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Kenny Rocha Santos : « Le Cap-Vert, c’est un petit Brésil »
Le Cap-Vert s’est qualifié pour la première Coupe du monde de son histoire. S’il n’a pas eu la chance de vivre cette soirée de folie au pays, le joueur du FC Rouen Kenny Rocha Santos compte bien tout faire pour être du voyage en Amérique du Nord.

Le Cap-Vert s’est qualifié pour la première Coupe du monde de son histoire. Comment as-tu vécu ce moment historique ?
Après mon entraînement avec Rouen, je suis vite rentré à la maison pour regarder le match. Pour être honnête, je savais qu’on allait se qualifier. J’ai beaucoup parlé avec mes coéquipiers de la sélection, on avait une grande chance qui ne dépendait que de nous. Je savais qu’on n’allait pas flopper ! Tout le monde attendait ce moment depuis les dernières éliminatoires pour la Coupe du monde où on est restés deuxièmes de notre poule en Afrique. Le match qu’on gagne contre le Cameroun en début de saison (1-0, il ne joue pas) a été un tournant. Après ce match de mardi contre l’Eswatini (victoire 3-0), ça a été de la joie. C’est comme si j’y étais. Maintenant, c’est à moi de tout faire pour aller à cette Coupe du monde.
Ça te fait quoi de voir ça de l’extérieur, alors que tu as déjà connu l’équipe nationale ?
C’est vrai que c’est un peu frustrant. J’ai regardé le match chez moi, tout seul, même si je suis habitué. J’avais une confiance totale envers mes coéquipiers. Franchement, dès le premier but qu’on a marqué (par Dailon Livramento, à la 48e), je me suis dit : « C’est bon, c’est nous là-bas ! » Mes amis, ma famille du Cap-Vert et de France… on s’est tous appelés après le match. Tout le monde est content pour moi, ils savent comment je tiens le Cap-Vert dans mon cœur.
Quand tu vas en sélection pour la première fois, tu te fais directement intégrer, même par les vieux ! Accueillir, c’est ce qui fait la force de ce groupe.
Pour la rencontre décisive contre l’Eswatini, la journée de travail au Cap-Vert a été chômée à partir de 15h, trois heures avant le coup d’envoi. L’engouement pour le football là-bas est si dingue que ça ?
Ouais. Quand tout le peuple capverdien est avec sa sélection, rien ne peut nous arriver. J’ai même envie de leur lancer un appel à tout le monde : « Si vous êtes toujours avec nous, on arrivera à faire de belles choses. » (Il sourit.) Quelque part, j’ai contribué à ça : j’ai joué les deux premiers matchs de cette phase de qualification contre l’Angola et l’Eswatini… Je suis encore plus heureux que les autres, je pense.
Carrément ?
Moi, je suis né au Cap-Vert, sur l’île de São Vicente, on jouait tout le temps au football avec les copains. Avant de partir en France, j’ai même joué pour un club là-bas, le Batuque FC (également club formateur de Ryan Mendes, un des piliers de la sélection, NDLR). Mais à cette époque, j’étais vraiment jeune, je ne savais même pas si j’allais devenir joueur professionnel. Là-bas, les gens sont très agréables, accueillants, joyeux. Ils n’ont pas beaucoup de moyens, mais sont sympas. C’est un point commun du pays. Dès que je suis en vacances, j’y vais. J’y serai à Noël par exemple.
Quelles sont les caractéristiques de cette équipe du Cap-Vert ? En France, on connaît particulièrement Ryan Mendes (passé par Le Havre puis Lille entre 2009 et 2017). On a l’impression qu’elle porte un football basé sur la technique, avec un mélange de jeunesse et d’expérience. Comment s’est fait ce mélange par le coach ?
Comme on dit, le Cap-Vert, c’est un petit Brésil ! On se ressemble beaucoup avec les Brésiliens, on a à peu près la même culture. Ça vaut aussi pour le Portugal. Il y a d’ailleurs beaucoup de joueurs d’origine capverdienne dans la sélection portugaise (Nélson Semedo et Nuno Tavares, actuellement). Bubista, notre sélectionneur, est un entraîneur local, qui connaît super bien le Cap-Vert. Il est là depuis longtemps (depuis cinq ans, en plus d’être passé par quatre clubs du championnat national). Quand tu vas en sélection pour la première fois, tu te fais directement intégrer, même par les vieux ! Accueillir, c’est ce qui fait la force de ce groupe. C’est ça qui nous fait avoir de telles performances.
Quel est ton meilleur souvenir en sélection ?
C’est pas vraiment un souvenir du coup, mais c’est de savoir qu’on ira à cette Coupe du monde, même si j’ai joué deux CAN et que j’ai même fini homme du match d’une rencontre au Cameroun (contre l’Éthiopie, début 2022). Ah, je retiens quand même quand on est passés en quarts de finale de la Coupe d’Afrique l’année dernière (victoire 1-0 contre la Mauritanie)… Mais franchement, cette Coupe du monde… ça m’a vraiment touché. Ça me donne des idées pour l’année prochaine.
Tu en rêvais petit ?
J’étais né là-bas, donc ils savaient que j’étais éligible. Quand j’étais à Saint-Étienne, j’ai même été convoqué en équipe de France jeunes, je crois que c’était pour l’Euro 2017, avec Lionel Rouxel. Mais une fois que j’ai reçu le coup de fil du Cap-Vert, je n’ai pas hésité une seule seconde !
Qu’est-ce qui t’a fait choisir le Cap-Vert ?
Tout ! Je suis né là-bas, mes parents sont de là-bas, j’ai passé mon enfance là-bas. Je me souviens quand j’y habitais, tous les jours je disais à mon grand-père que j’allais jouer pour la sélection du Cap-Vert. Je lui avais fait la promesse.
Tu as commencé à être international à 17 ans. Quels souvenirs gardes-tu de tes premiers pas avec la sélection ?
C’était contre le Burkina Faso, en qualifications pour la Coupe du monde 2018. Je n’ai plus la date exacte (en novembre 2017, défaite 4-0 du Cap-Vert à l’extérieur, NDLR). En revanche, je me rappelle très bien avoir chanté l’hymne. J’étais ému de le chanter pour la première fois. Ce qui m’a aussi marqué, ce sont les matchs sur mon île de São Vicente, quand le stade national de Praia, la capitale, n’était pas encore homologué par la FIFA. Et jouer là où je suis né, devant ma famille, franchement, c’était incroyable.
Le vrai problème, c’est qu’on n’a pas encore assez d’aides comme peuvent avoir d’autres pays en Afrique.
Comment expliques-tu l’évolution fulgurante du foot capverdien ? Malgré le bon parcours en CAN et la qualification pour le Mondial, qu’est-ce qui doit encore être amélioré ?
C’est la résilience. La fédération commence à donner plus d’opportunités pour les enfants de là-bas. On a un potentiel de formation énorme au Cap-Vert, et ça commence à se développer. Mais le vrai problème, c’est qu’on n’a pas encore assez d’aides comme peuvent avoir d’autres pays en Afrique, comme le Sénégal par exemple. Grâce à leur développement, beaucoup de leurs joueurs viennent en Europe. Mais avec les moyens qu’elle a, notre fédération fait un super travail. À chaque fois que je suis là-bas, je le vois de mes yeux : les îles capverdiennes regorgent de talents, il y a des bons petits jeunes de partout. J’espère qu’avec cette Coupe du monde, on aura plus de visibilité, pour que nos joueurs soient plus vus et qu’on aille les chercher directement au Cap-Vert. Ça peut clairement ouvrir des portes, surtout pour la génération à venir. Il faut qu’elle puisse grandir encore mieux que les nôtres et réaliser ses rêves.
Tu n’as plus été sélectionné depuis ce fameux quart de finale perdu à la CAN ivoirienne contre l’Afrique du Sud (1-0). Quelles en sont les raisons ?
Il y a beaucoup de concurrence, et une hiérarchie à mon poste (il est milieu, NDLR). Le championnat dans lequel on évolue joue beaucoup aussi, tous les joueurs de la sélection jouent au moins en première ou en deuxième division dans leurs clubs. Moi, je respecte ça, j’ai confiance en tout le monde qui évolue pour l’équipe nationale. Mais je veux y retourner.
Après avoir été formé à l’ASSE et fait tes vrais débuts avec Nancy et Ostende en Belgique, tu as pris la direction de Chypre et de l’AEZ Zakakiou en 2023. Tu as d’abord été appelé régulièrement avant d’être laissé de côté. Comment as-tu géré ça ?
J’ai dû partir à cause des difficultés financières de mon club en Belgique, Ostende, qui a depuis fait faillite. À ce moment-là, je n’avais aucune solution, j’avais la CAN qui arrivait derrière et il était hors de question que je passe un an sans jouer. Tous les autres mercatos étaient fermés, et je n’avais que Chypre comme option. Par rapport à la sélection, je ne regrette pas, la vie c’est comme ça. Après, c’est vrai que le niveau à Chypre n’était pas top. On était en première division, hein, mais on avait trop de manquements.
Après une période sans club, tu as décidé de signer en National 1. Est-ce que le fait de revenir en France, dans un championnat qui n’est que le troisième niveau mais qui se professionnalise, peut t’aider à retrouver la sélection ?
Oui. Mon but était de revenir en France, pour grandir encore. Quand j’étais sans club, je m’entraînais tous les jours. En fait, j’avais deux, trois clubs en Ligue 2 qui m’avaient fait des propositions, avant de finalement ne pas se positionner. Puis le temps passait, les offres n’arrivaient pas, je me suis dit : « Bon, pourquoi ne pas reculer d’un cran et choisir le National pour mieux sauter après. »
Tu fais une pige au Paris 13 Atletico la saison dernière, puis tu reviens en force avec le FC Rouen en ce début de saison (quatre buts et deux passes dé en neuf matchs). Ça te donne des idées pour la sélection ?
Bien sûr que c’est dans un coin de ma tête. Je suis dans cet état d’esprit revanchard. Avant d’arriver au Paris 13, je ne connaissais pas du tout le championnat du National. Mais la vérité, c’est qu’il y a de très très bons joueurs. C’est un championnat très difficile, avec beaucoup de qualité. Avec Régis Brouard, je joue dans une position plus haute, à laquelle je n’ai pas trop l’habitude de jouer. D’habitude, je joue plutôt en relayeur, comme numéro 6. Jouer plus haut me sourit bien pour l’instant. C’est à moi de continuer pour pouvoir bousculer les choses en sélection.
Tu penses que le Cap-Vert peut aller jusqu’où cet été ?
Pour l’instant, on se contente déjà de la qualification. (Rires.) Une fois qu’on y sera, on verra match par match. On aura notre mot à dire.
Si t’avais un mot à dire au sélectionneur Bubista, ce serait quoi ?
(Il se marre.) J’espère qu’il regardera Rouen et… on se verra là-bas !
Le Cap-Vert se qualifie pour le Mondial pour la première fois de son histoire !Propos recueillis par Théo Juvenet et Ulysse Llamas