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Bernard Lacombe, le capital des Gaules
Bernard Lacombe s’est éteint à l’âge de 72 ans, ce mardi. Le deuxième meilleur buteur de l’histoire du championnat de France, qui a partagé ses buts entre Lyon, Saint-Étienne et Bordeaux, était bien plus qu’un ancien joueur. Il est une légende de l’OL, son club, et du football français en général.

Depuis le 6 mai 2024 et la disparition de Bernard Pivot, il était le dernier emblème vivant sur la Fresque des Lyonnais, cette peinture murale géante trônant depuis 30 ans rue de la Martinière, dans le premier arrondissement de la capitale des Gaules. Les Lyonnais avaient pris l’habitude de le croiser, sa main droite dans la poche de son jogging, son autre main sur la lanière de son sac et son haut aux couleurs de l’OL, son club, sa vie. Il était le seul sportif à figurer sur ce gigantesque et original hommage aux personnages historiques lyonnais, aux côtés de Paul Bocuse, Antoine de Saint-Exupéry, les frères Lumière, Claude Bernard, Louise Labbé, Sainte Blandine de Lyon et une vingtaine d’autres morceaux d’histoire (dont ne fait plus partie l’abbé Pierre depuis l’automne dernier). Voilà qui posent un homme, son œuvre et sa vie : Bernard Lacombe s’est éteint ce mardi à l’âge de 72 ans, laissant derrière lui un tas de buts, d’images et de souvenirs.
Joueur, directeur sportif, entraîneur, conseiller du président… Bernard Lacombe, c’est près de 40 ans d’Olympique lyonnais. Rarement une personne aura autant incarné un club de football. pic.twitter.com/0J71X8gXus
— Planète Lyon (@Planete_Lyon) June 18, 2025
Pour toute une génération, il a d’abord été le monsieur posé à côté de Jean-Michel Aulas en tribunes à chaque match d’un Olympique lyonnais qui écrasait tout sur son passage dans l’Hexagone. Il était cet homme au visage presque fermé, comme s’il était constamment à la limite de piquer une colère ou un fou rire. Il était surtout bien plus que cela, en fait, pouvait-on comprendre en se rappelant que l’histoire du foot ne débutait pas à notre naissance et qu’il faut toujours s’intéresser au passé quand on aime vraiment un sport (et qu’on veut le comprendre). Bernard Lacombe était plus qu’une légende de l’OL, il était une légende du football français. Il n’est pas le premier nom auquel on pense, forcément, quand on parle de l’équipe de France des années 1970 et 1980, mais l’attaquant aux 38 sélections (pour 12 buts) a été de toutes les grandes aventures du renouveau des Bleus.
Un rêve bleu et lyonnais
C’est lui, ce jour de juin 1978, qui rappelle à la France qu’elle est capable de faire trembler les filets dans une Coupe du monde, douze ans après sa dernière participation. Douze ans après le but de Hector de Bourgoing contre l’Uruguay, Lacombe ne perd pas de temps et signe à l’époque le but le plus rapide de l’histoire des Bleus, 37 secondes s’il vous plaît, contre l’Italie. Les Tricolores perdront finalement la rencontre (2-1) et ne sortiront pas des poules, laissant à l’attaquant alors âgé de 25 ans ce record (aujourd’hui détenu par un autre enfant de Lyon, Bradley Barcola, aussi contre l’Italie) et une montre en or remise par l’Argentine, le pays hôte, pour avoir planté le premier pion de cette édition. Il y a aussi eu 1982 et le cauchemar de Séville vécu depuis le banc en raison d’une blessure après avoir participé à trois des quatre premiers matchs du tournoi.
Il n’aura pas marqué en 1984, mais il aura pu poser ses mains sur le premier trophée de l’histoire de l’équipe de France. Lacombe fait partie des hommes de confiance de Michel Hidalgo, formant la paire avec Bruno Bellone et jouant 80 minutes de la finale contre l’Espagne, avant d’être remplacé par Bernard Genghini et après avoir notamment obtenu le coup franc du 1-0 de Platoche. Sa toute dernière apparition sous le maillot bleu, avec toujours ce sens du timing dont il faisait aussi preuve sur le terrain.
En deuxième mi-temps, côté pendule, Dédé Guy me donne le ballon près de la demi-lune, j’ai frappé fort du droit, et lucarne ! C’était un super but. Là, tu ne sais plus ce qui se passe.
Le rêve avait commencé le 7 décembre 1969, à 17 piges, lors d’un OL-Red Star à Gerland, comme il le racontait à L’Équipe : « J’ai joué ailier gauche, avec le numéro 11, plein de choses que je n’aimais pas. Angel Rambert, qui jouait milieu derrière moi, qui était un grand joueur et un grand monsieur, m’a dit : “Ne t’inquiète pas, je suis là, ça va bien se passer.” […] En deuxième mi-temps, côté pendule, Dédé Guy me donne le ballon près de la demi-lune, j’ai frappé fort du droit, et lucarne ! C’était un super but. Là, tu ne sais plus ce qui se passe. Ce jour-là, tous les dirigeants de mon club de Fontaines-sur-Saône étaient venus au match et quand je les ai retrouvés le soir, au siège du club, ils buvaient des pots au mètre pour fêter ça. »
Le buteur et le bâtisseur
Ce n’était que le début d’une longue et belle histoire avec le championnat de France (il était classé 12e de notre top 1000), dont il est toujours aujourd’hui le dauphin de Delio Onnis au classement des meilleurs artilleurs (255 buts en 497 matchs joués avec l’OL, Saint-Étienne et Bordeaux). Lacombe aurait sans doute pu jouer toute sa vie à Lyon, son club formateur où il a bouclé des saisons d’anthologie et formé un sacré trio avec Serge Chiesa et son idole puis grand ami, Fleury Di Nallo. Sa petite taille (1,71 mètre) n’enlevait rien à ses qualités de buteur instinctif, du genre vrai renard des surfaces, et à son intelligence de jeu lui permettant d’être bien plus qu’un joueur capable d’enfiler les buts comme des perles. Il y avait un mélange de respect et d’admiration chez ceux qui l’avaient vu jouer ou, encore mieux, qui l’avaient croisé sur un terrain, Marius Trésor parlant par exemple d’un « poison qui n’avait peur de rien ». Sauf peut-être de devoir quitter l’OL, ce à quoi on le contraint en 1978. Pour renflouer les caisses de son club, il est prié de rejoindre… l’AS Saint-Étienne. « J’étais abasourdi », disait-il au moment de rembobiner le cours de cette histoire.
Lacombe aura passé une année chez les Verts, avant de devenir une légende dans un autre club, chez les Girondins de Bordeaux, où il a continué à marquer et où il s’est forgé un sacré palmarès avec trois titres de champion de France (1984, 1985, 1987) et deux Coupes de France après celle de 1973 avec l’OL (1986, 1987). C’était le Bordeaux de Tigana, Giresse, Jacquet et aussi celui de Lacombe, qui finit par décliner et décide de prendre sa retraite en 1987, à l’aube de ses 35 ans. Une décennie passée loin de Lyon, c’était beaucoup trop long pour l’enfant de la ville. Sur les conseils de Claude Bez, Jean-Michel Aulas est donc allé chercher celui qui deviendra bien plus qu’un ami pour faire du club rhodanien une référence et un ogre français à partir du début des années 2000.
L’année suivant son retour, l’OL revient parmi l’élite après un trop long passage en deuxième division. Bernard Lacombe était décidément fait pour tout connaître avec son club de cœur, où il est l’adjoint de Raymond Domenech, le directeur sportif, l’entraîneur de 1996 à 2000 et enfin le conseiller, ou plutôt la figure d’une institution et d’un règne. Il était plus que le bras droit de Jean-Michel Aulas, il était un repère, et l’ancien président lyonnais pleure « son frère » et celui qui lui a « tout appris dans le foot ». Bernard Lacombe avait le respect des anciens et des plus jeunes, entretenant un lien particulier avec les gamins de la formation, à l’image de sa relation spéciale avec Karim Benzema.
« Peut-être le plus grand personnage de l’histoire de l’OL »
Il avait repéré le talent de Juninho à une époque où le recrutement pouvait se faire après le visionnage d’une cassette VHS. Il avait été l’un des principaux artisans du grand Lyon, surtout. « Tous les joueurs de l’OL et tous les supporters du club, on doit tous un immense merci à Bernard, pose le Brésilien dans L’Équipe. Il a été l’un des plus grands joueurs de l’histoire du club, un grand dirigeant, et je crois même peut-être le plus grand personnage de l’histoire du club, car il a été fondamental pour créer notre groupe qui a tout gagné. C’est lui qui a fait cette équipe. C’est grâce à Bernard que l’OL est un club reconnu partout dans le monde. » Jean-Michel Aulas se souvient, toujours dans le quotidien, du soir du premier titre, en 2002, « il était tellement fier, tellement heureux, parce qu’il a tout connu à l’OL. […] Émotionnellement, ce soir-là, c’était mieux que quand on a atteint les demi-finales de Ligue des champions. »
Il paraît qu’il était mieux de ne pas se fâcher avec le bonhomme au caractère bien trempé, toujours prêt à monter au front pour défendre l’OL ou pour envoyer des gueulantes. En gros, il ne fallait pas le faire chier, cet homme à la mémoire apparemment bluffante et à un sens de la formule qui a parfois pu lui jouer des tours, comme lorsqu’il s’était emporté sur RMC en lâchant qu’il ne parlait pas de foot avec les femmes tout en leur conseillant de « retourner à leurs casseroles » ou qu’il avait qualifié l’Astra Giurgiu d’« équipe de baltringues » après une élimination européenne trop précoce à son goût (et au goût de tous). Il aimait se fâcher, parfois se rabibocher et surtout parler de foot, dont il ne pouvait pas se passer.
« Lacombe, tireur d’élite, des buts et des phrases cultes : merci pour tout », pouvait-on lire sur la banderole déployée par les Bad Gones le 15 décembre 2019 au Groupama Stadium, quand le stade tout entier avait rendu hommage à l’idole d’un club pour fêter son départ à la retraite. Il n’était jamais trop loin de son OL, il était apparu sur la pelouse aux côtés de Jean-Michel Aulas et Sonny Anderson à l’occasion du dernier match de la saison, en mai 2023. Bernard Lacombe n’ira plus au stade, mais il reste là, quelque part, dans le cœur de ceux qui l’ont aimé et connu, dans l’histoire du football français et dans celle de la ville de Lyon où, si la tradition est respectée, il devrait accompagner Paul Bocuse, Frédéric Dard et Bernard Pivot aux étages de la Fresque des Lyonnais pour laisser place à une nouvelle génération au rez-de-chaussée.
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