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Jocelyn Blanchard : « Le vrai défi de Lens est de côtoyer les sommets en restant ce qu’il est »

Propos recueillis par Florent Caffery
12 minutes

Depuis deux décennies, personne n’est venu inscrire son nom en dessous du sien. Dernier buteur lensois en Ligue des champions, un soir d’automne 2002 à Munich, Jocelyn Blanchard a tout connu avec le Racing. Des heures de gloire au début des années 2000 à la descente aux enfers en L2 en tant que directeur sportif, l’ex-milieu de terrain, désormais directeur du football à Dunkerque, ouvre sans retenue ce passé lointain. Avec la volonté qu’un Lensois lui succède ce mercredi soir à Séville.

Jocelyn, replongez-vous dans ce 13 novembre 2002. Olympiastadion de Munich, on est à la 90e minute…

On jouait le tout pour le tout. C’était les dernières actions. Peu avant, Mehmet Scholl (Markus Feulner en réalité, NDLR) avait mis le troisième (à la 87e), et Joël (Muller) m’avait fait basculer arrière gauche, ce qui est inhabituel. Il avait fait entrer un maximum d’attaquants. À un moment donné, le ballon arrive dans la surface. Je vais au bout, je sens que le défenseur ne va pas être tranquille pour se dégager et je passe entre lui et le gardien. Et là, je mets ma tête (Lens arrache le nul 3-3). Mon seul but en Ligue des champions.

Et Lens termine troisième de son groupe, devant le Bayern, derrière l’AC Milan et le Deportivo La Corogne. Une grosse perf ?

Pour nous c’était énorme, on est reversés en Coupe UEFA. C’était un exploit. Quelle belle aventure…

Le Lens de l’époque était habitué depuis 4-5 ans aux compétitions européennes. Il n’y avait donc pas de complexe d’infériorité ?

Quand on joue le Milan ou le Bayern, on sait que ce sont des monstres. Je n’ai pas oublié Milan qui débarque avec Shevchenko, Seedorf, Costacurta. Mais Daniel Moreira a pris un ballon de la tête à Maldini. À Maldini ! Il le prenait de vitesse. On a rivalisé à chaque fois. Lens n’a pas l’image de l’OM, du PSG, de Monaco : forcément, on était le petit. Mais on avait aussi un super public et un gros collectif : Seydou Keita, Warmuz, Sikora, Sibierski, Moreira, Rool. John Utaka aussi.

Utaka qui va particulièrement vous marquer…

Je me souviens de notre dernier match de préparation cette saison-là, face à Anderlecht. À l’époque, j’étais dans un rôle au milieu où j’avais beaucoup de relations avec les attaquants, que ce soit Sibierski, Diouf ou Moreira. Dès que j’avais un ballon, je cherchais ces gars-là en priorité. Quand John entre contre Anderlecht, je lui donne deux ballons pourris. Le premier à 20 mètres de lui, il va le récupérer. Le deuxième est aussi catastrophique, mais il contrôle et file au but. Il a joué 25 minutes et il s’est créé trois vraies occasions. Je sors du terrain, je dis à Gervais (Martel) et à Joël qu’il est énorme. Il savait tout faire.

On jouait la Coupe d’Europe à bloc, à aucun moment on ne faisait tourner. On pouvait jouer Marseille le samedi et le Milan le mardi, le groupe était le même, il n’y avait pas de réserve.

Jocelyn Blanchard

Il inscrira notamment un but plein de hargne face au Milan à Bollaert…

Quand on bat le Milan, c’est une surprise pour le monde extérieur, mais le Racing Club de Lens, c’est une vraie équipe. Forcément, on ne pouvait pas rivaliser avec le Milan sur toute une saison, mais sur un match, c’était possible. Et surtout, on jouait la Coupe d’Europe à bloc. De toute façon, nous étions programmés pour tout le temps presser, produire un jeu offensif. On avait ça en nous. Et puis à aucun moment on ne faisait tourner. On pouvait jouer Marseille le samedi et le Milan le mardi, le groupe était le même, il n’y avait pas de réserve. Surtout qu’on s’était dépouillés en championnat pour jouer ces matchs-là. Être européen, pour Lens, c’était une progression. Le statut du club augmentait, j’ai quasiment joué la Coupe d’Europe à chaque saison dans ce club.

Était-ce une drogue pour vous ?

Que ce soit à Metz, à la Juve, à Lens ou ensuite en Autriche (à l’Austria Vienne), j’ai toujours pu la jouer. Faire une année sans Europe, je ne concevais plus ça. J’ai une anecdote sur ça, notamment quand Gervais Martel veut me faire revenir de la Juve (en 1999). Je veux revenir chez moi, en France, mais j’ai une exigence, je demande que Lens soit européen. Le club ne l’est pas en championnat, il va décrocher un billet pour la Coupe UEFA grâce à la Coupe de la Ligue. La veille de la finale (face à Metz), Gervais m’appelle à nouveau en me disant « t’es sûr, si on ne gagne pas, tu ne reviens pas ? » Il jouait la finale le lendemain, je n’allais pas dire ça texto à Gervais. Finalement, Lens gagne, et tous les voyants sont au vert.

Bruno Rodriguez et Jocelyn Blanchard, sous les couleurs lensoises en février 2000.
Bruno Rodriguez et Jocelyn Blanchard, sous les couleurs lensoises en février 2000.

Quand on joue l’Europe, peut-on forcément parler de supplément d’âme ? 

C’est énorme. On joue des matchs avec une intensité dingue. J’avais connu ça en Italie où à l’époque, chaque numéro 10 ou 9 était un potentiel Ballon d’or. À la Fiorentina, il y avait Batistuta et Rui Costa, à la Lazio Juan Veron. En Coupe d’Europe, c’est pareil. Tu peux croire qu’à un moment donné, tu vas être plus fort qu’une équipe, mais tu as un ou deux gars qui peuvent tout te faire sauter. Tu tombes face à des mecs qui ont gagné dans leur pays et sont internationaux. Tu ne peux sous-estimer personne. Et puis nous avions beaucoup d’orgueil et de fierté, on n’avait pas envie d’en prendre quatre ou cinq. J’ai toujours su que pour le club, c’était une vitrine énorme, pour les supporters, les partenaires, la ville. On a fait des voyages avec les partenaires dans l’avion. Je me souviens du Celta Vigo (en quarts de finale de Coupe UEFA 2000). À l’aller, on prend une leçon, même si on fait 0-0. Ils ont Mostovoï, Makélélé, Karpine. On remonte dans l’avion, tous les partenaires nous applaudissent pour nous dire qu’on va les tordre au retour. Mais nous, on espère surtout ne pas se faire tordre. Et finalement, on gagne 2-1. Jouer un match de Coupe d’Europe, c’est, en matière d’expérience acquise, l’équivalent de cinq matchs de championnat.

Un match de Coupe d’Europe, c’est, en matière d’expérience acquise, l’équivalent de cinq matchs de championnat.

Jocelyn Blanchard

Lens termine 8e de cette saison 2002-2003 en Ligue 1 après avoir été vice-champion de France un an plus tôt. Jouer sur les deux tableaux vous a coûté des points ?

Une saison en Ligue des champions, ça pompe. Certains sont capables de faire les deux, nous, on avait 9 chances sur 10 de ne pas y parvenir. Finir dans les dix premiers, c’était honorable. En face, à l’époque, il y avait Lyon, Paris, Marseille, Bordeaux. Nous n’avions pas un effectif où on changeait 8 joueurs par match. C’était les 13-14 qui jouaient toujours. Finalement, c’était aussi excitant qu’éreintant. Parce que nous savions d’avance que ça va finirait par un échec. Nous n’étions pas programmés pour gagner la C1. Il faut bien l’avoir en tête. En plus, à l’époque, il fallait avaler la perte du titre de champion de France à la dernière journée la saison d’avant. Sur le terrain, il m’a fallu du temps pour digérer.

Depuis 21 ans, aucun joueur lensois n’a inscrit de but dans la plus belle des compétitions européennes. Ça vous inspire quoi ?

Que c’est trop long, forcément. Lens a connu une défaillance sportive qui l’a amené dans un gouffre économique. Si avant, on était fragiles économiquement, on pouvait s’en sortir sportivement. Aujourd’hui, ce n’est plus possible. Quand je reviens à Lens en Ligue 2 en 2011 (en tant que directeur sportif), les tiroirs sont vides, alors qu’ils étaient pleins quelques années auparavant. Je quitte un club européen, et là, il est en deuxième division. On avait dû vendre pour 20 millions d’euros de joueurs. Personne n’est capable d’assumer le statut à cette époque. Il a fallu cinq années à Gervais (Martel) pour ouvrir les yeux. Ça a duré pendant presque 20 ans, cette période compliquée. Ce qui se passe aujourd’hui, ce n’est pas une bouffée d’oxygène, mais plutôt une montgolfière d’oxygène. Lens est redevenu ce qu’il était à l’époque, mais il a beaucoup souffert.

Et va d’autant plus apprécier cette campagne européenne ?

J’espère qu’à l’avenir, le club ne refera pas les mêmes erreurs. Aujourd’hui, ce qui est fait est extraordinaire. Mais pour en arriver là, il a fallu essuyer les plâtres. Quand j’étais dirigeant, on n’avait jamais la bonne solution, il fallait prendre la moins mauvaise. Nous avions toujours les valeurs de travail, mais trop de gens dans le club n’étaient pas prêts à ce déclassement. Quand j’arrivais parfois à Bollaert, des gens disaient : « Lui, il a joué la Ligue des champions. » Ok, mais là, on était en L2 avec des gamins qui sortaient du centre de formation, Kondogbia, Aurier, Bourigeaud, Cyprien, Gbamin. Lens vivait sur son passé, et c’était compliqué.

Voyez-vous des similarités entre le Lens de votre époque et celui d’aujourd’hui ?

L’équipe de l’année dernière était quasiment celle que j’avais connue au début des années 2000. Dès le tunnel, on sentait qu’on avait déjà gagné le match. En 20 minutes, avec notre intensité et notre pressing, c’était plié. Là, c’était du copié-collé. Beaucoup de prises d’initiatives, presque un football total. Ça, c’est le vrai Lens. Et le club a su rester humble. Ce qu’a fait Franck Haise est énorme. Les dirigeants ont bien travaillé, bien recruté.

À un moment donné, quand on a goûté à certaines choses, il est dur de redescendre. Tu as du mal à reprendre un jambon-beurre quand tu as mangé du caviar.

Jocelyn Blanchard, à propos de la situation actuelle du RCL

Vous disiez aussi récemment que Lens doit faire attention à ne pas s’embourgeoiser…

À un moment donné, quand on a goûté à certaines choses, il est dur de redescendre. Tu as du mal à reprendre un jambon-beurre quand tu as mangé du caviar. Mais Lens va redescendre dans le classement. Le club n’est pas programmé pour faire le podium en Ligue 1 tous les ans. Il faut l’avoir en tête. J’ose espérer que ce club dira toujours, attention, il y a des joueurs qu’on n’achètera pas. Quand on voit les folies sur le marché des transferts, des choses totalement hors sol, ce n’est pas acceptable. Mais Lens n’aura jamais de fonds souverain, donc je ne pense pas qu’il tombera dans ça. Ce club doit faire la Ligue des champions tous les 4-5 ans, d’autres Coupes d’Europe tous les 2-3 ans et une année ou deux ne rien faire. Ce serait accepté par tous. Car il y aura des années où ce sera plus compliqué, où tu intégreras des jeunes de la formation et où ça prendra du temps. Une chose est sûre, le club doit viser constamment le top 10. Il n’y a rien de dramatique à cela.

Les supporters lensois peuvent-ils en avoir conscience ?

C’est impossible de suivre constamment la Ferrari qui va à 2000 à l’heure. Il faut le savoir. Regardez ce que ça coûte à Paris, à Monaco. À Lens, c’est infaisable. C’est sûr que les mentalités changent, y compris chez les supporters. C’est un truc bête, mais on ne voit plus de casques de mineurs dans les tribunes. De toute façon, on ne peut pas juger un club quand il est au plus haut. Aujourd’hui, dire que les supporters de Lens sont fantastiques, c’est juste logique. Il manquerait plus que ça après la saison dernière. C’est quand Lens va de nouveau souffrir, comme là avec ce début de championnat compliqué où il faut digérer la saison dernière, qu’on pourra juger.

Franck Haise était bon il y a un an ou deux et il l’est toujours.

Jocelyn Blanchard

Justement, ça ne vous inquiète pas, ce début de saison ?

La Ligue des champions peut leur faire du bien. Il ne faut pas oublier que c’est à la fin du bal qu’on paye les musiciens. On ne peut pas demander à des joueurs qui viennent d’arriver d’être performants comme ceux qui viennent de partir et ont passé trois saisons au club. Andy Diouf, par exemple, il faut lui laisser le temps de se construire. Franck Haise n’a aujourd’hui pas la même équipe que lorsqu’il a commencé le championnat la saison dernière. C’est là où les dirigeants ont un rôle important. C’est eux qui contrôlent. Ne pas s’enflammer quand on gagne, ne pas se mettre tout en bas quand on perd. Franck Haise était bon il y a un an ou deux et il l’est toujours. Mais il y a des turbulences et il y en aura encore.

Comment les voyez-vous dans cette phase de poules ?

Cette équipe a les moyens de se hisser à ce niveau européen pendant la phase de poules. Mais qu’est-ce qu’on leur demande maintenant ? C’est de le faire pendant 40 matchs parce que les salaires vont avec, parce que ce qu’ils ont fait sur le terrain était extraordinaire. La pression a totalement changé. Ces joueurs-là ont des statuts à assumer. Des joueurs qui font des gros matchs, il y en a plein la planète. D’autres qui font ça toute une saison, il y en a moins. Et encore moins  ceux capables de reproduire ça pendant 10 ans. Ce club a un vrai défi devant lui. Être capable de côtoyer les sommets en restant ce qu’il est. Lens peut battre Arsenal, Séville, Eindhoven. Tous les jours. Mais tu peux aussi prendre une branlée. Ça va être un groupe relevé, énorme, mais Lens va rivaliser. Arsenal qui revient au plus haut niveau, Eindhoven champion une année sur deux aux Pays-Bas et Séville qui a gagné je ne sais combien de fois l’a Ligue Europa. C’est ouvert.

Tout est jouable ?

Évidemment, il faudra un peu de réussite. Mais Lens ne doit pas manquer d’ambition, à aucun moment. Ces gars-là n’ont rien à perdre. Ils se sont explosés pendant un an ou deux pour en arriver là. Ce n’est pas une fois qu’on est au pied de la montagne qu’on renonce à la grimper. Lens doit tout enfoncer en Coupe d’Europe. L’année dernière, cette équipe m’a fait respirer le football. On veut la voir ainsi sur la scène européenne.

Quel joueur aimeriez-vous voir succéder à Jocelyn Blanchard sur la liste des buteurs lensois en Ligue des champions ?

Un attaquant, parce qu’Openda est parti et ce n’est pas rien. Quand les attaquants marquent, ça donne une vraie confiance pour l’équipe. Je ne sais pas s’il jouera, mais j’aimerais bien le petit David Pereira Da Costa. C’est un garçon à nous, formé au Racing. Il est au club depuis l’âge de 13 ans. Ce serait un vrai signe de la reconstruction du club.

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