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L’Union saint-gilloise, un autre visage de la multipropriété
À l’Union saint-gilloise, la multipropriété n’a rien d’un pacte avec le diable. Depuis son rachat en 2018 par Tony Bloom, le club bruxellois a su préserver son identité, son indépendance et sa ferveur populaire, tout en devenant un modèle d’efficacité sportive. La preuve qu’on peut appartenir à un milliardaire anglais sans perdre son accent du quartier.

En sept ans, Tony Bloom n’a pas misé sur les dépenses mais sur les bons calculs. Sans claquer des millions, sans promettre des salaires mirobolants à l’échelle belge. À titre de comparaison, les sommes dépensées par l’Union, Bruges ou Anderlecht restent relativement similaires, mais le petit Poucet devenu grand se distingue depuis presque une décennie par la précision de son recrutement.
« Bloom, c’est un joueur de poker, mais surtout le patron d’une société de data qui a trois ou quatre ans d’avance sur tout le monde, raconte Jean-Marcel Thienpont, 75 ans, supporter de l’Union et membre des Grognards. Et ça fait ses preuves. Il ne fait pas venir des noms, il fait venir des profils. Undav, il jouait en quatrième division allemande, il avait des kilos de trop. Boniface, personne ne le connaissait, il jouait dans le froid norvégien et on l’a revendu vingt fois plus cher. Puertas, c’était un type en Suisse qui jouait la descente… Eh bien, tous ces gars-là sont devenus des héros à Marien. »
On sait que chaque saison, on va devoir se reconstruire, mais c’est le lot des championnats inférieurs.
Bloom n’a jamais sorti le chéquier pour un joueur clinquant. Ce qu’il a sorti, c’est un algorithme. L’Union n’a pas besoin de stars, elle les fabrique. Et quand elles partent, personne ne s’effondre. Parce qu’ici, on sait que le prochain inconnu à débarquer finira sûrement meilleur buteur l’an prochain. Pour Charles Morren, ancien joueur du club entre 2014 et 2019 et capitaine, cette méthode colle à l’esprit maison : « C’est un club où rien n’est laissé au hasard. Tout est réfléchi, sans perdre le côté humain. Quand tu vois des gars comme Teuma, un ancien boucher, devenir capitaine puis international, c’est une fierté. Et le plus fort, c’est que tout ça se fait sans trahir l’âme du club. »
Un laboratoire qui n’en est plus un
Brighton est le cousin anglais, certes. Mais l’Union a vite appris à marcher seule. Sans laisser l’enfer de la multipropriété, qui reste un fléau du foot actuel, prendre le dessus, quand la contestation reste vive à Strasbourg, avec des multiples transactions avec Chelsea, ou qu’un club comme Lyon, pour rester en France, s’est perdu dans la galaxie Textor. Le club bruxellois garde sa liberté de ton et de décision. « Bloom, il vient de temps en temps, il félicite le groupe, puis il repart, explique Jean-Marcel. Il a passé le flambeau à un proche, Alex Muzio. Brighton, c’est devenu un cousin, pas un tuteur. » La différence avec d’autres expériences belges saute aux yeux avec l’exemple voisin de Molenbeek, passé sous pavillon Eagle : « Si on considère un gars comme Textor au Brésil, à l’Olympique lyonnais et à Molenbeek, c’est courir à la catastrophe. Cet homme est un véritable dictateur et n’y connaît strictement rien en football. On a vu des Brésiliens débarquer à Molenbeek. Ils venaient faire leur danse et ça n’a rien apporté. En plus, ils voulaient changer le nom du club, ça allait à l’encontre des supporters. C’est comme ça qu’on perd une identité », déplore l’amoureux de l’USG.
À l’Union, rien de tel. Pas d’allers-retours incessants de joueurs, pas de pipeline d’Anglais en manque de minutes. Seulement un club sobre et méthodique. Dans les faits, les performances européennes de l’Union ont parfois dépassé celles de Brighton, au point que les revenus européens du club belge ont été supérieurs à ceux du club anglais. Ce qui devait être le laboratoire belge d’un club anglais a totalement surpassé les attentes. Charles Morren se souvient du virage professionnel au moment du rachat : « Au début, c’était spécial. Du jour au lendemain, on nous dit : “Les gars, on a été rachetés, on s’entraîne désormais à Lierre.” Pour les Bruxellois, c’était une heure et demie de route, dans les bouchons. Et on nous a clairement dit : “Soit vous vous adaptez, soit la porte est là.” Certains d’entre nous sont restés. Finalement, on a su s’adapter, et à 5 ou 6, le club nous a loué une camionnette et on faisait du covoiturage. C’était dur, mais on a compris que le club voulait passer un cap, redevenir pro. »
Pizzas, bières et club-house
À l’Union, on ne s’attache pas aux noms sur le maillot, mais aux couleurs. Habitués des divisions inférieures belges, les supporters ne se sont jamais vraiment attachés à des joueurs. Avec un peu plus de 100 apparitions, vous entrez déjà dans le top 20 des joueurs les plus capés de l’histoire. Un roulement que la famille Union a appris à apprivoiser. « J’ai 75 ans, raconte Jean-Marcel. Mon premier match, c’était dans les années 1950. J’ai connu des centaines de joueurs différents et on les a tous accueillis dans notre famille, même si c’était pour deux ans. On sait que chaque saison, on va devoir se reconstruire, mais c’est le lot des championnats inférieurs. Il y a toujours eu ce noyau de supporters fidèles, prêts à sortir de leur poche pour aider le club à ne pas couler. »
À la fin des matchs, on allait boire un verre avec les supporters. Victoire ou défaite, c’était pareil. Et je peux te dire que parfois, on fermait le club-house à trois ou quatre heures du matin !
Cette mentalité explique pourquoi les départs de stars comme Teuma, Boniface ou Undav ne font pas trembler le stade Marien. Le style, la foi, la ferveur restent. « L’Union, c’est pas un club d’individus, c’est une atmosphère, raconte Charles Morren. Même avec le rachat, rien n’a été dénaturé. Ce que j’ai aimé, c’est que l’ambiance reste la même. À la fin des matchs, on allait boire un verre avec les supporters. Victoire ou défaite, c’était pareil. Et je peux te dire que parfois, on fermait le club-house à trois ou quatre heures du matin ! »
Ce principe fonctionne aussi chez les entraîneurs. Récemment, Sébastien Pocognoli, véritable héros de l’Union, a permis au club de décrocher son premier titre de champion de Belgique depuis près de cent ans et de disputer pour la première fois de son histoire la Ligue des champions, a quitté le club pour rejoindre Monaco. Une décision qui n’a rien de personnel car, depuis le rachat, sept entraîneurs se sont succédé, parmi lesquels Karel Geraerts, resté une saison avant de s’envoler pour l’Allemagne, puis de devenir l’actuel entraîneur du Stade de Reims. « C’est leur façon de travailler, c’est leur stratégie. Quand un joueur ou un entraîneur fait du bon travail, ils savent qu’ils peuvent gagner plus d’argent. Mais d’un autre côté, ils font venir de jeunes joueurs qui ont énormément de talent. C’est leur structure, et ça fonctionne très bien », expliquait-il au micro de DAZN Belgique.
La dernière fois que Bloom est venu, c’était pour recevoir les félicitations du maire de Saint-Gilles. Il est venu en jean et en polo. Rien de bling-bling. Ça résume tout.
Pour comprendre pourquoi la multipropriété ne fait pas scandale ici, il faut également regarder les tribunes. À l’Union, on chante plus fort quand on perd 4-0. Affronter Newcastle, c’était déjà une victoire. « Les supporters sont tellement ravis de ce qui se passe, et ça a été tellement fulgurant et foudroyant pour eux que, pour l’instant, ils ne prennent que du plaisir et que les avantages. Surtout que maintenant la rivalité face à Anderlecht, qui était naturellement à l’avantage d’Anderlecht, est aujourd’hui dominée par l’Union, et ils en profitent », raconte Rémi Keromest, joueur du club entre 2005 et 2010.
Le succès n’a d’ailleurs jamais rien changé à la manière d’aimer le club, ici, la joie reste simple, les chants restent propres, selon le défenseur français. « Je n’ai jamais vu une bagarre en cinq ans. Jamais entendu une insulte ou un chant virulent. C’est un club sain, où les valeurs se transmettent. Les jeunes supporters, ce sont souvent les fils des anciens. Et cette mentalité, elle est propre à l’Union. » Même les dirigeants ont adopté cette culture du respect et de la simplicité. « La dernière fois que Bloom est venu, se rappelle Jean-Marcel, c’était pour recevoir les félicitations du maire de Saint-Gilles. Il est venu en jean et en polo. Rien de bling-bling. Ça résume tout. » Et quand le président Alex Muzio descend partager une pizza et une bière dans la pizzeria du quartier, personne ne s’étonne. « C’est notre quartier général. Les dirigeants viennent discuter, savoir ce qui va, ce qui ne va pas. C’est ça, la proximité de l’Union. » Le club bruxellois a trouvé une seconde vie, sans perdre son âme et ce que tout le monde aime dans le foot au-delà du jeu : la troisième mi-temps.
L’Union saint-gilloise a trouvé le remplaçant de Sébastien PocognoliPar Sacha François
Tous propos recueillis par SF, sauf mentions