« L’autre superclasico »
Il y a presque une quinzaine de jours, c'était Boca – River, le légendaire superclasico sud-américain, les retransmissions internationales, les tours resto-musée-match à 500$ pour touristes. Le match de foot le plus important au monde selon le journal anglais "The Observer". Sans doute.
Mais, pour une fois, on va snober l’Argentine, et traverser le Rio de la Plata pour suivre “l’autre superclasico”, celui du petit frère uruguayen, qui avait lieu la semaine suivante. Car si le Peñarol – Nacional n’a peut-être pas l’envergure ni la réputation de son voisin argentin, il n’en reste pas moins le plus vieux superclasico d’Amérique du Sud. Une rivalité chargée d’Histoire, de mythes, de petites légendes et, avant tout, d’une passion qui, depuis plus de cent ans, envahit les rues de Montevideo l’espace d’un week-end. Voyage au pays de Francescoli.
Naissance de deux légendes
Tout commence donc à la fin du XIXème siècle, cinq ans après l’abolition de l’esclavage au Brésil, quatre ans avant la création de Boca Juniors de l’autre côté du Rio, à Montevideo, ville portuaire, grise et nauséabonde.
En septembre 1891, une paye donc, 15 employés, dont 13 Anglais de la compagnie ferroviaire “Central Uruguay Railway” installée à Peñarol, aux abords de la capitale, décident de monter un club de cricket histoire d’accompagner les asados du dimanche.
Début de l’histoire. Peu à peu, les Uruguayens comprennent qu’il est bien plus marrant de taquiner la balle avec ses pieds plutôt qu’avec cet espèce de bout de bois ; le club grandit et, en 1913, prend officiellement le nom de Peñarol et ses légendaires couleurs noire et jaune, en référence aux feux de signalisation ferroviaire.
Les guerres d’indépendance, les époques glorieuses des Bolivar et San Martin ont beau être révolues depuis bien longtemps, les marques de la colonisation et d’une émigration européenne massive se font toujours ressentir sur les rives de Rio de la Plata.
Ainsi en 1899, pour contrecarrer le monopole footballistique d’Albion, des jeunes “criollos”, c’est-à-dire des types d’Amérique Latine, des “vrais”, des “purs” – même si en réalité la moitié sont d’origine italienne – participent à la fusion de l’Uruguay Atlética Cub et du Montevideo Futbol Club pour donner naissance au Club Nacional de Futbol. Le club prend les couleurs rouge – bleu – blanche du courant nationaliste du libérateur José Artigas et revendique le titre de doyen du foot uruguayen, considérant que Peñarol n’existe sous ce nom que depuis 1913. La rivalité était déjà en place.
Past to present
Mais revenons en mai 2008, pour un superclasico plein de promesses : après un tournoi d’ouverture pourri, les deux équipes sont à égalité en tête du championnat, une victoire écartant quasiment à coup sûr l’éternel rival de la course au titre. Plus de 30 000 places ont été vendues le premier jour, toute la ville se prépare à la grande messe du dimanche, du marchand de légumes prédisant la victoire des Jaune et Noir aux ivrognes du samedi soir chantant des « Tricolor, tricolor, tricolor » dans la rue.
Et puis, ce superclasico sent bon les vieilles parties d’antan. Ici, pas de limitation de sésames pour le club “visiteur”, pas de flics sortis de Starship Troopers, pas la violence des River-Boca non plus. Supporters de Peñarol et du Nacional remontent tous ensemble l’avenue 18 Juillet pour se rendre au stade. Et pas n’importe quel stade, non, au Centenario, celui de la première finale de la coupe du monde, celui dont la construction ne s’était achevée qu’au milieu de la compétition, un stade dont le simple nom évoque les premiers pas du football international, les affreux documentaires de la FIFA sur l’histoire de la Coupe du Monde, l’Amérique du Sud quoi. Alors, quand tu t’apprêtes à rentrer, ton billet à la main, tu penses forcément un peu à Lucien Laurent et à la victoire 4 – 2 de la Celeste en finale contre l’Argentine. Et puis, au cas où, la désuétude des tribunes ou du panneau d’affichage qui ne marche plus depuis des années sont là pour te le rappeler.
Bienvenue au Centenario
Le Centenario est partagé en deux, moitié Peñarol, moitié Nacional. Faut quand même avouer que ça a plus de gueule que les 7000 places attribuées aux visiteurs au Monumental, merde c’est quand même ça qui fait le charme d’un superclasico. Pour en faire la preuve, les deux hinchadas entonnent les premiers chants avant même le début du match, se répondent tour à tour et même si du côté de la Colombes, la popular de Nacional, on ne perçoit pas bien la teneur des chants adverses, tout le monde s’accorde sur le fait que « La hinchada de Peñarol son todas putas, son las gallinas, cuando no salen campeón esa tribuna queda vacia, yo que soy de Nacional, es lo más grande que hay en la vida, aunque no salga campeón, esta pasión nunca se termina » (1). Alors quand les joueurs font leur entrée sur la pelouse, ils envoient carrément le pâté. Les petits ballons jaunes de Peñarol, la pluie de confettis dans tout le stade et surtout du côté de Nacional, trois énormes fumi rouge blanc et bleu qui recouvrent les tribunes, asphyxiant au passage les supporters. A en coller des frissons.
Sinon, le superclasico uruguayen, c’est aussi l’occasion de revoir jouer au foot des types qui n’alignaient pas un pas devant l’autre en Europe, Ruben Olivera, 4 buts en 5 années à la Juve mais figure du clasico, Carlos Bueno ou encore ce bon vieux Estoyanoff, certainement bien connu des accros de l’entraîneur ou de PES.
Du côté de Nacional, l’attraction c’est surtout le “Chengue” Morales, cet espèce d’immense black (1m97, 90 kg) complètement taré qui fête ses buts en imitant le cri du singe, une sorte de Martin Palermo du pauvre qui claqua son doublé en 2001 pour qualifier l’Uruguay en coupe du monde, l’idole ad vitam aeternam de Nacional, notamment pour son goût prononcé pour se foutre sur la gueule lors des clasicos. Si on veut parler de football, il y aussi le petit Fornaroli, suivi par le Real Madrid, qui tente de surnager dans ce monde de brutes.
Car il faut quand même bien l’avouer, en terme de football, c’est quand même affligeant ce qui se passe sur le gazon. Des tacles sauvages, sorte de retour dans les années 60, des contrôles foirés, des tirs dans les tribunes, des passes en touche, tout y passe. Au milieu de tout ça, Carlos Bueno paraît Maradona et Ruben Olivera se permet de dribbler 3 joueurs dans la surface, avec un petit pont s’il vous plaît, pour aller claquer son but. Irréel…
Le match
Le clasico part donc sur des bases folles. Dès la 5ème minute, Pacheco, sur coup franc, trouve la lucarne du goal de Nacional et fait exploser un Centenario déjà chaud bouillant depuis l’entrée des joueurs.
A la 21ème, le chef d’œuvre d’Olivera donne deux buts d’avance à Peñarol qui écrase littéralement le match. A peine 5 minutes plus tard, Nacional réagit et redonne de l’allant aux “Bolsos”, les hinchas de Nacional. Tactiquement parlant c’est très simple, Nacional tacle, dégage fort devant, pose les couilles, c’est du fighting spirit à l’Uruguayenne, et ce n’est pas peu dire.
Forcément, au milieu de cette belle bande de bouchers, Carlos Bueno se balade et s’échappe pour aller claquer le 3ème but des “Manyas” à la 43ème. Une nouvelle fois au courage et contre le cours du jeu, Nacional réduit le score deux minutes plus tard sur un nouveau but atroce. L’arbitre siffle la mi-temps et les supporters de Nacional y croient toujours : « La puta que les pario, la vuelta les vamos a dar » (2).
A peine sorti des vestiaires, Ruben Olivera, encore et toujours, va s’occuper de refroidir tout cela en claquant un autre but magnifique. Bueno, lui, se charge de pourrir le match en titillant les nerfs pas très solides des joueurs de Nacional.
Plus efficace qu’à Paris, le petit Carlos : en quelques minutes, Romero, Cardacio et Fornaroli rentrent au vestiaire, 4 – 2, à 11 contre 8, le match est plié. Demeurent néanmoins deux inconnues : Chengue va-t-il enfin finir par décapiter Carlos Bueno, et combien va s’en prendre Nacional ?
Dans les mémoires des plus vieux supporters des Bolsos resurgit en effet le terrible souvenir du 9 octobre 1941, “El dia del Abandono” quand, menés 2 à 0 et réduits à 9, les joueurs du Tricolor avaient refusé de rentrer sur le terrain pour la deuxième mi-temps par peur de se faire fourrer en beauté.
Malheureusement, le score en restera là et Chengue ne finira pas en taule cette fois-ci (3). Les Aurinegros, torses nus et en larmes, restent sur la pelouse longtemps après le coup de sifflet final pour fêter la victoire avec les supporters de la tribune Amsterdam d’où résonnent encore les grandioses « Peñaroooool, peñaroooooool » .
Dehors, le flot des 55 000 supporters se déverse dans les rues de la capitale, perdant quelques membres à chaque stand d’hamburguesas et à chaque supermarché où l’on peut acheter de la bière. Au loin, on entend encore par moments quelques chants à la gloire des Manyas. Le superclasico est fini, la nuit tombe, c’est un peu le charme d’un train qui s’en va.
Par Pierre Boisson, live from South America
1 – Une reprise d’une des chansons de la Doce, littéralement « la hinchada de Peñarol est remplie de putes, ce sont les Gallinas, quand ils ne sont pas champions, ces tribunes restent vides. Moi qui suis de Nacional, le plus grand qu’il y ait dans la vie, même si nous ne sommes pas champions, cette passion ne prend jamais fin » .
2 – Littéralement, « la p… qui les a enfantés, on va renverser le match » .
3 – En 2000, lors du superclasico, Chengue fut l’un des acteurs principaux de l’énorme baston générale qui avait conclu la partie. Envoyé au poste, il purgera un mois de prison…
Le résumé du match, avec les vidéos du stade :
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