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Jimmy Cabot, ça brûle
Arrivé à Angers en septembre 2020, Jimmy Cabot, 27 ans, a vécu une première saison difficile dans le Maine-et-Loire avant de changer de look pour une autre vie à la suite de l'arrivée de Gérald Baticle. Repositionné piston droit par le coach arrivé cet été sur le banc du SCO, le Savoyard donne aujourd'hui la leçon aux habitués des couloirs et fonce dans tout le pays avec un statut improbable de meilleur tacleur de Ligue 1. Entre vieilles pannes de réveil, amour de la pétanque et développement personnel, portrait d'un homme complet.
Un jour de juin, alors que le monde du foot a la tête à l’Euro et que ceux qui se fichent du foot tentent de comprendre quelque chose aux changements d’humeur du ciel, des hommes suent. Ils sont sur une pelouse de la Baumette, à Angers, et courent contre le temps, enfermés dans la guerre physico-psychologique que peut devenir le premier « Vameval » d’une saison. Non loin de son nouveau groupe, Gérald Baticle, arrivé en ville à la fin du mois de mai pour prendre la suite de Stéphane Moulin, est avec son staff. Il tourne et retourne les problématiques posées par son nouvel effectif. Une question est scotchée au centre de sa boîte crânienne : comment utiliser au mieux les qualités individuelles de ces types pour les faire briller collectivement ? Sous le soleil, Jimmy Cabot décide alors d’offrir une piste à son nouvel entraîneur en avalant comme un crocodile les paliers du test physique dans la roue du jeune Waniss Taïbi. Il s’arrête au vingt-et-unième. « J’avais déjà analysé Jimmy en tant qu’adversaire, donc je savais qu’il était capable de mettre du rythme, de se projeter vite vers l’avant, mais ce test m’a scotché, car je n’avais pas décelé chez lui un tel potentiel athlétique, décrypte Baticle. Là, on ne parle pas seulement d’un joueur avec une bonne endurance, mais d’un réel point fort à exploiter. Dès que je l’ai vu faire ça, je me suis dit qu’il y avait quelque chose à faire avec lui, qu’il venait d’ouvrir une porte tactique pour le groupe. L’idée de basculer Jimmy dans un nouveau rôle n’a donc pas germé balle au pied, mais sur un test athlétique. »
Quelque temps après ce test brutal, Cabot, 27 ans, loué depuis le début de sa carrière pour sa capacité à dynamiter la moindre animation défensive adverse, se retrouve propulsé arrière droit au cours du premier match de préparation du SCO contre Niort. Baticle estime ne pas avoir besoin d’expliquer ce choix à son joueur et souhaite simplement tester ses aptitudes défensives. Ce qu’il ressort de cette rencontre est finalement clair : « Une animation, c’est des cases à remplir. Ce jour-là, je me rends compte que Jimmy est intéressant, qu’il sait se placer, qu’il a les bonnes distances dans ses interventions, qu’il peut occuper la case piston droit dans un 3-4-1-2. Derrière, on travaille avec l’ensemble de l’effectif, on répète des circuits en prenant notamment en exemple ce que fait le Sporting, que l’on a joué en amical fin juillet. Et Jimmy progresse rapidement : il est ouvert, réceptif, il réfléchit, il applique… » Mais que devient Jimmy Cabot ?
Bombe d’énergie et pannes de réveil
Réponse : un joueur dont il est légitime de se demander s’il n’est pas aujourd’hui le meilleur à son poste en Ligue 1. Jonathan Clauss a beau briller de mille feux et être porté par une grande vague médiatique, le numéro 11 du SCO fait bien plus que regarder son homologue du RC Lens dans les yeux. Les chiffres vont dans ce sens, car si Clauss a offert une passe décisive de plus que Cabot (six pour le Nordiste, cinq pour l’Angevin), il est ensuite battu par la mobylette du Maine-et-Loire dans la majorité des autres catégories : le nombre de ballons touchés par match, le nombre de mètres gagnés avec le ballon (domaine où Cabot est le joueur de Ligue 1 le plus performant depuis le début de saison), le nombre de dribbles tentés et réussis par match… Après treize journées de championnat, l’ancien joueur de Lorient est même le joueur de Ligue 1 qui a tenté et réussi le plus de tacles (2,5 par match, 33 réussis depuis le début de saison) devant des experts du registre (Benjamin André, Romain Thomas, Laurent Abergel…).
Alors que Gérald Baticle parle de lui comme d’un « leader d’énergie », ce qui se justifie par le fait que Jimmy Cabot est aussi le joueur angevin qui touche le plus de ballons et celui qui effectue le plus de pressions, l’intéressé, lui, se contente de sourire timidement : « Je suis un peu sur les réseaux, donc bien sûr que je vois les chiffres passer. La stat sur les tacles, elle s’explique d’abord par un fait : quand tu es ailier, tu es plus rarement face au jeu et donc plus rarement dans une situation de tacler un adversaire. Dans ce nouveau rôle de piston, lorsqu’un attaquant essaie de déborder ou de me prendre de vitesse, je peux utiliser mes petites jambes, trouver le bon moment pour lancer ma jambe et récupérer le ballon proprement. Comme en plus, je sais que ça porte le public, ça me pousse encore davantage… » Ouf, le natif de la vallée de la Maurienne n’a pas totalement changé. Au contraire.
À l’écouter et à écouter ceux qui l’ont croisé, Cabot a plutôt trouvé une chose et en a retrouvé une autre. Ce qu’il a trouvé : un poste où il peut être davantage face au jeu et ainsi faire parler sa vitesse, ses qualités de percussion et sa folie. Ce qu’il a retrouvé : le sourire, souvent en berne lors de la première saison du bonhomme à Angers. « Je ne peux pas dire que je n’ai pas terminé l’année frustré, explique ce dernier. J’ai signé fin septembre 2020(en provenance de Lorient, NDLR)et j’ai eu beaucoup de mal à compenser mon manque de préparation. Il y a d’abord eu l’enthousiasme, quelques matchs, puis tout est devenu un peu plus compliqué, sur le terrain comme en dehors. Il a fallu digérer plusieurs choses : le changement de ville, la Covid, le fait de ne pas trop pouvoir sortir, les pépins physiques… J’ai été un peu seul, l’année a été longue. Mais bon, il y a des saisons comme ça. »
Il y a surtout des mecs comme ça, comme Jimmy Cabot, qui ne tourne à rien d’autre qu’à l’amour : celui de sa copine, elle aussi originaire de Savoie, celui d’un public qu’il aime électriser, celui de ses potes de longue date et de ses coachs. « Son parcours de vie fait qu’il a dû mûrir très tôt, éclaire l’ancien directeur du centre de formation de Troyes, Claude Robin, qui a vu l’ado débarquer dans l’Aube à l’âge de 15 ans avant de l’avoir sous ses ordres en Ligue 1. Il a besoin d’être aimé, considéré. Son style de jeu fait qu’il engendre aussi automatiquement de l’affection puisqu’il amène de l’excentricité sur le terrain. Il tente des choses, n’a pas peur du risque, aime s’arracher, et c’est pour ça qu’il a rapidement été l’un des chouchous des supporters de l’ESTAC avec Corentin Jean. Bon, après, on a parfois dû le lever le matin. Au centre, j’avais instauré une règle : celui qui avait une panne de réveil venait courir avec moi le matin, à 6h30. Il est venu plusieurs fois. Ça nous a aussi permis de discuter, de renforcer les liens. »
« Quand on aime le foot, on aime Jimmy Cabot »
Arrivé au foot après une première partie d’enfance dédiée à l’amour de la pétanque aux côtés de son père, ce qui explique qu’il « faisait des carreaux à l’âge de quatre ans » et qu’il concède encore des soirées passées devant les Masters, Cabot, passé par Lorient entre 2016 et 2020, a toujours vu le foot comme un spectacle et entretenu un rapport sacré avec son sport. L’ancien fidèle de la place du forum de Saint-Jean-de-Maurienne, qui se plaisait à transformer les arcades en but avec ses potes, dit : « Je me suis toujours intéressé à tous les postes, tous les dispositifs. Ça m’aide à ne jamais avoir l’impression de partir de rien. Quand j’avais 18 ou 19 ans, j’avais un rôle de joker, donc j’entrais surtout pour mettre le feu, dribbler, faire le feu follet, mais sur le terrain, je n’ai jamais aimé balancer et me débarrasser du ballon. J’aime quand le jeu est respecté. »
Président de l’association des 10 de province, Benjamin Nivet a tout de suite aimé le côté « joueur à l’instinct » de son ancien coéquipier et note : « Jimmy, c’est le mec qui attire l’œil. Les gens se retrouvent en lui, car il ne calcule jamais. C’est un type sain. Quand en plus tu ne le brides pas, tu sais qu’il va t’offrir ce que tu veux. Aujourd’hui, il a su gagner en régularité et a appris à être efficace dans son dribble, à détecter les zones dans lesquelles on peut faire certaines choses et d’autres moins. » Ami de longue date du joueur du SCO, Henri Neveu, passé par le centre de formation de l’ESTAC et qui est aujourd’hui à Doha au sein de l’équipe billetterie du Mondial 2022, tranche en affirmant que « quand on aime le foot, on aime forcément Jimmy Cabot ».
Cabot, lui, affirme surtout avoir réussi à construire au fil des années sa propre bulle dans un monde qui a longtemps été quasi uniquement peuplé de personnes qui « vivent, mangent et dorment foot » et où il a notamment réussi à faire entrer des livres de développement personnel à la suite de sa rencontre avec Cécile Traverse, la femme de Jean-Marc Furlan, son ancien entraîneur à Troyes. « Avec elle, j’ai réussi à comprendre ce dont j’avais besoin en matière de préparation mentale parce que j’étais très exigeant avec moi. Ensuite, je me suis fait ma culture et j’ai découvert des auteurs comme Laurent Gounelle. Les Dieux voyagent toujours incognito, pour moi, c’est un livre de base. » Henri Neveu poursuit : « Au premier abord, il peut paraître froid, mais en réalité, Jimmy est quelqu’un de très ouvert, intelligent, cultivé. Là, il grandit encore, et sa capacité d’adaptation à son nouveau rôle le prouve. Il sait où il va. »
Admirateur du joueur, Furlan insiste sur la « capacité d’analyse profonde » d’un élément qu’il n’a pas énormément utilisé lors de son époque troyenne et souffle que son évolution prouve que « le foot n’est pas une histoire de gabarit. Tu as des mecs qui font deux mètres et pèsent 100 kilos, qui ne récupèrent pas un ballon. Lui, c’est un petit format, mais il dévore tout. » Aujourd’hui, qui sait jusqu’où il ira ? « Ce nouveau poste lui va à ravir et il ne l’appréhende que depuis quelques semaines, répond Claude Robin. Il a peut-être trouvé définitivement sa voie. » Neveu, de son côté, rêve de voir son pote débarquer au Qatar à l’hiver 2022 avec l’équipe de France. Seule certitude : Jimmy Cabot, qui ramène pour le moment sa réussite à une histoire de « sauce qui a bien pris » et qui tient enfin « un vrai cocon pour s’éclater » selon Corentin Jean, n’a pas fini de sauter et faire sauter les barrières.
Par Maxime Brigand
Tous propos recueillis par MB