Blatter se fout du monde et surtout du Mali…
Revenant sur une position constante qui lui faisait prendre la défense des sélections nationales face aux clubs, la FIFA vient d'obliger deux joueurs maliens à renoncer à une rencontre de CAN pour disputer l'ultime rencontre de Liga en Espagne. Retour sur les faits et analyse d'une tentative de grand écart par le gouvernement mondial du foot.
5 juin 2007. L’Essor, quotidien officiel de Bamako, présente le match décisif du Mali en éliminatoires de la CAN 2008 en ces termes : « L’enjeu de ce Mali-Sierra Leone se trouve ailleurs et non dans la composition du groupe ». Les Maliens savent effectivement pouvoir compter sur leurs pièces maîtresses, Mahamadou Diarra et Frédéric Kanouté. De quoi trouver leur envol pour les Aigles.
12 juin 2007. Cinq jours avant la rencontre, le président du Real Madrid et employeur de Diarra monte au créneau pour défendre les intérêts de son club. Le Real dispute en effet le 17 juin un match capital pour l’attribution du titre de champion d’Espagne. Hors de question de se passer de Diarra.
Par l’intermédiaire de la fédération espagnole, le message arrive à la FIFA, laquelle se fend d’une lettre à Salif Keita, président de la fédération malienne. Un courrier qui fait du bruit, jusque dans la torpeur andalouse, nous y reviendrons. Au président de la FMF, Sepp explique que « la solidarité à l’égard des sélections nationales en général et des fédérations africaines en particulier n’exclut pas qu’elle puisse aussi s’exprimer en direction de clubs » surtout si ceux-ci jouent le « titre d’une compétition majeure ». Larmes émues.
Retour en Espagne, on vous l’avait promis, où le FC Séville, également en course pour le « titre d’une compétition majeure », pique sa crise. Pourquoi le Real pourrait-il récupérer Diarra tandis que Fred Kanouté se la coulerait douce au pays contre des Sierra-Léonais déjà éliminés ? Résultat des courses, Jef Jodar, le sélectionneur Malien, doit revoir sa compo. Dimanche prochain, Mahamadou et Fred joueront bien en Liga sur ordre de Blatter.
L’épisode fait un peu désordre pour la FIFA. Sa circulaire 792 du 21 décembre 2001 portant sur le Calendrier international des matchs coordonnés dispose en effet que pour « des matchs de compétition ou amicaux à des dates précises […] les joueurs [des associations nationales] doivent être mis à disposition sans condition par les clubs » et que « les matchs éliminatoires pour une compétition internationale à des dates précises […] ont la priorité sur les championnats nationaux. »
Les esprits malicieux diront qu’en l’occurrence, le calendrier de la CAN n’a été approuvé qu’en mars dernier par la FIFA. « Or, commente Jérôme Champagne, bras droit de Blatter, pour qu’une date soit obligatoire, il faut qu’elle soit arrêtée avant le 15 novembre de l’année précédente. »
La confédération africaine, qui avait pourtant arrêté les dates des éliminatoires dès février 2006 a, c’est vrai, fait traîner les choses. Mais pas jusqu’au 15 novembre 2006. « Dans le cas présent, la CAF a demandé l’inscription de cette date fin juin 2006 », précise Champagne. Qu’est-ce qu’a foutu la FIFA jusqu’en mars 2007 ? Mystère…
Et puis ces histoires de dates, c’est des conneries. Quand la FIFA veut, elle peut. C’est écrit, toujours dans la fameuse circulaire : « Le Comité Exécutif de la FIFA se réserve le droit de fixer à tout moment des dates supplémentaires pour des matches internationaux par décision spéciale. La mise à disposition des joueurs pour ces matches est obligatoire. » Clair, non ?!
Dans un premier temps, la seule défense de la FIFA fut l’attaque de la fédé malienne. Champagne dégaine : « Le Mali joue la Sierra-Leone. La fédération aurait dû avoir l’intelligence d’adopter la position du Cameroun qui n’a pas demandé la venue de Samuel Eto’o pour affronter le Rwanda à Yaoundé alors que le Barça joue le titre. Les relations entre équipes nationales et clubs c’est du donnant-donnant, ce n’est pas un rapport de force. Certaines fédérations abusent. Quand des fédérations déforment l’esprit des textes il faut faire preuve de bon sens. »
La position cynique de la FIFA a le mérite de nous apprendre deux choses. Primo que la Sierra-Leone et le Rwanda sont des faire-valoir et qu’il est bien inutile de faire venir des stars d’Europe pour affronter ces nains. Secundo que le championnat d’Espagne est mieux considéré que la CAN. D’ailleurs, Champagne cache à peine sa sympathie pour les grands clubs européens. « Notre position doit être juste quand ce sont les clubs qui souffrent indûment. Et nous avons d’excellentes relations avec les membres du G14 », conclut-il.
Aujourd’hui, Sepp Blatter, président de la Fifa, essaie de la jouer profil bas et plaide « coupable » dans cette affaire. Pour apaiser les esprits. Kanouté et Diarra ont en effet vivement critiqué l’organe suprême du football dans des interviews récentes, qualifiant l’attitude de la Fifa de scandaleuse, entre autres. En guise de mea culpa, Blatter explique qu’en fait « il n’y aurait pas eu de sanction de la part de la Fifa, sauf si les clubs en avaient réclamé ». Consternant.
Jean Damien Lesay, complété par GS
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