Euro 08 – Allemagne : eins, zwei, drei…vier ?
«{Leur repère c'est Guido Buchwald, le défenseur de 1,90 m et 90 kg qui dégage sans contrôle avec un grand shoot devant}». La phrase est signée Willy Sagnol, joueur français du Bayern Munich. Elle résume avec une certaine exactitude l'idée que l'on peut se faire du football allemand. Pas très funky. Mais sacrément efficace.
Buchwald n’est pas glamour. Mais il a été champion du monde. Du coup, le bon vieux Guido incarne à lui tout seul l’image bicéphale du football allemand. Réaliste mais pas spécialement sympathique. Il faut dire que les trois coupes du Monde (1) et les trois championnats d’Europe des nations (2), acquis de sang-froid, ont suffi à envelopper l’Allemagne dans ce “label qualité”, un poil métallique. Une image que les contemporains en short n’ont cessé d’alimenter. Gary Lineker avait lancé le mouvement, « un match de football se joue à onze contre onze, dure quatre-vingt-dix minutes, et à la fin, ce sont toujours les Allemands qui gagnent » , des propos corroborés par des tirades de la même veine, du genre, « lorsque les Allemands sont bons, ils gagnent. Lorsqu’ils sont mauvais, ils vont en finale » .
Des adages qui, à partir de la fin des années 90, commencent sérieusement à sentir la naphtaline. Il faut dire que depuis sa victoire à l’Euro 1996, l’Allemagne se l’est jouée médiocre. À côté du radiateur. La difficile digestion d’une réunification, la disparition du Deutsche Mark, fierté nationale et symbole de sa puissance, mais surtout les seize années de pouvoir du conservateur Helmut Kohl, ont eu raison d’une certaine idée de l’Allemagne.
La Mannschaft piétine, et sa tactique, qui consiste à s’appuyer sur un socle défensif solide et un avant-centre hors norme, ne tient plus la route. La piteuse élimination au premier tour du Championnat d’Europe des Nations 2000 témoigne de son affaissement. « Cette déroute découle du style de jeu mis en place par la Mannschaft durant la période de gouvernance d’Helmut Kohl, c’est-à-dire un football sécuritaire qui assure ses arrières sans aller de l’avant » confirme l’auteur allemand Norbert Steiz.
Pour la Mannschaft il s’agit alors de faire peau neuve. Rudi Völler (3), incarnation d’une Allemagne glorieuse mais dépassée, est écarté au profit de Jürgen Klinsmann, homme neuf et moderne. Et dans une Allemagne qui avait tendance à se recroqueviller sur elle-même, “Klinsi”, bourlingueur “européen” (4), est un gage d’ouverture. De Californie, là où il réside, il compose son équipe, met au pas quelques vieilleries (Khan, Wörns), applique une nouvelle méthode, bref, impose son style.
Un changement de cap qui va de pair avec l’arrivée au pouvoir d’Angela Merkel, nouvelle dame de fer, qui engage à son tour le pays dans une logique réformatrice. L’Allemagne rompt avec ses stéréotypes. Klinsmann s’affiche avec ses Converse, Merkel, avec ses décolletés. Le départ de “la panthère blonde”, un des surnoms de Klinsmann, après la 3éme place au mondial 2006, n’est finalement qu’une péripétie. La révolution culturelle est en marche.
Joachim Löw, le fidèle adjoint, reprend le flambeau. La Mannschaft s’inscrit alors dans une politique de continuité, et rappelle le passage de témoin réussi entre Gerhard Schröder, qui avait entamé les réformes du pays, et Angela Merkel, qui en fera tout autant. Si le nouveau sélectionneur se repose sur l’ossature de son prédécesseur (Lahm, Jansen, Mertesacker, Podolski…), il fait preuve d’un peu plus de souplesse dans son management. « Je veux que mon équipe soit autonome » se plait-il à répéter.
Chez lui, rien n’est figé. Ni sa tactique. Ni le choix de ses hommes. Pas d’immobilisme. Nouvel homme fort, il n’hésite pas à faire sauter les conventions en pré-sélectionnant pas moins de trois joueurs issus de la seconde division allemande. Un fait suffisamment rare pour être rappelé. Mieux, la sélection allemande comptera cet été sur un trident offensif “pluriculturel” (5), preuve que son code de nationalité, mis en place dans les années 2000, porte ses fruits. Désormais en phase avec son époque, la Mannschaft s’impose donc aujourd’hui comme le porte drapeau de l’Allemagne de demain, qui se veut résolument audacieuse, offensive et européenne. –
Par Chérif Ghemmour
1 – 1954, 1974, 1990
2 – 1972, 1980, 1996
3 – Sélectionneur de 2001 à 2004
4 – Klinsmann a joué en Allemagne, Italie, France et Angleterre
5 – Podolski et Klose sont d’origine polonaise, Gomez, d’origine espagnole
Par