- Il faut que cela cesse
- Épisode 23
Stop aux échanges de maillots à la mi-temps
Ce sont des gestes ou des attitudes qui énervent. Qui sont insupportables. Qui rendent dingue tout supporter au stade ou devant sa télé. Et franchement, comme dirait Édouard Balladur, « je vous demande de vous arrêter ». Pour cet épisode, on dit un grand « NON » à ces joueurs qui échangent leur maillot à la mi-temps.
D’où cela vient ?
Le début des années 2010 a vu l’apparition du double jeu de maillots dans les vestiaires. À savoir que chaque joueur au plus haut niveau dispose d’un maillot pour la première période, et d’un autre pour la deuxième. Certains intendants préparent même trois, voire quatre maillots en cas de problème sur le terrain avec l’un d’eux (du style maillot arraché en cours de match). Le chasseur de maillots opère à la mi-temps de la rencontre, car il sait que ce sera sûrement la cohue à la fin devant le joueur dont il rêve d’obtenir le chandail.
Tel le lever de rideau du début des soldes, il vaut mieux assurer le coup et faire les ventes privées en amont. Le phénomène vient également de ce côté matérialiste, voire collectionneur que tout un chacun peut développer, avec l’envie d’avoir cette perle rare au fond du placard ou peut-être même encadrée dans son salon transformé en mini-musée. Un footballeur est un être humain, il ne déroge donc pas à la règle.
Pourquoi c’est insupportable ?
Il est bon de rappeler un bon vieux poncif qui dit qu’un match dure 90 minutes et ne se termine qu’au coup de sifflet final donné par le monsieur en jaune, en noir ou en bleu ciel. C’est insupportable, parce que ça démontre une certaine abdication et un soupçon de je-m’en-foutiste, alors même qu’il reste encore 45 minutes à jouer. Tant que je peux récupérer le maillot d’une vedette, l’enjeu et la suite des événements ne semblent plus vraiment compter. Matz Sels, le gardien de Strasbourg, vient de passer trois quarts d’heure à se faire mettre sur les rotules par Kylian Mbappé lors de la 32e journée de Ligue 1 face à Paris (1-4) et vient pourtant lui demander son maillot dans le couloir alors qu’il y a 0-3 ? Intolérable.
Florian Thauvin échange son maillot avec ce même Kylian Mbappé à la mi-temps du Trophée des champions en janvier dernier (2-1), et le maillot du joueur de l’OM termine dans la story Instagram de Neymar pour que ce dernier chambre les Marseillais avec ? Imblairable. On peut comprendre que, parfois, ce n’est pas être une groupie que de foncer vers un grand joueur pour avoir sa tunique. Mais il faut attendre la fin du film, pour aller voir l’acteur principal.
Qui l’incarne le mieux aujourd’hui ?
Notre Kylian Mbappé national, et il ne le fait pas exprès. En fait, ce sont tous ceux qui fréquentent le carré VIP de la planète football qui en font les frais. Les stars du ballon rond sont évidemment les plus sollicitées : le joueur qui se précipite vers Lionel Messi, Cristiano Ronaldo, Erling Haaland, Kylian Mbappé ou Neymar à la mi-temps le fait en se disant qu’il peut récupérer le précieux sésame avant un de ses coéquipiers. Il y a même certaines dérives. Même si ce n’était pas à la mi-temps, Haaland qui balance son maillot énervé au défenseur espagnol Jorge Meré à l’issue de Cologne-Borussia Dortmund (2-2) fin mars en Bundesliga ne donne pas une image très glorieuse du bonhomme. Preuve que rien ne sert de se précipiter, il faut le demander à point.
Haaland didn’t look happy after the full time whistle pic.twitter.com/xNz2mVrGLi
— ESPN FC (@ESPNFC) March 20, 2021
Comment faire pour que ça s’arrête ?
Les protocoles sanitaires anti-Covid avaient presque eu la peau du principe même de l’échange de maillots. Mi-temps ou pas, il était strictement interdit pendant des mois et par plusieurs championnats de se refiler un T-shirt tout plein de sueur. Cette règle avait justement fait transpirer quelques supporters du Paris Saint-Germain, puisque le tabloïd britannique The Sun avait suggéré une suspension de Neymar lors de la finale de la Ligue des champions 2020 pour avoir échangé son maillot avec un joueur de Leipzig.
Mais le protocole de l’UEFA, lui, n’allait pas jusque-là et recommandait uniquement aux joueurs de restreindre cette pratique. Ce genre de feuilletonnage désormais passé, il faudrait simplement une règle restreignant la mi-temps au repos et à l’écoute du coach. Non pas un moment pour faire ses emplettes.
Pourquoi ça peut précipiter la fin du monde ?
Parce qu’un match de foot professionnel ne doit pas ressembler à un five entre potes. Par respect pour les supporters, déjà. Parce que ça va fausser la compréhension du monde aux enfants fans du sport-roi, ensuite. Ça y est, c’est acté, il n’y a donc plus de rivalité dans le foot ? Plus d’envie d’exploit du petit poucet, plus de hold-up ou de leçon de football de David contre Goliath ? Plus envie d’y croire, de remonter un score déjà fleuve à la pause ? Bizarrement, il n’y a aucun échange de maillot à 0-1 à la mi-temps en finale d’une coupe.
Le faire sur tout autre sorte de rencontre est donc la porte ouverte, voire même la porte défoncée, à ce que les joueurs choisissent leurs matchs. Les joueurs ne sont pas là pour se faire des bisous et des câlins, la vie n’est pas un monde de Bisounours. Tout le monde ne s’aime pas, tout le monde n’échange pas son blanco Tipp-Ex contre une copie double en cours. Tout le monde ne donne pas vingt balles à son collègue contre un sourire, tout le monde n’offre pas une clope à un inconnu dans la rue contre un check. Et à 6/0-6/2-5/4, on n’a jamais vu deux tennismen échanger leur tee-shirt au changement de côté.
La parole est aux acteurs
Théo Sainte-Luce (défenseur du Red Star, prêté par Nîmes) : « J’échange mes maillots en fin de match, avec les personnes que je connais. À la mi-temps, je ne l’ai jamais fait. Je n’ai jamais eu de coéquipiers qui ont fait ça, car je pense que ça se fait sur des matchs avec des grosses équipes comme Paris en Ligue 1. Je sais que je ne le ferais pas, car je pense que ça joue un peu sur la concentration. Mais ça dépend des joueurs, il y en a qui resteront dans leur match et d’autres pour qui ça pourrait être plus compliqué. Ça dépend évidemment du contexte : si on perd 3-0 à la mi-temps, ce n’est pas trop le moment de faire ça. »
Rudy Gestede (attaquant Melbourne Victory) : « Je ne fais jamais d’échange de maillot à la mi-temps, et quand je le fais à la fin, ça dépend vraiment du résultat. Il y a plusieurs fois où je devais donner un maillot et on avait perdu, donc finalement je suis rentré directement aux vestiaires. À la mi-temps, personnellement, je suis encore dans le truc et je n’y pense pas forcément. Si un de mes coéquipiers le fait, ça dépend du contexte. Si tu es en train de gagner, tout passe. Mais s’il y a nul ou qu’on est en train de perdre, ça peut être mal pris. »
Kevin Ferrane (supporter du SC Toulon et collectionneur de maillots) : « Le principe de rivalité en 2021 n’est plus valable que pour les supporters. Les joueurs vivent dans le même milieu, en autarcie, ils se connaissent tous et ils se fréquentent. Si j’étais joueur et que je me retrouvais avec un gars comme Zlatan, évidemment que j’irais lui demander son maillot à la mi-temps. Je ferais ma groupie, même si je ne pense pas que je le ferais avec tous les joueurs. D’ailleurs, moi, je préfère les maillots des années 1980-1990 parce que c’est beaucoup plus rare. À cette époque, ils avaient un jeu de maillots pour la saison. Ou alors, ils changeaient quand les sponsors changeaient, mais c’est tout. »
Coefficient d’irritabilité
Ce n’est pas la mer à boire, mais ça mérite bien un bon 6/10.
Par Alexandre Delfau
Tout propos recueillis par AD.