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- Strasbourg-Le Havre (2-3)
Le Havre, un miracle tant qu’il dure
En se maintenant à la dernière minute du multiplex de la dernière journée de Ligue 1, Le Havre a offert un très beau moment de cette saison. Une délivrance comme une récompense pour l’avant-dernier budget de l’élite et un club victime du deal LFP-CVC. Un miracle qui méritait de durer au moins une année de plus.

Le championnat de France n’a pas besoin d’une course au titre haletante pour raconter des histoires passionnantes. Ce serait mieux, bien sûr, si le Paris Saint-Germain n’avait pas été seul au monde, sportivement comme économiquement, mais l’ultime journée de Ligue 1 a rappelé qu’il y avait de la vie et de la passion ailleurs. Au Havre, par exemple, ou plutôt à Strasbourg, où les Normands ont offert un de ces moments de multiplex dont on se souviendra dans dix ou vingt ans, comme les coups francs de Dimitri Liénard ou Yann Bodiger avant eux (ou le but d’Emmanuel Bourgaud pour Amiens pour les aficionados de Ligue 2).
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— DAZN France (@DAZN_FR) May 17, 2025
En choisissant la panenka pour le penalty du maintien, Abdoulaye Touré a réalisé un geste fou ou génial, voire les deux, qui aurait été vivement critiqué en cas de loupé. Mais voilà, c’est passé et on ne peut pas dire grand-chose d’autre que bravo, au joueur comme à ce club qui revient de très loin. « Le scénario est dingue, tout notre parcours en réalité. La finalité de ce match est à l’image de notre saison tout simplement, analyse Didier Digard dans L’Équipe. Mais je n’ai jamais senti de doutes, c’est d’ailleurs assez inexplicable comme sentiment. Cela ne pouvait finir que comme ça, je l’avais dit dans la semaine, je l’ai répété à la mi-temps : “On se sauvera à la dernière minute du dernier match.” » L’histoire est toujours plus facile à raconter après qu’avant, mais qu’importe : elle est belle parce qu’elle ressemble à un miracle.
Des bouts de ficelle et de la stabilité
Le PSG qui termine champion de France, c’est normal. L’OM et Monaco qui se qualifient pour la Ligue des champions, c’est logique. Le Havre qui sauve sa peau dans l’élite pour la deuxième saison d’affilée, ça l’est beaucoup moins. Il n’y avait pas grand monde pour y croire quand, à la mi-saison, le HAC avait enfilé le bonnet d’âne de la L1 avec 13 petits points en 19 journées, derrière Montpellier (15 points), Saint-Étienne (18 points) ou Reims (22 points), trois clubs avec des budgets supérieurs et qui ont fini par se faire dépasser par les Normands, sur le gong pour le dernier cité.
Il n’y avait pas grand monde, non plus, pour diffuser de l’espoir ce dimanche d’avril, où le Stade rennais était venu gifler les Ciel et Marine sur leur pelouse (1-5). Dans les couloirs du stade Océane comme à la sortie, il régnait ce jour-là une sorte de déprime évidente, face à un calendrier jugé impossible (Paris, Monaco, Auxerre, OM, Strasbourg) au bout duquel les Havrais ont ramassé sept points sur quinze possibles, déjouant tous les pronostics. « Pas grand monde n’a cru en nous, on ne va pas se mentir », résumait en se marrant Mathieu Bodmer dans L’Équipe après le dénouement heureux.
On y a tellement cru. Les joueurs ont fini par s’en persuader également, on a ancré cela dans leurs têtes.
Il est difficile de jeter la pierre à ceux qui plaçaient Le Havre dans la charrette l’été dernier, après une intersaison passée à composer avec des bouts de ficelle (en gros, des prêts) pour construire une équipe capable de se maintenir. Il a fallu conserver des joueurs importants, prendre son temps pour acter le retour d’André Ayew et faire les bons choix cet hiver (Ahmed Hassan, par exemple). « Tout le monde a regardé dans la même direction à partir de janvier, se réjouissait Digard. On y a tellement cru. Les joueurs ont fini par s’en persuader également, on a ancré cela dans leurs têtes. On a toujours cherché à jouer, on ne s’est jamais renié et, à l’arrivée, la récompense est exceptionnelle. » Elle l’est encore plus quand elle vient de la stabilité et de l’union : le HAC a choisi de faire confiance à Digard jusqu’au bout, même dans les tempêtes, à l’instar d’Angers avec Alexandre Dujeux, qu’il faut aussi chaudement féliciter (plus petit budget de L1 devant Le Havre), quand les deux relégués, Montpellier et Saint-Étienne, et le barragiste Reims ont fini par faire sauter les fusibles préférés du foot.
« À un moment, la corde elle cassera »
C’est la réussite d’une équipe, d’un club et donc d’un trio de tête, composé du président Jean-Michel Roussier, du directeur sportif Bodmer et du coach Digard, pour « le club humainement le plus soudé de Ligue 1 » selon les mots de l’ancien milieu de terrain devenu technicien. C’est la victoire du travail et de la passion, puisqu’il suffit d’écouter l’architecte Bodmer pour comprendre que le foot n’est pas vraiment un métier pour lui, pas plus depuis son arrivée à ce poste en 2022 au HAC. Un club, il faut le rappeler, victime du deal entre la LFP et CVC, une injustice face à laquelle Roussier n’aura cessé de se battre, même publiquement, en n’hésitant pas à remettre en cause Vincent Labrune, quand d’autres présidents de clubs préféraient se murer dans le silence ou dans un soutien aveugle et intéressé. Les supporters havrais, venus en nombre à l’aéroport dans la nuit de samedi à dimanche, ne l’ont pas oublié au moment de déployer une banderole ironique ce week-end : « Nicollin, Caillot, réservez une table et mettez ça sur l’ardoise de Labrune ! »
On l'a fait pour le 𝒑𝒆𝒖𝒑𝒍𝒆 🧨 pic.twitter.com/sY68Ww9FNE
— Havre Athletic Club ⚽️ (@HAC_Foot) May 18, 2025
Il y a un temps pour la fête, mais elle ne dure jamais trop longtemps à ce niveau dans le foot. Il faut pourtant mesurer l’exploit havrais, que l’on assimile facilement à un club de l’élite, mais qui a surtout navigué dans l’antichambre depuis le début du siècle. Avant la remontée en 2022-2023, le HAC cumulait seulement deux saisons en Ligue 1 depuis 2000, et c’est la première fois depuis la fin des années 1990 qu’il réussit à y rester pendant trois saisons de suite. Le soulagement et le bonheur sont presque déjà passés, puisqu’il faut penser à la suite, avec un entraîneur épuisé (mais que ses dirigeants veulent voir rester), dix-huit joueurs en fin de contrat en comptant les retours de prêt et une crise des droits TV qui n’est pas terminée. « À un moment, la corde elle cassera, c’est une certitude », prévenait Roussier sur RMC ce dimanche, comme pour rappeler qu’un miracle ne peut pas être permanent. Au Havre, il aura au moins déjà duré trois ans.
La prémonition de Didier Digard sur le maintien du HavrePar Clément Gavard