passer à côté de son rêve. À cause d’une blessure, il est passé en un rien de temps de grand espoir à joueur de réserve. Il se dispersait dans sa vie sentimentale, on a même cherché à le corrompre pour truquer un match. Finalement, je l’ai aidé à reconstruire un cadre, et il a atteint son but. Ce n’est pas rien de jouer en Ligue 1 sous Claudio Ranieri, même s’il n’a pas disputé beaucoup de matchs (trois avec Nantes en 2017-2018, NDLR). Ça a été l’un de mes plus grands investissements de ces dernières années, notre relation a été très forte.
Quelles autres relations avec des footballeurs vous ont marqué ?
Je pourrais parler d’Aurélien Collin, notre relation se bâtit au cœur de son succès (champion de MLS en 2013 et MVP de la finale, NDLR). Or, ce succès ne le rend pas heureux, car il a besoin d’autre chose. C’est comme avec Olivier Giroud. Une fois qu’il a été champion du monde, il aurait pu se dire qu’il n’avait plus besoin de Jésus. Mais finalement, notre relation s’est amplifiée après ce titre. Il y a tellement de choses à approfondir, dans la Bible… Et puis, il y a un immense défi devant nous. Le christianisme, c’est : « Aimez-vous les uns les autres. » Apprendre l’amour, ça prend toute une vie.
On a aussi l’impression que certains joueurs se tournent vers Dieu par superstition, comme pour chasser le mauvais œil…
Oui, et j’y suis très attentif. Je ne suis pas magicien et je me contente d’emmener les gens vers Jésus, c’est lui qui peut créer des miracles. Les joueurs qui ont beaucoup d’argent pensent qu’ils peuvent acheter n’importe quel service, y compris divin. Ce sont des gens très capricieux, qui n’aiment pas qu’on leur dise non. Pourtant, quand Dieu dit « non », c’est parce qu’il a un meilleur « oui » à proposer.
Vous ne touchez pas un centime de la part des sportifs que vous accompagnez, malgré tout le temps que vous leur consacrez. C’est une façon de préserver votre indépendance ?
Tout à fait. Le foot peut être pourri par les rapports d’argent, dans lesquels on s’intéresse aux gens pour ce qu’ils ont et pas pour ce qu’ils sont. Moi, mon école est celle du Christ. Jésus traitait de la même manière un riche et un pauvre, c’est l’exemple que je veux suivre. Des gens pensent que je pourrais facturer mes séances de coaching à 500 euros, ils trouvent idiot que je ne le fasse pas. Mais Dieu pourvoit à tous mes besoins, et par conséquent, je garde toute ma liberté. Si un sportif me demande de lui dire la vérité, je ne vais pas lui livrer des paroles mielleuses, et la parole de Dieu n’est pas toujours plaisante à entendre.
Une relation sincère et désintéressée, cela doit changer pour ces joueurs souvent entourés d’« amis » surtout là pour profiter de leur générosité, non ?
En ce moment, j’accompagne un joueur d’un autre standing qu’Olivier. Il a dû couper toutes les relations qu’il avait parce que les gens venaient le voir pour prendre sa carte bleue, abusaient de sa gentillesse et achetaient de la drogue avec son argent… Il y a beaucoup de maîtres chanteurs, aussi, des personnes qui veulent vous piéger pour ensuite vous faire payer. Regardez N’Golo Kanté, qui a disparu des terrains depuis un an.
En quoi la forte influence de la théologie de la prospérité (selon laquelle l’aisance financière est un signe de santé spirituelle), venue des États-Unis et très présente chez les sportifs sud-américains, est-elle problématique d’après vous ?
Ici, on est dans un rapport donnant-donnant, et je trouve ça dangereux. On retrouve une situation similaire dans les cultures africaines de l’animisme, où l’on cherche à se protéger. Cela mène aux déviances du monde occulte, avec des marabouts : je sacrifie quelque chose et, en échange, je reçois une protection. Dans certains milieux chrétiens, on est très proche de ça. Avec mon livre, je veux tirer la sonnette d’alarme parce que ce n’est pas la vision du Dieu d’amour et de grâce que j’ai. Jésus ne s’est enrichi sur le dos de personne. Aujourd’hui, beaucoup se mettent à vendre du rêve comme si le succès pouvait être assuré.
Quel regard portez-vous sur les sportifs qui clament haut et fort leur foi, tout en ayant un comportement qui n’est pas vraiment en adéquation avec celle-ci ?
Les journalistes sportifs jugent le sportif, rarement l’homme. Moi, j’essaie de poser un regard qui soit juste. En tant que pasteur et père, quand je vois Neymar avec un bandeau 100% Jésus, je m’interroge. Jésus est un exemple de vertu qui s’est sacrifié pour les autres, a été généreux et a parlé avec vérité. Neymar, lui, se comporte comme un enfant pourri gâté. C’est vrai, il a ses blessures. J’ai de la compassion, je prie pour lui. Mais il y a un tel décalage avec sa vie, les attentes qu’il peut y avoir… Ne serait-ce que sur le mariage, qui est un moment très important pour un chrétien. Neymar et Cavani, lui aussi fervent croyant, qui se sont disputés pour savoir qui allait tirer les penaltys, je ne comprends pas. J’aurais préféré qu’ils prient ensemble, qu’ils soient unis. Les joueurs qui revendiquent une foi individualiste me dérangent, le message n’est pas cohérent.
Dans votre ouvrage, vous constatez que rares sont les clubs français à proposer des services d’aumônerie à leurs joueurs. Comment l’expliquer ?
C’est à nous de nous faire connaître, ce livre sert aussi à ouvrir les yeux des dirigeants qui sont à la recherche de solutions. On a deux aumôniers dans des clubs de rugby à XIII, ça fonctionne. C’est de la communication : on ne cherche pas à faire du prosélytisme, mais à prendre soin des athlètes et à apporter une écoute. Les années 1960-1970 ont entraîné un rejet de tout ce qui touchait à la religion. Désormais, on est dans une ère d’ouverture à la spiritualité. On voit que les sportifs ne sont pas des demi-dieux invincibles, ils sont vulnérables et ont leurs fragilités. Ils ne sont que des humains, qui ont besoin d’être accompagnés de personnes prêtes à cheminer avec eux.
En tant que confident, vous êtes également bien placé pour évaluer les failles mentales des athlètes de haut niveau…
La santé mentale des sportifs a pris une claque, parce que la nouvelle génération est hyperconnectée et que les réseaux sociaux peuvent être très nocifs. Oui, on peut courir vite, sauter haut, mettre un ballon en pleine lucarne… Mais ce n’est pas ça qui fait qu’on est solide dans notre tête. Il y en a qui ont beaucoup de mal à encaisser les critiques, les insultes permanentes. D’autres, comme Zlatan, se sont construit un personnage pour encaisser. Ce serait intéressant, d’ailleurs, de connaître le vrai Zlatan. Mais au-delà du problème mental, il peut aussi y avoir une dimension spirituelle.
C’est-à-dire ?
Dans un monde de plus en plus sécularisé, qui a fait de la raison et de la rationalité la religion première, on ne sait pas quoi faire quand apparaissent des phénomènes paranormaux. Quand un joueur se dit victime d’une malédiction, se sent oppressé ou n’arrive plus à jouer correctement. Les aumôniers peuvent apporter des réponses, par la prière.
Vous pouvez nous donner un exemple ?
J’ai accompagné une joueuse de l’équipe de France de basket qui se savait victime d’une malédiction, qui n’arrivait plus à mettre un shoot à trois points alors que c’était la meilleure dans ce domaine. Son problème n’était pas mental, mais spirituel. Et une fois qu’elle s’est tournée vers Dieu, ça a été réglé. Il y a vraiment un lien. Récemment, un très grand champion m’a demandé si je croyais au démon et au diable. Il avait besoin d’entendre qu’il n’était pas le seul à y croire.
Pour finir sur une note plus légère, éclaircissons un point que vous mentionnez dans votre livre : c’est donc grâce à vos prières qu’Olivier Giroud a mis un terme à sa disette en Bleu face aux Pays-Bas, en septembre 2018 ?
(Rires). Ce n’est pas grâce à moi, c’est grâce à l’Église ! Les gens prient pour lui, c’est une réalité. Ce soir-là, j’ai reçu des témoignages allant dans ce sens. Et la finalité, c’est que So Foot mentionne « Jésus » en Une de son numéro dont la couverture est consacrée à Olivier Giroud (en septembre 2020, NDLR). La gloire doit donc revenir à Jésus, pas à Giroud. C’est le plus beau des messages, non ?
Propos recueillis par Raphaël Brosse
Photos : DR.
À lire : L'aumônier des champions (Les éditions du cerf, 2023).