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- Kairat Almaty-Paphos (0-0)
« J’étais un peu surpris de voir Tuyakbaev entrer à la mi-temps »
Pendant que l’Europe s’enflammait pour 43 buts en neuf matchs de Ligue des champions, une rencontre a résisté à la frénésie : Kairat Almaty-Paphos, 0-0 malgré un carton rouge dès la 4e minute. Théo Douet, au commentaire pour Canal+, raconte comment on prépare un tel choc, entre fiches d’infos, prononciations kazakhes et la poésie d’un match où rien ne se passe… mais où tout se raconte.

Comment s’est passée ta soirée de mardi soir, en cabine et au micro du match Kairat-Paphos ?
Écoute, très bien ! On a eu une soirée record avec 43 buts. Bon, sur notre match, on est un peu moins bien tombés, mais tout ne se joue pas au nombre de buts. Il y avait un peu moins de qualité technique, mais parfois plus d’histoires à raconter. En termes d’intérêt, on n’était pas mal non plus.
Les joueurs, on ne les connaît pas, alors aux commentaires, on nous attend justement là-dessus : raconter une trajectoire, une anecdote.
Comment on se prépare à commenter un match entre deux clubs qu’on ne connaît pas ?
On est à 546 matchs par saison sur toutes les Coupes d’Europe, donc on a l’habitude de préparer des affiches avec des équipes qu’on ne voit pas forcément tous les week-ends. La méthodologie ne change pas vraiment : on utilise toujours les mêmes sites spécialisés comme Transfermarkt ou FBref, pour le parcours des joueurs et les statistiques. Après, il faut pousser un peu plus loin la recherche, aller lire la presse locale chypriote ou kazakhe pour dénicher des petites histoires. Les joueurs, on ne les connaît pas, alors aux commentaires, on nous attend justement là-dessus : raconter une trajectoire, une anecdote. Dire par exemple qu’untel a déjà connu Anfield avec Porto il y a dix ans (Luis Mata, le latéral du Kairat, présent sur le banc lors d’un huitième contre Liverpool en 2018 avec Porto, NDLR). C’est ça que les gens veulent savoir, beaucoup plus que quand tu commentes Arsenal ou Manchester United. Sur ces grands clubs, les spectateurs connaissent déjà tout, donc tu vas plus t’attarder sur une stat avancée ou l’actu de la semaine. Ce n’est pas la même approche au micro, mais la base du travail reste la même.
Inconnus il y a encore quelques mois, ils découvrent la Ligue des champions cette saison. Voici les histoires du Kairat Almaty et de Pafos 🇰🇿 x 🇨🇾 Les deux clubs s'affrontent aujourd'hui à 18H45 sur CANAL+ Sport 🖥️#UCL #KAIPAF pic.twitter.com/c7U6PkOWUS
— CANAL+ Foot (@CanalplusFoot) October 21, 2025
Vous arrive-t-il de contacter des joueurs ou des gens du club avant un match ?
Oui, on essaye toujours d’avoir une petite plus-value. Je regarde les noms dans chaque effectif pour voir avec qui je peux créer un contact. Là, j’ai pu échanger quelques messages avec Mons Bassouamina (attaquant de Clermont transféré cet été à Paphos) avant le match, savoir comment ils avaient voyagé, s’il y avait des absents, des petits détails qui enrichissent notre préparation. Parce que tu as toujours envie de savoir comment une équipe a fait pour venir jusqu’à Almaty au fin fond du Kazakstan : de France ou d’Espagne, c’est onze heures de vol, de Chypre cinq heures, donc c’est plus simple. Et on s’appuie aussi sur les collègues de Canal. Je n’avais encore jamais commenté Pafos, alors j’ai demandé à mon ami Hugo Cappelaere, qui avait fait leur match contre le Bayern, quelques infos — notamment sur les prononciations.
Tu t’es proposé pour ce match ou c’était le hasard du planning ? Non, pas du tout ! Je ne me suis pas proposé. Je ne réclame aucun match, on a pas la main dessus. Les commentateurs ne sont pas rattachés à une équipe. Il n’y a pas de choix ni de promotion, c’est juste le hasard du planning. Cela dit, je deviens un peu un habitué du Kairat : j’avais déjà commenté leur barrage aller-retour contre le Celtic. Deux 0-0, mais une superbe séance de tirs au but.
Existe-t-il une fiche secrète « comment prononcer les noms kazakhs » ?
(Rires.) Pas exactement, mais il existe des sites comme Forvo que j’utilise parfois. Après, les sonorités se répètent : les « -kbaev », par exemple. C’est quand même du boulot pour s’imprégner des noms. Avant chaque match, je regarde les résumés du championnat en langue locale, et je prends des notes précieuses. Mardi, j’ai enfin réussi à prononcer correctement le nom de Rafael Urazbakhtin, l’entraîneur kazakh d’Almaty. Mais la première fois que je l’ai commenté, c’était en barrage avec Geoffroy Garétier, qui, lui, maîtrise tout sans regarder ses fiches. Il se moquait gentiment de moi à chaque gros plan d’Urazbakhtin, parce qu’il savait que j’allais buter dessus.
Le plus dur à commenter : l’entrée de Tuyakbaev ou les arrêts d’Anarbekov ?
Franchement, l’entrée de Tuyakbaev. Je ne l’avais jamais vu jouer, il n’avait encore jamais disputé un match de Ligue des champions, ni en phase de groupe ni en barrages. J’étais un peu surpris de le voir entrer à la mi-temps, surtout qu’il y avait des noms plus connus comme Ricardinho, le Brésilien, qui joue d’habitude. Je n’avais pas douze mille anecdotes sur lui, on l’a un peu découvert en direct. Mais oui, quand tu vois le petit numéro 87 s’approcher pour rentrer, 18 ans, formé au club, tu découvres tout ça en direct. Anarbekov, en revanche, je le connais bien : héros de la séance de tirs au but face au Celtic.
Comment on raconte un match comme celui-là, et comment adapte-t-on son commentaire ?
Honnêtement, je ne me pose pas souvent la question. J’essaie d’être juste par rapport à l’histoire qu’on est en train de vivre. Je ne force pas les anecdotes. Par exemple, mardi, il y avait David Luiz, le joueur le plus connu de Paphos : forcément, on insiste un peu plus sur lui. Du côté du Kairat, on met souvent en avant Satpaev, parce qu’il appartient à Chelsea et qu’il sera peut-être prêté en Europe, pourquoi pas à Strasbourg. Mais hier, j’ai raconté moins d’histoires sur le Kairat, parce que c’était la troisième fois que je les commentais. Les téléspectateurs avaient sûrement déjà vu le dernier match face au Real Madrid, donc les anecdotes, ils les connaissent. Je pense que le public de mardi, c’était surtout des fans curieux, peut-être des supporters de Monaco, leur futur adversaire, ou des passionnés qui suivent cette épopée depuis les barrages.
Je ne suis pas attaché au nombre de buts. Je préfère commenter un bon 0-0 plein de suspense.
Quand tu commentes un 0-0 au milieu d’une soirée à 43 buts, tu te sens plus moine bouddhiste ou gardien du temple ?
Franchement, ça me fait sourire, mais aucune frustration. Je ne suis pas attaché au nombre de buts. Je préfère commenter un bon 0-0 plein de suspense qu’un 6-0 à cause d’un carton rouge à la 4e minute. Hier, c’était cool : on était tenus jusqu’au bout, avec ce but refusé pour hors-jeu très limite en deuxième période. Et pour raconter des histoires, un 0-0 peut être aussi riche qu’un score fleuve.
Vacances au Kazakhstan ou à Chypre ?
Chypre, sans hésiter ! Ce sera moins cher, il fera plus chaud, et j’aurai moins de décalage horaire. Mardi, il était 18h45 en France et 21h45 là-bas… C’est particulier.
Un mot sur ton consultant, Samuel Lobé, qui a eu une belle carrière le Ligue 2 ?
Samuel est bluffant. Avec son expérience, il devient injouable. En avant-match, il me sort que Sorokin et Martynovich ont déjà joué ensemble la Ligue des champions avec Krasnodar ! Pendant 90 minutes, personne n’est infaillible : il a bafouillé deux fois sur Bassouamina, ironique, parce que c’est sans doute le joueur qu’on connaît le mieux, puisqu’il était à Clermont l’an dernier. Mais tactiquement, Samuel est indispensable. À l’entrée de Tuyakbaev, il lui a fallu trois minutes pour analyser le placement et comprendre comment le Kairat s’était réorganisé. Impressionnant.
Tu commentes ce mercredi ?
Ce soir, je fais un résumé pour le Canal Champions Club entre Liverpool et Francfort. Et alors là, s’il n’y a pas de but, tu pourras me rappeler pour faire une interview sur le chat noir de Canal ! Parce que j’ai déjà eu un 0-0 ce week-end, lors d’un match de D1 Arkema entre Le Havre et Saint-Étienne. Mais normalement, on devrait voir des buts cette fois. Je l’espère.
En infériorité numérique, Paphos repart d'Almaty avec le point du nulPropos recueillis par Sacha François