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Mathieu Bodmer : « Oui, peut-être que j’avais un talent incroyable »

Propos recueillis par Maxime Marchon
Mathieu Bodmer : « Oui, peut-être que j’avais un talent incroyable »

Mathier Bodmer a des dizaines de casquettes, encore trois licences de foot et déjà 1000 vies. Entrepreneur, consultant télé, papa, défenseur, président de club, travailleur social, footballeur professionnel, milieu de terrain, grand frère du quartier, international espoir, bachelier avec mention, avant-centre et fan du PSG. Toujours. Alors en attendant de pouvoir rejouer avec son club d’enfance, l’équipe de foot corpo d’Issy-les-Moulineaux et celle de tennis-ballon d’Évreux, et à défaut de pouvoir encore distiller sa science du jeu sur Téléfoot, cet insomniaque engloutit des heures de vidéos de foot. D’un Maritimo Funchal à un match U15 du HAC, en passant par le match retour contre le Barça. Entre, il donne aussi des interviews de deux heures. « Je suis normand, je suis un taiseux. » Heureusement.

Pendant ton enfance, tu allais au Camp des Loges pour avoir des autographes. Comment as-tu vécu le fait d’être de l’autre côté de la barrière ?Je me suis rappelé que 25 ans en arrière, c’était moi. Que j’étais tout timide, que je n’osais pas parler à George Weah et David Ginola. Mon père me disait : « Vas-y, c’est des hommes comme tout le monde. » Mais pour moi, c’était le George Weah de la télé qui était trop fort au foot. C’était donc important que je m’arrête. Il fallait que je rapproche le monde pro du monde amateur. Ce sont les gens qui vont au stade, qui regardent la télé, qui vont jouer au foot. À cause des réseaux sociaux, la nouvelle génération est moins passionnée. Il y a beaucoup de matchs de foot aujourd’hui à la télé, on peut regarder en replay, il y a des résumés sur internet, les buts… Moi, le match sur Canal du vendredi, j’étais derrière ma télé 30 minutes avant. Je savais qu’il allait commencer à 21h, mais il n’y en avait que deux par semaine, donc j’avais peur de le louper.

Aujourd’hui, avec l’absence d’ambiance et de supporters, un match comme le PSG-Barça de ce soir, tu arrives à le regarder en entier encore, sans être déconcentré par un mail, un SMS, Twitter ?Avec le PSG, oui. Sinon j’ai trouvé la parade pour ça : je regarde plusieurs matchs en même temps. Ça évite de s’endormir. Je pars du principe que chaque match va m’apprendre quelque chose. Peu importe la division. Je peux être aussi attentif devant un match U15 que de Ligue des champions. Je vais voir un placement, une prise de balle, la découverte d’un joueur. Quand j’étais chez Téléfoot, j’essayais de retranscrire ça, faire en sorte que la personne devant le match reparte avec un truc qu’elle ne connaissait pas, n’avait pas vu.

J’ai envie de retourner au stade, de prendre le vent et la pluie dans la tête.

Mais tu es d’accord que si Paris avait gagné la Ligue des champions l’année dernière, elle n’aurait pas eu le même goût que celle des années précédentes ?Complètement. Ce n’est pas pareil. Sans public, ce n’est plus du foot. Pour les arbitres, les joueurs, les dirigeants, les téléspectateurs… pour personne. On se disait : « Il n’y a pas de monde au stade, il y en aura plus devant la TV. » Faux. Ce matin, je regardais le reportage Netflix sur Pelé par exemple. Je vois le Maracanã, 200 000 personnes, je me dis : « Ah ouais il y avait du monde dans le stade. » Les journalistes qui entrent sur le terrain, les mecs qui se font la bise, qui s’enlacent, tu oublies même que tu as connu ça. Je suis fan de NBA. Les Lakers ont gagné le titre, le premier après le décès de Kobe Bryant. Il aurait dû y avoir une fête. Là, ils ont gagné devant les écrans. Toute ma vie, j’ai regardé la remise des remises de trophée. Là, je n’ai pas regardé. Ça n’avait pas d’intérêt, il n’y avait pas de partage avec les supporters, l’émotion, le discours. J’ai regardé une vidéo de Gambardella il y a quelques jours, un Saint-Étienne-Lyon, il y a quelques années, il y avait 3000-4000 personnes à l’Étrat pour un match de jeunes. Mes deux fils de 17 et 15 ans sont en centre de formation. Quand l’aîné joue, on ne peut pas aller le voir. C’est à huis clos. Je ne l’ai pas vu jouer depuis 6 mois. Je le vois toutes les semaines, car c’est filmé. Mais j’ai envie de retourner au stade, de prendre le vent et la pluie dans la tête, de voir des gens.

C’est exactement ça. Un match au stade, tu regardes la moitié du temps le terrain et l’autre moitié les tribunes, les à-côtés.En tant que supporter, le plus important, ce n’est pas le match, c’est comment tu prépares la journée. Pour moi, en tout cas. Avant PSG-Chelsea ou PSG-Barça, c’était : « Je fais quoi ? J’y vais avec qui ? On mange où, avant et après ? Comment on fait pour les places ? On se retrouve où ? » Est-ce qu’au stade ça a chanté ? Est-ce qu’il y a eu des buts ? Et après, on se remémorera : « Tu te souviens quand on est parti là-bas, untel a fait ça ! » C’est les souvenirs. Aujourd’hui, tout le monde va se rappeler : « Ouais j’étais devant la télé quand ils ont mis 4-1 à Barcelone. » Si tu mets 4-1 à Barcelone et que le stade au quatrième but, il s’éteint, c’est des souvenirs.

Après la remontada, je n’ai pas parlé et je n’ai pas dormi pendant deux jours.

Tu retournes au Parc parfois ?J’ai mon abonnement à Auteuil, mais il n’y a pas de match. (Rires.) Je suis au deuxième étage. TF1 a voulu me filmer pour Barça-PSG, je leur ai dit : « Impossible. » Quand je suis dans les tribunes, je suis insupportable, je suis capable de me battre. Ma femme, quand c’est le PSG, soit elle ne reste pas, soit elle ne me parle pas. C’est comme ça. Quand Paris a perdu 6-1, la remontada, j’étais à Guingamp, je n’ai pas parlé et pas dormi pendant deux jours. J’étais dans un pire état que si mon équipe perdait. C’est ça le pire.

Après coup, tu dirais que la période où tu as été le plus fort, c’est dans quel club ? Au PSG ?Non, je dirais pas le plus fort, le mot n’est pas bon. C’est un peu présomptueux. Il y a eu des périodes où j’ai été très bon, que ce soit à Lille, Lyon ou Paris, et des périodes où j’ai été moins bon, même à Nice. J’étais un peu irrégulier comme joueur.

Comment l’expliques-tu ?Je ne l’explique pas. C’était moi. Même dans un match, je pouvais être très bon à un moment, sortir du match juste après, revenir. Être très très bon un week-end, et le suivant, très mauvais. C’est ce qui a fait ma carrière aussi. Dans l’ensemble, j’ai fait plus de bons matchs que de mauvais. Sinon, je n’aurais pas fait autant de bons clubs. Après, les raisons, on peut en parler pendant 100 ans. C’est le travail, la concentration, l’exigence du haut niveau, les équipes avec qui vous jouez, les coachs que vous rencontrez. À Paris, c’était moins le cas, j’arrivais à me dire qu’il fallait faire des choses simples, parfois assurer pour faire un match correct. Mais ça, on l’apprend avec l’âge et l’expérience.

Tu dirais qu’on ne travaille pas assez la partie mentale ?Ça commence à venir. Il y a eu la prépa physique, après les coachs adjoints, puis l’analyse vidéo. Et depuis quelques années, quelques mois, des coachs mentaux sont arrivés dans les clubs. Il y a des joueurs stressés, qui n’ont pas confiance en eux, et au contraire, d’autres qui ont trop confiance en eux.

Je n’ai jamais eu de stress dans ma vie. Stresser, c’est ne pas savoir comment tu vas nourrir tes enfants à la fin du mois.

Tu te placerais où, toi ?Moi, j’avais trop confiance en moi, c’était mon problème. Tu me donnes le ballon, j’étais sûr de m’en sortir tout le temps. Parfois, ça ne passait pas. J’ai fait des couilles. Mais dans les matchs compliqués, j’étais plutôt bon, car je n’avais pas la pression du résultat. Pareil, jouer devant 100 000 personnes, c’est pas un stress, c’est du plaisir. Je n’ai jamais eu de stress dans ma vie. Stresser, c’est ne pas savoir comment tu vas nourrir tes enfants à la fin du mois. Pendant le premier confinement, je parlais avec des mères de famille de quatre enfants, qui n’ont pas un euro, le papa est parti, les enfants ne vont pas à l’école depuis deux mois, et elles n’ont pas un centime pour les nourrir. Ce n’est pas nos problèmes de « Je joue, je joue pas ». À certains joueurs qui se prenaient la tête, je leur répondais : « Tu te rends compte, tu es payé pour aller t’entraîner ? Et en plus, tu es bien payé. Demain, tu iras peut-être dans un autre club, il n’y a pas mort d’homme. »

T’es en train de nous dire que tu n’as jamais ressenti le stress ?Jamais. Le seul truc qui pourrait me stresser un jour dans ma vie, c’est si ma femme et mes enfants tombent malade. Maladie grave, hein : si c’est une rhinopharyngite, ils en ont déjà eu. Tu peux avoir de l’argent, ça ne change rien. L’année dernière, il y a eu un accident de voiture grave à Évreux. Une dame âgée a perdu la vie. Dans l’autre voiture, c’était un mec qu’on connaissait avec trois enfants. Deux sont décédés. Quand je vais voir le père à l’hosto avec son enfant qui a survécu, et que le mec a le sourire, car il est croyant… Qu’est-ce que tu veux qu’il m’arrive après ? Ce n’est plus du stress. On n’a rien vécu, on a joué au foot.

Et quand Zlatan débarque au PSG et vient te parler, t’as pas le stress ?Non. J’ai connu pire dans mon quartier que Zlatan Ibrahimović, crois-moi. (Rires.) J’ai grandi en HLM à Évreux. Certains vont dire milieu défavorisé. Pour moi, c’était un milieu très favorisé, car j’ai aimé ma jeunesse. C’est grâce à ça que j’ai pu jouer au foot au niveau professionnel. Je sortais de chez moi, je sifflais, j’avais dix potes qui descendaient pour taper un foot. Ça n’a pas de prix. On n’avait pas d’argent, mais ça m’a permis de jouer au foot tous les jours de ma vie, d’avoir des potes qui le sont toujours aujourd’hui.

Quelqu’un qui a réussi à ne pas rompre avec son quartier et ses potes, tout en étant joueur au PSG, t’as pas l’impression d’être une exception ?Nous, à Évreux, on est plus de 30 sportifs professionnels. Pendant les vacances, au mois de juin, tu peux voir quinze professionnels qui jouent. Et après, tout le monde va manger ensemble. Peu importe qu’il gagne un million par mois ou qu’il soit au chômage. Tu croises Upamecano ou Ousmane Dembélé en train de marcher dans le quartier comme si de rien n’était, donc les gamins ne sont plus surpris. Ça les pousse à aller vers le haut, à vouloir devenir footballeur professionnel. Quand je parle avec les gens des autres villes pas loin de chez nous, Mantes-la-Jolie, les Mureaux, Trappes, ils disent que les gens de chez nous ont la chance de nous avoir. Parce qu’on est toujours là. Je fais partie des leaders, je suis l’un des plus anciens. Je suis l’un des premiers qui étaient dans l’associatif, j’essaye de parler à la nouvelle génération pour qu’ils prennent le relais. À un moment donné, on va vieillir, faire des choix de vie, on ne sera plus là.

Vingt minutes avant un match de Paris ou de Lyon, ça m’est déjà arrivé d’être dans le vestiaire et de devoir régler un problème de minibus à Évreux.

Outre ton rôle associatif, tu as été président du club d’Évreux pendant tes années à l’OL et au PSG. Comment as-tu jonglé avec ces deux activités ?C’était compliqué. J’ai pris le poste quand j’avais 28 ans. C’est pour ça qu’en 2013, j’ai arrêté quand je suis parti à Saint-Étienne. Ça demandait trop d’énergie. J’ai dû gérer tout. Du minibus pas à l’heure le vendredi aux packs d’eau pas là le samedi, au coach qui ne vient pas, à la licence pas payée, au trou dans les caisses de dizaines de milliers d’euros à combler rapidement, aux prud’hommes avec certains employés. Vingt minutes avant un match de Paris ou de Lyon, ça m’est déjà arrivé d’être dans le vestiaire et de devoir régler un problème de minibus à Évreux. Je n’ai jamais fait de burn-out, je n’ai pas besoin de faire ça. (Rires.) Parfois j’étais fatigué, c’est tout. Il vient de là, ton recul sur le monde du foot professionnel ?La chance que j’ai eue en effet, c’est que j’ai été de l’autre côté de la barrière. J’ai vu cette réalité économique. J’ai eu des employés à gérer et 1100 licenciés. À un moment donné, quand vous avez moins d’argent, il faut faire des choix. C’est le plus dur, car c’est de l’humain. En pro, quand il vous reste deux ans de contrat, vous savez que vous allez rebondir, que votre président va vous transférer, que vous allez donc toucher un salaire. Quand vous jouez en N3 et que vous dites à un joueur : « Tu as déconné pour X raisons » ou à l’intendant : « Il y a eu beaucoup de problèmes avec les machines, le minibus tu l’as cassé, ton CDD, je ne peux pas le renouveler », ça lui engage une vie. Intendant d’un club de foot sur un CV, t’es pas sûr de retrouver du travail. Et quand en plus, pour certains, ce sont des potes, tu te disputes.

Comment tu réagis quand Riolo dit sur RMC que tu es un « des plus gros gâchis des dix dernières années du foot français » ? Je n’écoute pas, pour commencer. Mais c’est bon signe, ça veut dire que j’étais un grand joueur. (Rires.) J’ai eu la carrière que je méritais. À un moment donné, il faut se poser les bonnes questions. Je me demande si parfois, on ne met pas les ambitions des joueurs trop haut. Ou le potentiel. Oui, peut-être que j’avais un talent incroyable, mais peut-être que physiquement ou mentalement, je n’étais pas prêt. Peut-être que ce que j’ai déjà fait, d’où je suis parti, c’est déjà bien. Physiquement, je n’étais pas bon, je n’avais pas une grosse endurance, je n’ai pas toujours été super sérieux dans ma vie, je n’ai pas mis tous les atouts de mon côté. La vérité est là. Il y a beaucoup de joueurs moins doués, mais qui se tuaient tous les jours, une hygiène de vie irréprochable et finalement, ils font une meilleure carrière. Quand tu dis que tu n’as pas été super sérieux, tu veux dire que tu sortais ?Je ne suis jamais trop sorti. J’ai fait des fêtes comme tout le monde, mais ce n’est pas ma tasse de thé. Moi, je suis marié, j’ai des enfants. Je suis casanier, j’aime être chez moi. Mais l’hygiène de vie, ce n’est pas juste de ne pas boire ou ne pas sortir. C’est ce que tu manges, comment tu dors. J’ai toujours eu des problèmes de sommeil, je m’endormais tard. À un moment donné, ça joue. Plutôt que d’aller dormir en sachant qu’il y avait un entraînement important, je me disais : « S’il y un Miami-Lakers… » C’était mon plaisir. Le lendemain, j’arrivais avec des yeux… Le préparateur physique me disait : « Il y avait un match ? » « Ouais, il était grave. » Il me dit : « T’as dormi à quelle heure ? » « Je n’ai pas dormi. » Pour un match de boxe aussi, ça m’est arrivé. Un Pacquiao-Mayweather, c’était compliqué le lendemain. Et puis tu as d’autres joueurs, à 21h30, ils dormaient. Nico Plestan, s’il ne dormait pas douze heures, tu ne pouvais pas compter sur lui le lendemain. La chambre pendant les mises au vert, c’était compliqué… (Rires.) On regardait Koh-Lanta à l’époque. À la première pub, il enlevait ses lentilles, il dormait. Moi, je me disais : « Putain, ça va être long. Viens on parle… » Ensuite, je devais mettre la télé sur l’iPad, j’étais puni.

Tu as dit que tu aurais mérité ta chance en équipe de France. À quel moment ?À Lille, Lyon ou Paris. Les périodes où ça marchait bien. Faut demander à Raymond Domenech pourquoi je n’ai pas eu cette chance. Je le recroise de temps en temps. Si demain il me dit : « Je n’aime pas ta tête » ou « Je ne t’ai pas pris pour X raisons », c’est fini, c’était il y a 15 ans. Je n’ai pas de regret. Encore une fois, ce qui devait arriver arriva.

Pendant ta carrière, tu citais en référence Mickaël Pagis ou Julien Féret, des joueurs « à l’ancienne » . Est-ce le bon mot pour vous qualifier ?Ouais. Il ne me dérange pas. Tu as oublié Jérôme Leroy que j’adore et il mérite. Benjamin Nivet, joueur magnifique, super intelligent, beau à voir. Il savait tout faire techniquement. Peut-être un peu lent par rapport au foot moderne. Si on avait joué avec nos qualités il y a 25 ans, ça aurait été un peu différent. Tous les joueurs que tu as cités, ce sont des vrais amoureux du foot. On comprend le football de la même manière. C’est une sensibilité, une vision du jeu, une vision de la vie aussi. Ce sont des gens calmes, posés, tranquilles.

Quel est le joueur avec lequel tu as partagé le plus cette vision du jeu durant ta carrière ?J’ai eu la chance de jouer avec des grands joueurs, quand même. À Paris, j’en ai eu quelques-uns. Je pense à Motta, Verratti, Pastore. Je dirais Pastore dans sa volonté de faire le décalage à chaque fois. Thiago Motta aussi était un architecte, mais dans un registre différent. Car il défendait bien, était toujours bien placé.

On a fait une interview avec Xavi dans laquelle il expliquait que sur un terrain, avant une passe, il avait des flashs. Toi, il se passait quoi dans ta tête ?(Rires.) Si je te raconte, personne ne va me croire. Moi, je comptais les joueurs. J’adore les échecs, les calculs mentaux, depuis tout petit. Je suis très bon en mathématiques, c’est mon truc. (Il a eu le bac scientifique avec mention bien, NDLR.) Je regardais le système, je voyais qu’ils jouaient à quatre derrière, que l’excentré c’était telle personne, qu’il jouait en Vapor jaune. Si à un moment donné, je voyais les Vapor jaune dans une position trop axiale, c’est qu’il n’y avait personne derrière. Alors je n’avais pas besoin de lever la tête. Je mettais le ballon, mon excentré droit devait être là. S’il n’était pas là, ce n’est pas mon problème, c’est sa faute. Les gens pensaient que c’était une passe aveugle, mais en fait non.

Je voyais le terrain comme un jeu d’échecs. Et Xavi, c’était Kasparov.

Tu parles d’échecs. Tu as vu The Queen Gambit sur Netflix ? Non, je l’ai pas encore vu. Mais je voyais le terrain comme un jeu d’échecs, oui. J’ai eu la chance de jouer contre Xavi. C’était Kasparov. Le foot, c’est des mathématiques. Dix joueurs de champ contre dix joueurs de champ. Et après, c’est des rapports de force. Deux contre un, trois contre deux, à droite, à gauche, changement d’aile. On a vu Monaco-PSG ou Barça-PSG ? C’était des rapports de force sur des positionnements.
Jamais le ballon n’est resté bloqué dans tes pieds car il y a eu un bug dans la matrice ?Jamais. C’est une question de prise d’information et de réflexe. Mais ça m’est déjà arrivé de ne pas faire la passe, car ça me paraissait trop facile. Je me disais : « Il y a une arnaque. » Alors que la passe était juste devant, mais c’était tellement énorme, le trou, je n’y croyais pas : « C’est pas possible, il y en a un qui est caché. » Lorsque j’étais président d’Évreux, je m’entraînais parfois avec mes joueurs. Plus je descendais de niveau, plus les espaces étaient énormes, plus c’était facile. Les mecs me disaient : « Toi, tu cours pas. » Je leur répondais : « J’ai pas besoin de courir. Vous êtes tout le temps mal placés. Il y a toujours un décalage. Sur la prise de balle, on peut décaler une ligne complète. » En vacances, quand tu joues, on voit ceux qui sont pros et ceux qui ne le sont pas. Directement. Le mec va faire la remise alors que l’autre va essayer de se retourner. Le mec répond : « Je pensais que j’allais passer. » « Mais que tu passes ou pas, c’est pas le jeu. T’avais juste à remiser, je faisais le changement d’aile, on aurait gagné 5 secondes. » Ce sont des choses qu’ils n’ont pas appris, pas répété, c’est logique.

J’ai regardé des compilations de tes plus beaux buts et ce sont souvent des reprises de volée de l’extérieur de la surface avec des petits enchaînements qui finissent lucarne ou petit filet. Comment expliques-tu le fait qu’ils se ressemblent ?Y a des buts de raccroc, t’inquiète pas. (Rires.) À la base, je suis attaquant de pointe. Petit, je marquais énormément de buts. Donc j’ai toujours eu les réflexes. Et les reprises de volée ou les gestes dans le genre, ce sont des choses qui combinent avec le tennis-ballon auquel je joue assidument depuis le centre de formation. Comment le ballon arrive, comment il doit repartir, la position du corps… On élude toutes ces choses-là aujourd’hui, alors que ce sont des gestes techniques. La vraie technique, c’est pas le passement de jambes. La vraie technique, c’est contrôle-passe. C’est une bonne déviation. C’est servir son partenaire dans les bons espaces. Je peux te ramener un mec qui fait trente passements de jambes de suite et qui n’a jamais fait de foot de sa vie. C’est du freestyle, c’est une autre discipline.

Le but que tu marques contre Bordeaux avec Lyon, il se passe quoi dans ta tête ?Là, c’est de l’instinct, il n’y a pas de réflexion « je vais faire ci, je vais faire ça » . Je fais poitrine, je vois Souley (Diawara) qui sort, ma chance, c’est que j’arrive à la passer entre les deux. C’est le travail que tu fais quand tu es jeune, de l’enchaînement, de la jonglerie, la maîtrise du contrôle poitrine. Même la reprise de volée, quand je l’ai revue, tu te dis que c’est compliqué de la frapper comme ça. Alors que je peux refaire une touche de balle et l’emmener. Je prends des risques à faire un ciseau comme ça à 18-20 mètres. Après quand ça rentre, tu te dis que ça devait être ça.


Il y a aussi le fameux but contre l’OL avec le PSG. Ça t’a motivé, les sifflets de Gerland ? Rien à voir. J’étais en guerre avec le club à propos de mon départ. J’avais fait la grève. J’avais laissé ma voiture à Lyon, j’étais monté dans un train et j’avais dit à Puel : « Je monte à Paris. Trouvez une solution. Je ne reviendrai pas. » C’était parce que c’était Paris. Parce que je jouais derrière. Il me restait un an de contrat, fallait que je parte et c’était Paris. Ce jour-là, ils sifflent l’équipe. S’ils perdent, Claude Puel est limogé. C’était compliqué pour eux. Je suis en guerre avec lui, donc je traverse le terrain pour aller le voir. C’est un ensemble de choses. On en a reparlé, on s’est arrangé. Je ne suis pas rancunier.


C’est kiffant ce genre de buts ?Bien évidemment, car derrière, la réaction, je n’y ai pas pensé. Ça sort tout seul. C’est plein de choses enfouies en moi. Quand tu rentres aux vestiaires, tu te dis : « Ah ouais, je suis parti loin quand même. » L’année dernière avec Amiens, contre l’OL, j’ai marqué et j’ai fait une célébration comme si j’avais 20 ans. Tu me demandes pourquoi, je ne sais pas. Je n’ai rien contre Lyon. J’étais remplaçant, j’étais fâché peut-être. Sur les buts comme ça, comme beaucoup de joueurs de foot, quand tu es au stade, tu perds ton cerveau. Quand je regarde certains matchs de Ligue des champions avec le PSG, il y a des moments où je perds mon cerveau. France 98, France 2018, j’ai fait des choses que je ne devais pas faire. (Rires.) Surtout en tant que supporter.


Téléfoot s’est arrêté. Tu sais ce que tu vas faire après ?Je ne suis pas en questionnement sur l’après, je suis tranquille. Je ne me prends pas la tête. Je suis devenu parrain de l’Union nationale du foot entreprise (UNFE). J’ai pris ma licence avec le club de foot corpo d’Issy-les-Moulineaux, j’attends qu’on puisse rejouer. Je suis avec Nico Douchez dans ce projet. Je joue toujours avec mon club d’Évreux. Et j’ai aussi pris ma licence dans le club de tennis-ballon des Pirates d’Évreux. Ils sont en D1. C’est le troisième ou quatrième club français. Avec le coronavirus, va falloir se renouveler. Déjà, c’est moins 20% de licenciés minimum. Certains sont partis du foot à 11 à cause de la crise sanitaire, mais d’autres parce que ça n’allait plus. L’idée est donc de développer d’autres footballs. Le futsal, le foot en salle, le futnet, le foot en entreprise. Il y a diverses pratiques. Le plus important, c’est que les gens jouent au foot, de n’importe quelle manière.

Il faut prendre tout ce qu’il s’est passé avec les droits télé, la Covid, comme une opportunité de repartir de zéro, tout remettre à plat.

Ils sont rares, les anciens footballeurs pros qui peuvent se targuer d’avoir été présidents d’un club de foot. Est-ce que ça t’intéresse de travailler dans l’organisation du foot, dans un rôle plus politique ?Pour l’instant, pas du tout. On m’a déjà démarché plusieurs fois, mais ma priorité, c’est le terrain : parler foot, vivre foot, manger foot. Mais c’est sûr qu’il y a une refonte à faire en profondeur, à la ligue ou à la fédé. Il faut prendre tout ce qu’il s’est passé avec les droits télé, la Covid, comme une opportunité de repartir de zéro, tout remettre à plat, d’aller voir ce qu’il se fait dans d’autres fédérations, d’autres sports, d’autres pays. Il y a un désamour entre le foot amateur et le foot pro. On le voit avec ce qui s’est passé en Coupe de France. Il y a une réflexion à mener sur les compétitions, sur les horaires. Quand vous mettez des matchs à 13h ou 15h le dimanche, c’est compliqué pour le football amateur d’être au stade ou de le regarder, car c’est normalement les horaires réservés aux amateurs ou aux jeunes.

J’ai des potes à Grigny qui m’ont raconté avoir fait des matchs contre Evry pendant la CAN des banlieues. Ce sont des villes qui sont en guerre depuis qu’elles existent…

Pendant le premier confinement, Valentin Rongier avait dit dans une interview : « Lorsqu’on n’a pas le football, nous ne sommes plus personne. En restant à la maison, on redevient personne. On se dit que sans le football, on n’est pas grand-chose. » Comment ça résonne en toi ? Sur le fond, il a raison. C’est pour cela que c’est important que les footballeurs aient un rôle social et sociétal. Via l’argent gagné en le redonnant à des œuvres caritatives. Même si beaucoup l’ont déjà fait, peut-être faut-il prendre conscience qu’il faut faire encore plus. On ne sert pas qu’à être connu et reconnu. Ouais. Je suis persuadé et je le sais, car avec Évreux, on a eu des Prix Foot citoyen pour un dispositif, toujours en place, où on conditionnait le sport aux études. On a eu tellement de résultats positifs sur les gamins. Si tu lui enlèves le foot, le gamin n’a plus rien. Donc il travaille. S’il travaille à l’école, tu as gagné. Je crois beaucoup dans le foot comme levier pour changer la société. C’est le seul truc qui arrive à faire faire des pauses pendant des guerres. Même la CAN des banlieues… J’ai des potes à Grigny qui m’ont raconté avoir fait des matchs contre Evry. En temps normal, ça n’existe pas. Ce sont des villes qui sont en guerre depuis qu’elles existent. Le foot a réussi à faire une paix sociale pendant trois, quatre heures.

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